Installé depuis 2012, à Bedous, dans la vallée d’Aspe (Hautes-Pyrénées), Gérard Roy n’a pas vu les nuages s’amonceler au-dessus de son officine. Quand, il y a un an, il transfère son officine quelques dizaines de mètres plus loin dans la même rue, c’est pour rejoindre une maison de santé créée en janvier 2015 par la communauté de communes de cette vallée de 2 800 habitants. Et 18 professionnels de santé qui s’y sont regroupés.
Première difficulté, cependant, le pharmacien doit continuer de s’acquitter du loyer de son ancien local pour lequel le bail court toujours, alors que le loyer du nouveau local de 190 m2 est élevé. Les charges s’accumulent pour le pharmacien qui emploie un adjoint (35 ans d’ancienneté) et loue un robot de PDA nécessaire à l’approvisionnement de deux maisons de retraite et de deux foyers d’adultes handicapés (150 lits au total). Il en arrive au point d'étranglement. « J’ai eu une traite qui a sauté chez le grossiste, puis j’ai eu un mois bloqué et, à nouveau, une traite non payée. Mon grossiste, le seul qui acceptait de m'approvisionner en premier dans la vallée, a ensuite refusé de me livrer. Plus de vaccin, plus d’insuline… Que voulez-vous dire aux patients ? », décrit Gérard Roy.
Le grossiste ne veut rien entendre, pas davantage que le banquier. « J’avais un bon prévisionnel, le dossier de structuration tenait la route, le rachat de mes deux prêts était étalé sur douze ans, ce n’était plus qu’une formalité », se souvient Gérard Roy. Mais le jour de la signature, in extremis, le dossier est rejeté par le nouveau directeur de l’agence bancaire d’Oloron-Sainte-Marie.
Gérard Roy, qui ne s’explique toujours pas ce revirement, n’avait d’autre solution que de déposer le bilan. Depuis le 10 janvier, la vallée d’Aspe est ainsi privée de son unique pharmacien. En attendant que Gérard Roy puisse proposer un plan de sauvegarde auprès du tribunal de commerce de Pau. « Il me permettra de faire des économies et de poursuivre l’activité de mon officine toute neuve », espère le titulaire qui, à quelques mois de l’âge légal de la retraite, veut s’accorder encore quelques années d’exercice.
Un portage provisoire
Car son officine, qui enregistre un chiffre d’affaires de 1,450 million d’euros, est tout à fait viable dans ce bassin de vie de 2 800 habitants. Il en est convaincu, et avec lui Henri Bellegarde, maire de Bedous. « Si nous nous faisons du souci à court terme pour notre pharmacien, à moyen et long terme, il n’y a aucune inquiétude à avoir dans la mesure où nous avons tous les prescripteurs sur place », relève le maire.
Dans la vallée, entre-temps, un système provisoire a été mis en place afin de pouvoir approvisionner les habitants auprès de la pharmacie d'Oloron-Sainte-Marie, à une vingtaine de kilomètres. « Nous avons mis en place un portage. Dès que l’un d’entre nous descend à Oloron, il prend les ordonnances et remonte les médicaments », décrit le maire. Mais cette solution, fondée sur la solidarité, ne peut être pérenne, Henri Bellegarde en a bien conscience.
Un cas de plus en plus fréquent
Me Olivier Bouru, avocat du titulaire de Bedous, ne peut s'empêcher de souligner la position du bailleur actuel, la communauté de communes. « C'est un comble, on demande au pharmacien une permanence des soins et, en même temps, on prélève à ce professionnel de santé qui a à sa charge des obligations sanitaires importantes et un loyer élevé. » La situation de Gérard Roy, « n'est pas un cas isolé ». Selon l'avocat installé à Bordeaux et qui a à traiter quatre à cinq dossiers de pharmaciens en détresse par an, ces cas deviennent même de plus en plus fréquents.
À chaque fois, les mêmes symptômes. L'impossibilité de régler les traites fournisseurs. Et à chaque fois les mêmes causes. Des pharmaciens se sont endettés sur la base de marges qui ne sont plus celles d'aujourd'hui ou, pire encore, ils investissent en établissant leur plan financier sur le chiffre d'affaires et non sur l'EBE. « Face à la baisse des prix et à la baisse des marges, les pharmaciens doivent avoir désormais une approche différente de l'économie de l'officine », plaide l'avocat.
Il exhorte la profession à manifester ses difficultés dès les premiers signes. « Il ne faut pas hésiter à faire appel à un conseil très en amont. Souvent les pharmaciens arrivent malheureusement dans une situation désespérée. Il faut savoir que dès qu'ils ont accepté l'étalement de leur encours fournisseurs, il est déjà presque trop tard », met en garde le juriste. Sans parler des pharmaciens qui ont le malheur de se porter caution de leur officine auprès de leur répartiteur. Quand ils n'hypothèquent pas tout simplement leur maison.
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