SAINT YVES est le patron des avocats, pas celui des pharmaciens. Huit jours après le traditionnel pardon, qui réunit à Tréguier (Côtes d’Armor) la fine fleur des barreaux de France, et souvent au-delà, le troisième dimanche de mai, la pharmacie trégoroise devait quitter l’ombre de la cathédrale Saint-Tugdual, et les restes du saint, pour la zone beaucoup plus prosaïque du Super U, en périphérie.
Tréguier compte 2 500 habitants, et trois pharmacies, dont deux Place du Martray, au pied de la cathédrale. Isabelle Jarry s’est installée en 2011, dans une officine datant de 1885, sur 35 m2 « sans possibilité d’extension ». Elle a observé l’expansion démographique vers Minihy-Tréguier, en périphérie sud, 1 300 habitants et aucune pharmacie, et vers Trédarzec, à l’est, 1 400 habitants, sans pharmacie. Elle voit aussi depuis 2012, presque trois ans de travaux pour aménager la place du Martray en zone piétonne, la disparition de vingt-cinq places de stationnement.
« J’ai perdu vingt clients par jour, relève-t-elle. Mon premier chiffre d’affaires se montait à 1,38 million d’euros, et a diminué de 200 000 euros en trois ans. » Isabelle Jarry a tenté une fusion avec la pharmacie Saint-Yves, distante de 20 mètres. Le projet n’aboutit pas, après trois ans d’études. « Pour tendre à un projet commun, chacun doit faire des concessions », regrette-t-elle. « Sans commentaire », répond Emma Priour, titulaire de la pharmacie Saint-Yves.
Isabelle Jarry n’a pas fini de payer sa pharmacie. Elle est aussi tenue par un bail commercial, son local n’étant pas (encore) repris. Elle va pourtant faire un bond. De 35 m2, place du Martray, elle passe à 300 m2, dont 165 m2 de surface de vente, sur la zone commerciale de Super U, en limite de Minihy-Tréguier, et entre Trédarzec et Tréguier. « C’était cela, ou licencier mon assistante. »
Le transfert est approuvé sans commentaire par l’agence régionale de la santé (ARS), l’Ordre et les syndicats. Il va pourtant bouleverser la donne. Non loin du Super U, se trouvent deux autres grandes surfaces alimentaires, une de bricolage, plusieurs magasins. La chalandise se trouve là. L’investissement n’est donc pas neutre. Franck Boivin, propriétaire du Super U, l’a bien compris : c’est lui qui a construit la nouvelle officine, dont Isabelle Jarry sera locataire.
« Wait and see, estime Pierre Le Jeane, le troisième pharmacien, installé sur le port. On aura une fuite de clientèle, mais nous sommes établis ici depuis longtemps, les clients y ont leurs habitudes. Les accès sont meilleurs qu’en centre-ville, et nous avons de nombreuses places de stationnement devant l’officine. » Mais ce confrère convient de son expectative face au transfert de la Pharmacie trégoroise.
« Tous les commerçants du centre-ville se plaignent du nouvel aménagement, affirme Isabelle Jarry. Le tourisme n’est pas leur clientèle, pas plus que celui d’une pharmacie. Beaucoup de nos clients, dont les personnes âgées, nous faisaient remarquer leurs difficultés à se garer. Notre déménagement semble bien apprécié. »
Dans sa nouvelle, et vaste, officine, Isabelle Jarry compte d’abord se mettre aux normes : conditions d’accessibilité, espace de confidentialité, préparatoire fermé, stockage. « Nous devons travailler dans des conditions correctes, on ne peut plus bricoler. » La pharmacienne compte aussi développer le matériel médical : « Les personnes âgées ont souvent été servies par des prestataires éloignés de plus de 200 km, et ne savent pas à qui s’adresser pour un problème de lit ou d’oxygène. Le pharmacien connaît les patients et leur famille, c’est une clientèle qu’il doit reprendre. »
Isabelle Jarry regrette de partir mais ne comprend pas pourquoi le centre-ville de Tréguier est devenu piéton. Elle pense que les élus regrettent aussi son départ, mais ils ne sont pas venus en parler avec elle.
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