Le marché de la transaction semble avoir trouvé son rythme de croisière. Rien ne devrait désormais le dérouter d'une trajectoire dessinée en 2017 avec une hausse de 9 % du nombre de mutations et qui se confirme en 2018 avec un nouveau bond de 6 %. Au total, 1 580 mutations ont été opérées au cours de l’année dernière, dont 1 020 cessions (plus 6 %) et 560 cessions de parts sociales (plus 2 %). Ainsi le ratio est passé à 75 mutations (cessions de fonds et de parts) pour 1 000 officines en 2018, contre 72/1 000 un an auparavant.
L'embellie observée promet de durer si l'on en croit les analyses d'Interfimo qui vient de présenter sa 25e étude « Prix et valeurs des pharmacies » (1). « En effet, le marché désormais dominé par les SEL - 53 % des structures sont aujourd'hui en SEL contre 49 % en 2017 -, va gagner en mobilité puisque nous nous trouvons davantage sur un marché de cessions de parts que de fonds de commerce », relève Jérôme Capon, directeur du réseau Interfimo. Il ajoute que « dans 9 cas sur 10, en 2018, l'acquéreur est une SEL ».
Des dispositions fiscales favorables
Cette dynamique devrait d'ailleurs être portée par de nouvelles dispositions fiscales favorables à l'entrée des adjoints. Ils peuvent désormais bénéficier du crédit d’impôt pour rachat d’entreprise par les salariés. Quant à la transmission familiale (Family Buy Out), elle bénéficie d'assouplissement par la loi de finances 2019, comme l'annonce Francis Brune, responsable du pôle ingénierie financière et patrimoniale d'Interfimo.
Ces évolutions tombent à pic puisque le principal moteur du marché de la transaction est désormais la transition démographique. « La reprise de l’activité en 2018 est à rapprocher du nombre record de départs à la retraite enregistré par la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP) : plus de 1 620 en 2018, soit plus de 20 % », analyse Jérôme Capon. Selon lui, le renouvellement devrait même s'accélérer, au regard du « nombre de titulaires âgés de plus de 55 ans qui a augmenté de 60 % sur les dix dernières années et qui augure de nouvelles vagues de cessions à venir ».
Rien d'étonnant donc que le marché des transactions doive « davantage ses chiffres records de 2018 aux départs à la retraite qu'aux cessions et réinstallation », résume le directeur du réseau Interfimo. L’officine fait donc envie aux jeunes générations. Et la bonne santé du secteur dans sa globalité n'est pas étrangère à cela. Les indicateurs de la Banque de France sont en effet au beau fixe. 60 % des 13 000 officines étudiées bénéficient en 2018 d'une cotation favorable, c’est-à-dire qu'elles sont en capacité d'honorer leurs engagements sur les trois ans. Elles n'étaient que 53 %, il a dix ans. 127 défaillances ont été enregistrées sur l'année dernière, un ratio de 6 pour 1 000 officines, soit deux fois moins que sur l'ensemble des branches d'activité. 127 procédures collectives (sauvegarde, redressement et liquidations) ont été enregistrées en 2018 contre 154 en 2016 et 171 deux ans plus tôt.
Le juste prix s'impose
Ces facteurs apparaissent donc comme prédominants sur le marché de la transaction qui, à l'inverse, semble peu affecté par la stagnation, voire la régression des trois indicateurs économiques. Pour la troisième année consécutive le chiffre d’affaires se relève légèrement à + 0,8 %. Une progression toutefois provoquée essentiellement par la vente de médicaments chers (prix supérieur à 150 euros) mais peu générateurs de marge. C’est dire si ce chiffre, gonflé artificiellement, perd de sa légitimité lorsqu’il sert de base à l’évaluation du prix d’une officine.
L'influence des ventes de ces médicaments chers joue sur la marge brute, qui perd 0,2 point pour atteindre 31,8 %. Une tendance suivie par l’excédent brut d’exploitation (EBE), indicateur clé de la santé officinale. Celui-ci voit en effet son évolution freinée par l’augmentation des frais de personnel, grille tarifaire et pénurie de préparateurs obligent, et ce « dans un contexte de remontée de l’inflation de 1,8 % en 2018 », relève Interfimo. Il n'en reste pas moins, souligne Jérôme Capon, que, lissé sur les treize dernières années, le pouvoir d'achat des pharmaciens, après une forte dépression jusqu'en 2011, reste stable.
Cette constance serait-elle signe de maturité du marché ? Le niveau des prix de cessions tend à le démontrer. En moyenne, l'officine française s'est cédée en 2018 à 6,1 fois son EBE. Ce coefficient retenu par Interfimo, sur la base de l'EBE reconstitué (2), est certes en légère baisse par rapport au multiple de 6,3 observé un an auparavant. Jérôme Capon veut cependant davantage voir dans cette baisse relative un phénomène d'ajustement plutôt qu'une tendance à la baisse. « Les cessions de 2018 étaient basées sur l'EBE de 2017 », ne manque-t-il pas de rappeler. Au cours des quatre dernières années, le coefficient de fixation des prix fait preuve d'une stabilité à toute épreuve, équivalent environ à 6 fois l'EBE.
Un marché pris à la taille
Cette uniformité est cependant trompeuse. Elle ne doit pas occulter d'importantes disparités dans le paysage hexagonal des transactions. La taille, ainsi que la localisation sont, plus que jamais, des éléments différenciants. Jérôme Capon en veut pour exemple « le décrochage des pharmacies d'un chiffre d'affaires inférieur à 1,5 million d'euros quand celles d'un chiffre d'affaires supérieur à ce montant sont au contraire mieux valorisées. L'écart se creusant d'année en année dans le multiple de l'EBE retenu pour leur cession ».
Mais la dispersion est aussi régionale. Tandis que sept régions demeurent dans la moyenne nationale (6,1 x l'EBE) les montants de cessions à Paris illustrent parfaitement cette divergence. Dans la Capitale, les prix se fixent bien au-dessus de la moyenne nationale en multiple de l’EBE. « Si les pharmacies intra muros demeurent chères à Paris, c'est en raison des opérations de regroupements qui maintiennent les prix à un niveau élevé », souligne Jérôme Capon. Autre exemple de distorsion de prix : dans le Grand Est, le montant des cessions invariablement élevé d'une année à l'autre (7,3 x l’EBE !), s'explique par la taille importante des officines et l'offre relativement faible sur le marché.
Cette dispersion croissante des prix en multiple de l’EBE se répercute sur la configuration d'un marché de la transaction qui s'étire de plus en plus. Ainsi les pharmacies valorisées à un prix supérieur à 7,5 x l’EBE représentent 20 % des cessions. Cette polarisation est toutefois moins importante que celle observée en 2017. Cette année-là une pharmacie sur quatre avait été valorisée à plus de 7,5 fois son EBE. Entre ces modèles d'officines et les petites officines de moins de 1,2 million de chiffre d'affaires, un écart de 18 points s'est creusé dans leur valorisation au cours des dix dernières années. À l'autre bout de l'échelle, les petites structures sont certes moins chères à l'achat, mais elles sont plus que jamais pénalisées par leur faible rentabilité, face à d'éventuels investisseurs. Les difficultés économiques croissantes qu'elles rencontrent ne devraient malheureusement pas améliorer leur pouvoir d'attractivité.
(1) Étude « Prix et valeurs des pharmacies » présentée le 11 avril 2019 en partenariat avec OCP portant sur les données de 950 officines.
(2) EBE standard neutralisé c’est-à-dire avant rémunération et charges sociales du titulaire, incluant certaines recettes (ROSP, frais de garde…) parfois affectées en subventions d'exploitation ou autres produits.
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