LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN. - Vous publiez depuis vingt ans votre étude économique et statistique sur l’officine française. Lorsque vous regardez les chiffres de l’année 1994 et ceux de 2014, quels sont, selon vous, les points principaux à retenir ?
PHILIPPE BECKER. - En 1994, nous étions à la veille du plan Juppé sur la maîtrise médicalisée des dépenses de santé, et la marge dégressive lissée s’appliquait depuis un peu plus de trois ans. Il faut aussi se rappeler que les remises « grossistes » venaient d’être plafonnées à 2,5 % du prix fabricant hors taxes. J’ai souvenir que l’ambiance était tendue, et pourtant la croissance des officines s’est poursuivie. Hors inflation, sur vingt ans, elle s’est élevée au total à 36 %, soit 1,8 % par an en moyenne.
Or l’activité officinale est en baisse depuis trois ans. C’est déjà cela qui a fondamentalement changé en vingt ans ! Désormais, l’histoire économique de la pharmacie d’officine se construit sur des volumes de boîtes stables et des prix publics de médicaments en baisse !
Pour la marge commerciale, on voit qu’elle était bien supérieure en 1994 à ce qu’elle est en 2014. Qu’en pensez-vous ?
CHRISTIAN NOUVEL. - En première approche, c’est exact, mais il faut analyser l’évolution en tenant compte de l’effet générique. Il faut se rappeler que le droit de substitution a été accordé aux pharmaciens en décembre 1998. Les prestations liées à la coopération commerciale, antérieurement, étaient marginales, et à compter de cette date ces prestations sont devenues un élément essentiel de la rentabilité. Si l’on ajoute la coopération commerciale que nous avons relevée pour 2014 (36 000 euros) et si l’on y ajoute encore les primes sur objectifs (3 000 euros), on peut considérer que la marge commerciale de 2014 (28,89 %) est impactée positivement de 2,7 %. En conséquence de quoi le taux global de marge avec avantages « génériques » est de 31,59 %.
Bien évidemment, 2014 est par ailleurs une année charnière puisque la mise en place des honoraires de dispensation et la montée en puissance des nouvelles missions vont rendre cet indicateur moins essentiel.
En ce qui concerne les frais de personnel, on remarque une certaine stabilité sur cette longue période. Est-ce bien exact ?
PHILIPPE BECKER. - C’est en effet le constat que nous avons fait. En pratique, lorsque les indicateurs économiques se dégradent, et en particulier l’activité, la seule variable d’ajustement est le poste salaires. Cela explique en partie la mauvaise situation de l’emploi, actuellement, en officine.
Il faut noter aussi que la productivité du personnel salarié a progressé de 14 % sur vingt ans (hors inflation).
Il est frappant de constater que le résultat net moyen est quasiment identique depuis vingt ans. N’est-ce pas surprenant ?
CHRISTIAN NOUVEL. - Deux observations doivent être faites à ce sujet. En 1994, l’excédent brut d’exploitation (EBE), en pourcentage du chiffre d’affaires hors taxes, était supérieur en moyenne d’1,5 % par rapport à celui relevé en 2014. Corrélativement, les frais financiers (intérêts des emprunts et agios) étaient eux plus élevés de 1,9 % par rapport au niveau actuel. Il y a là un effet de balancier, mais la rentabilité brute a baissé, c’est indiscutable !
On doit ajouter que les statistiques ne prennent en compte que les pharmacies qui continuent à exister. Les quelque 500 officines qui ont mis la clé sous la porte, sur la période, ne sont plus intégrées aux données de 2014. La comparabilité est donc peu évidente.
Vingt ans après, les officines en sont donc au même point ? Vingt ans pour rien ?
PHILIPPE BECKER. - Ce n’est pas ma conclusion ! S’il y a lieu d’être inquiet pour une certaine typologie de pharmacies, l’essentiel a été préservé pour la majorité d’entre elles. Le médicament générique a été un amortisseur économique fort, qui a également rendu le rôle du pharmacien prépondérant dans la maîtrise des dépenses de santé.
Les officinaux ont bénéficié d’un autre amortisseur, à savoir la baisse du coût de financement : nous avons tous la mémoire courte, mais, il n’y a pas si longtemps, on empruntait à 4 %.
D’autre part, l’implication du pharmacien est devenue très forte et ses qualités de gestionnaire, au sens large, sont déterminantes pour sa réussite. La gestion au doigt mouillé n’est plus possible et les mauvaises décisions sont parfois mortelles.
Bref, la pharmacie est dans un nouvel écosystème auquel il faudra s’adapter. On en reparle dans vingt ans !
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