Les premiers influenceurs étaient des blogueurs. Le marketing d’influence naît réellement avec l’avènement des réseaux sociaux : Facebook (2004), YouTube (2005), Twitter (2006), Instagram (2010), Snapchat (2011), TikTok (2014)… C’est au milieu des années 2010 que l’influenceur est officiellement estampillé comme relais d’opinion et plus récemment encore comme key opinion leader ou KOL.
Alors que les campagnes de publicité classiques, tournées vers le mass média, s’essoufflent, la recommandation personnelle d’un influenceur à sa communauté est une aubaine et les marques le comprennent vite. Le sentiment d’appartenance, et donc de confiance, est plus fort, la parole se trouve libérée, la spontanéité est à l’honneur. Le principe a parfaitement fonctionné jusqu’à l’overdose. Jusqu’à ce que l’indépendance des influenceurs soit pointée du doigt : rémunération, produits gratuits, invitations, voyages. Ce que dénonce « Que Choisir » dès septembre 2015 après avoir réuni des témoignages de blogueuses reconnaissant ne pas toujours indiquer qu’un article est sponsorisé et devoir réécrire leurs posts jusqu’à ce que la marque soit satisfaite.
Scandale espagnol
Mais aujourd’hui, les pratiques – et le cadre juridique – ont évolué, explique Stéphane Bouillet, cofondateur d’Influence4You, agence et plateforme spécialisée dans le marketing d’influence. « Si un influenceur reçoit un produit, un service ou de l’argent en échange de son intervention, il doit indiquer sa collaboration de manière explicite et immédiate. Ces règles sont bien appliquées désormais et nous n’avons plus de marques qui demandent que leur sponsoring n’apparaisse pas. » L’agence est d’ailleurs l’auteur d’une infographie réalisée avec l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) sur les règles de transparence que tout influenceur doit appliquer. Auxquelles s’ajoute, en matière de santé, la réglementation générale concernant la publicité sur les médicaments.
Mais en Espagne, un scandale a éclaté fin 2019 à cause de recommandations de médicaments par des influenceuses mode et beauté : Eridosis (érythromycine) dans l’acné, aciclovir (antiviral) dans l’herpès ou Frenadol (équivalent de l’Humexlib utilisé dans les états grippaux) pour mieux dormir… L’Ordre des pharmaciens espagnol a saisi le ministère de la Santé, qui a mis en place une collaboration avec Google pour éliminer les contenus contrevenant aux règles sur YouTube. Une association d’officinaux a même lancé le slogan « Aucun influenceur n’est expert en médicament, ton pharmacien si. Les médicaments ne sont pas une mode ». Mais sur Instagram, le problème n’est pas encore réglé. « Ce type de publications ne peut plus se produire en France où le marché de l’influence a deux ou trois ans d’avance. Non seulement la réglementation doit être respectée mais l’influenceur a tout intérêt à éviter ce type de polémique s’il veut garder sa crédibilité. S’il dérape, il le paye auprès de sa communauté », explique Stéphane Bouillet.
Un double schizophrénique
Trois influenceurs en santé au profil très différent en sont pleinement conscients. Lionel Reichardt, alias Pharmageek sur les réseaux sociaux, réalise une veille active sur la santé et le digital. Notamment. Car ce « double schizophrénique sur la Toile » alimente une quinzaine de comptes Twitter qui touchent à l’hôpital, la pharmacie, les patients… ainsi que des comptes Facebook et LinkedIn. Sollicité en tant qu’influenceur, il se montre intraitable : « Je choisis les sujets, les marques avec lesquelles je travaille et je veux être libre de mes textes. » Pas de concession donc. Et hors de question de parler de médicaments. « Je viens du sérail et je connais très bien le cadre réglementaire, il n’y a aucun risque que je sorte de ce cadre », explique celui qui a passé une quinzaine d’années dans l’industrie pharmaceutique. Ses clients ? Principalement des institutionnels et des entreprises, dont des laboratoires pharmaceutiques. « Il faut que ça me plaise. Je ne fais rien de trop scientifique ou de trop médical, ce n’est pas mon domaine. » Seul Français classé au Top 10 des Health Tech Influencers au 4e trimestre 2019 selon Global Data, il n’en tire aucune gloire. « Bien sûr, je suis content quand on me remercie de tout ce que je partage. Mais mes trois enfants sont là pour me rappeler qu’être connu sur les réseaux sociaux, c’est comme être riche au Monopoly. » Le confinement actuel le conduit à une baisse d’activité qu’il a immédiatement mise à profit pour se consacrer à un projet de livre. Au sujet tout trouvé : « Pandémie 2.0 ».
Dans ton corps
Julien Ménielle a été infirmier pendant 10 ans avant de devenir journaliste. Présent de longue date sur les réseaux sociaux, il bénéficie d’une notoriété en ligne lorsqu’il lâche tout et crée la chaîne YouTube « Dans ton corps » fin avril 2016. Ce qui lui apporte 20 000 abonnés dès le début. Le relais des amis du milieu, en particulier grâce au partage de l’une de ses vidéos par Cyprien, fait grimper les effectifs à 100 000 en un mois. « Pour que les gens restent et pour continuer à se développer, il faut de la régularité et de la qualité, il faut être crédible car la communauté ne pardonne pas grand-chose. » Une recette payante puisque sa chaîne compte désormais plus de 680 000 abonnés. Et après une année sans gagner d’argent, il se dit « viable économiquement » depuis moins de deux ans. Au programme : une vidéo par semaine sur YouTube et des liens pour y accéder sur Instagram, Twitter et Facebook ; et parfois des extraits en guise de teaser.
Lui aussi a travaillé avec des associations de patients et des laboratoires pharmaceutiques, mais sans jamais parler de médicaments. « Aucun laboratoire ne me demande de parler de ses produits, mais plutôt de pathologies ou de prévention. Au final, je fais la vidéo sur le sujet exactement comme je l’aurais faite sans le laboratoire. » Des règles à respecter ? « Oui ! On peut rire, et c’est même mon credo, mais jamais des personnes. Et je refuse tout ce qui n’est pas validé scientifiquement. » Julien Ménielle a été l’un des deux Youtubeurs choisis par le ministère de la Santé, fin 2017, pour faire de la pédagogie sur la vaccination. Sans surprise, certains commentaires sous ses vidéos l’ont accusé de propagande. « Je suis tranquille sur ce point, au-delà de la validation scientifique, mes vidéos correspondent à mes convictions. Globalement je pense que les gens qui me suivent m’identifient comme quelqu’un d’intègre. »
Pharmalovers
Léa Wauquier est pharmacienne adjointe et « créatrice de contenus digitaux sur Instagram, Facebook, son blog et prochainement LinkedIn ». « J’ai effectué ma thèse de fin d’étude sur la prise en charge de l’équilibre micronutritionel à l’officine, puis j’ai affiné mon conseil en travaillant et j’ai suivi beaucoup de formations. Je sentais qu’il me manquait quelque chose pour m’épanouir, jusqu’à ce que je décide de créer un compte Instagram de conseils pharmaceutiques en avril 2018 : Les conseils pharma de Léa. » Micronutrition et dermocosmétique y occupent une place de choix. La jeune femme y aborde aussi le sport, la grossesse, des pathologies comme l’arthrose ou les allergies, ainsi que le stress, le sommeil… Son but : donner une information claire et la plus complète possible à ses « pharmaloveurs ».
La communauté santé sur les réseaux sociaux étant encore réduite, Léa Wauquier a rapidement créé des liens avec d’autres professionnels de santé comme Docteur Flo (médecin) et Monsieur Clavicule (kiné), avec lesquels elle a réalisé des posts communs. Progressivement, son activité hors de l’officine se développe. Parler des médicaments ne lui pose pas de problème puisqu’elle les aborde par famille, et en DCI, sans jamais citer de marque. Très sollicitée, Léa Wauquier indique refuser d'emblée plus de 80 % des demandes et toujours se poser la question de l’éthique. « Je montre des produits sur mon compte Instagram, comme je le fais au comptoir de la pharmacie. Cette démarche a été critiquée par des confrères sur Facebook mais je l’assume, et je peux garantir à mes lecteurs que je teste et j’analyse au préalable chacun des produits dont je parle. »
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