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L’officine, étape ultime de la sérialisation

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Publié le 17/12/2018
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Dès le 9 février prochain, date à laquelle la sérialisation sera opérationnelle en Europe, toute boîte de médicament de prescription obligatoire* et d’oméprazole sera dotée d’un dispositif antieffraction et d’un identifiant unique. Il reviendra aux pharmaciens, avant toute dispensation, d’en contrôler l’authenticité auprès de la base de données nationale. C’est dire si la profession est considérée comme le dernier rempart contre les médicaments falsifiés.
sérialisation

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Crédit photo : DR

Pourquoi le pharmacien d’officine français est-il intégré au dispositif ?

Certes, aucune circulation de contrefaçon n’est à déplorer dans le réseau officinal français, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays où, régulièrement, des médicaments falsifiés franchissent le comptoir des pharmacies.

En France, les produits appréhendés chaque année et appartenant au secteur pharmaceutique, représentent un montant de 1,4 milliard d’euros, soit 3,7 % du marché français du médicament. La plupart circulent via des sites de vente en ligne étrangers actifs dans l’Hexagone.

Néanmoins, la sérialisation fait l’objet de la directive européenne 2011/62 du 8 juin 2011. Par conséquent, l’ensemble des états membres, et par conséquent leurs officinaux, sont tenus de s’y conformer. Nul ne pourra s’y soustraire en dépit du poids que ce nouveau dispositif représente pour le pharmacien.

Quel sera le rôle du pharmacien ?

Le pharmacien d’officine – tout comme son confrère hospitalier en PUI — est le dernier maillon de la chaîne. Et l’acteur clé du dispositif de la sérialisation. En effet il devra, avant de remettre le produit au patient, procéder à trois manipulations : vérifier que le système antieffraction de la boîte est intact, se connecter auprès du répertoire national (France MVS, lui-même connecté au Hub européen, EMVS) afin de vérifier l’enregistrement de l'identifiant unique apparaissant sous forme d’un code de type Datamatrix (soit sur le territoire français, le code produit, le numéro de série, le numéro de lot, la date de péremption), et enfin supprimer ce même identifiant en dispensant la boîte. Cette dernière opération est dénommée décommissionnement.

Cet acte pharmaceutique à part entière impliquera le pharmacien dans de lourdes obligations. En effet, toute boîte décommissionnée ne pourra plus être dispensée à l’officine. De même, certaines pratiques qui avaient lieu jusqu’à présent, comme les « promis facturés », seront désormais exclues, toute facturation devant être désormais accompagnée d’un décommissionnement simultané. La sérialisation va donc entraîner une modification des modes de fonctionnement au comptoir et introduire de nouveaux process dans la dispensation. Attention toutefois, la sérialisation n'est pas un instrument de traçabilité.

Quels sont les outils requis à l’officine ?

Le numéro de série sera lu à l’aide d’une douchette. Il revient aux éditeurs de logiciels d’adapter le logiciel de l’officine à cette nouvelle fonction de sérialisation afin de permettre l'authentification du pharmacien auprès de la base nationale de données (NMVS) ainsi que la lecture du numéro de série. Cette opération conditionne le décommissionnement.

Le pharmacien qui devra assurer le financement de cette mise en conformité de son matériel informatique devra par ailleurs s’armer de temps (environ 300 ms, par boîte, pour l’interrogation du répertoire national) et de patience (en cas de bug ou de connexion inopérante).

Que faire en cas de bug ?

Le premier risque de bug est la défection de la connexion ou l'absence de haut débit. Deux cas de figure redoutés par les pharmaciens. Cependant, il apparaît que deux modes « synchrone » et « non-synchrone », voire « en déconnecté » sont envisageables.

En cas de code-barres détérioré ou illisible, le produit ne pourra être délivré. Si les informations en clair sur la boîte ne sont pas altérées, elles pourront toutefois être entrées manuellement.

En revanche, si un faussaire parvient à copier un numéro de série unique et que le produit contrefait franchit le comptoir de l'officine avant le médicament authentique, ce dernier ne pourra être délivré. Comment le pharmacien pourra-t-il expliquer dans ce cas, le refus de dispensation à son patient ? Quelle sera alors la conduite à tenir avec ces produits ? De même, quelle attitude adopter face aux retours des produits par le patient ? Comment intégrer la sérialisation dans la PDA ? Doit-elle l'être ? D’autres situations qui posent également question, les échanges entre confrères par exemple, n’ont toujours pas obtenu de réponses concrètes.

Les pharmaciens français seront-ils prêts le 9 février 2019 ?

La mise en œuvre de la sérialisation est confiée en France au MVO, organisme auquel siègent tous les acteurs de la chaîne du médicament, la CSRP (chambre syndicale des grossistes), LOGsanté (entité représentant les dépositaires), la Direction générale de la santé (DGS), les syndicats de pharmaciens hospitaliers et officinaux (lire encadré). Le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens a un rôle d’observateur.

La mise en conformité des officines avec ce dispositif dépend aujourd’hui avant tout de l’installation des nouvelles fonctionnalités au sein du logiciel métier des pharmaciens. Pour autant, les éditeurs de logiciels sont aujourd'hui face au flou le plus total. « Dans l'absence de réponses de France MVO et des pouvoirs publics au sujet des différents cas concrets répertoriés qui posent question, nous ne pouvons pas nous permettre de prendre position sur le process produit », explique Denis Supplisson, vice-président de la Fédération des éditeurs d'informatique médicale et paramédicale ambulatoire (Feima), chargé du collège pharmaciens.

Par ailleurs, Denis Supplisson indique un autre facteur de retard, encore plus problématique, selon lui. « Alors que l'ensemble de la profession est tombé d'accord pour que l'authentification du pharmacien se fasse par un tiers de confiance, en l'occurrence via le serveur du Conseil de l'Ordre des pharmaciens, aucun aval n'a été aujourd'hui obtenu auprès du MVO », expose-t-il. Dans ces conditions, les éditeurs de logiciel qui ont besoin de 250 jours pour développer le process d'interrogation, ne peuvent s'engager sans garantie que celui-ci est validé. On comprend alors qu'une mise en œuvre de la sérialisation d'ici au 9 février 2019 apparaisse aujourd'hui plus qu'hypothétique.

* À l’exception de produits homéopathiques et radiopharmaceutiques.

Marie Bonte
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Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3482