Si, aujourd’hui, réaliser une consultation depuis son ordinateur ou depuis l’espace de confidentialité d’une officine n’a plus rien d’inhabituel, il aura fallu quelques années pour en arriver là. Le décret du 19 octobre 2010, pris en application de la loi dite « loi HPST » relative aux patients, à la santé et aux territoires, introduit cinq actes médicaux réalisables en télémédecine. À savoir : la téléconsultation ; la télé-expertise ; la télésurveillance médicale ; la télé-assistance et la régulation. Ces pratiques sont encouragées par les gouvernements successifs depuis 2012 et le Pacte territoire santé 2012-2015. Mais il aura fallu attendre près de dix ans et la pandémie de Covid-19 pour que certains de ces actes se démocratisent enfin, et particulièrement derrière les vitrines des officines.
Au vu des données et dans un contexte de pénurie de praticiens, de fermetures de services d’urgences et de vieillissement de la population avec, pour corollaire, une augmentation de la demande de soins, la tendance n’est pas près de s’inverser. D’autant que ces solutions sont présentées par les pouvoirs publics et – business oblige – ceux qui les fournissent, comme des alternatives viables pour compenser le manque de médecins. Et la tendance va s’accentuant. D’après le site vie-publique.fr, édité par la Direction de l'information légale et administrative, « l’accessibilité géographique aux médecins généralistes a baissé de 3,3 % entre 2015 et 2018, en raison d’un décalage croissant entre l’offre et la demande de soins ».
Lutter contre les déserts médicaux
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, ce sont, en France, plus de 10 millions de téléconsultations qui ont été réalisées, en 2021, par des médecins généralistes, contre 80 000 en 2019 avant la crise sanitaire. Le marché explose, d’autant plus pour la téléconsultation. En témoigne le nombre d’opérateurs et de MedTech qui poussent comme des champignons. Qare, Medaviz, Tessan, Visiomed Group, H4D, Medeo, Cegedim Santé, BewellConnect, Doctegestion, Medadom etc., la liste est longue. Tous sont sur les starting-blocks et n’en finissent plus de développer leur offre de téléconsultation.
Si pendant la pandémie, celle-ci s’effectuait bien souvent depuis son domicile, sur son canapé, elle a désormais trouvé un nouveau point de chute dans les pharmacies à travers des produits dédiés. Bien sûr, des plateformes, comme Maiia ou Medeo, dispensent toujours des téléconsultations avec médecin (partenaire ou salarié), sans rendez-vous, directement depuis son ordinateur ou son smartphone. Mais peu à peu, les officines font le choix de s’équiper de dispositifs directement intégrés dans leurs locaux. Le pharmacien peut faire au plus simple en s’équipant d’un ordinateur ou d’une tablette avec webcam et prendre un abonnement auprès d’un opérateur, soit miser sur les très médiatisées bornes et cabines dédiées à la télémédecine.
Outils de mesures
Car depuis quelque temps, ce sont bien ces consoles et bornes développées par les fabricants qui proposent peu ou prou les mêmes fonctionnalités qu’un ordinateur, à quelques détails près. « Positionnées en pharmacie dans un espace de confidentialité, elles permettent de réaliser une téléconsultation avec un médecin, avec ou sans rendez-vous, qui sera épaulé par le pharmacien », décrit Emmanuel Bertrand, vice-président commerce en charge des équipes commerciales pour Cegedim Santé. Ce qui permet de répondre, au moins en partie, à la problématique de désertification médicale. À ce titre, Medeo a d’ailleurs récemment équipé 16 pharmacies du Haut-Bugey (01), un territoire qui compte seulement 60 médecins pour 70 000 habitants.
Mais fondamentalement, quelle différence avec une consultation classique depuis son ordinateur ? Ces solutions sont équipées de dispositifs de mesure connectés avec lesquels ils peuvent couvrir jusqu’à 90 % des diagnostics, assure Medadom qui équipe plus de 1 000 pharmacies. Ce sont généralement un thermomètre ; stéthoscope connecté ; tensiomètre ; un otoscope ; un oxymètre.
Autre avantage selon Emmanuel Bertrand : « À partir du moment où vous faites une téléconsultation à l’officine, vous êtes directement dans l’officine pour pouvoir accéder à la prescription et au médicament. »
Les petites pharmacies aussi
Et les produits s’affinent à mesure que la demande progresse. En juin 2022, à l’occasion d’une conférence de presse à laquelle « le Quotidien » avait assisté, la MedTech Medadom, présentait un produit dédié aux petites officines. Idéal pour celles qui « ne peuvent pas monopoliser leur espace de confidentialité avec une borne ou une cabine », faisait remarquer Nathaniel Bern, cofondateur et directeur des nouvelles technologies de Medadom. Baptisée « la console », cette solution, voulue ergonomique avec ses 40 cm3, regroupe les mêmes outils de mesures que les bornes et cabines traditionnelles. Soit un dermatoscope, un thermomètre, un stéthoscope, un otoscope, un oxymètre, un tensiomètre et un lecteur de carte Vitale. Sans oublier les usages classiques de la téléconsultation. La console fournit une prise en charge sans rendez-vous, en secteur 1, du lundi au dimanche, de 8 h à 23 h.
Les pharmaciens aux petits soins
Plus récemment, avec la mise en place des protocoles de coopération nationaux, que les médecins peuvent désormais déléguer certains actes et activités à d’autres professionnels de santé, pharmacies comprises. Alors que les médecins manquent, l’idée est simple : élargir l’offre et fluidifier les parcours des soins, tout en réduisant le temps d’attente pour une prise en charge.
Dans ce contexte, les pratiques de la télé-expertise et de la télésurveillance trouvent des débouchés en officine : amélioration de l’observance, reconnaissance des effets iatrogènes sur les traitements prescrits par exemple ou accélération de la prise en charge. Un pharmacien peut même réaliser un examen sous la délégation d’un médecin traitant. En contact direct avec la patientèle, et parfois le lien le plus proche avec la santé, le pharmacien peut aussi simplement recueillir les retours d’un patient sur un traitement et pourra dialoguer ensuite avec le médecin traitant afin d’adopter la meilleure marche à suivre.
Comment ? Là encore, les solutions ne manquent pas. Ce sont déjà les bien connues messageries sécurisées de santé (MSS), déployées à travers diverses plateformes et applications et qui facilitent l'échange entre professionnels de santé et patients. C’est, par exemple, Pandalab Pro (Pharmagest), une messagerie instantanée entre pharmaciens et professionnels de santé à télécharger directement depuis Google Play.
L’engagement du pharmacien
C’est encore Bimedoc, une Medtech qui déploie une plateforme digitale de mise en relation des professionnels de santé pour la réalisation de parcours de soins digitalisés. Y ont été récemment intégrés les protocoles de coopération nationaux. Comment ça marche ? Un(e) patient(e) se présente en officine, le pharmacien remplit un questionnaire sur son profil clinique dans le cadre des protocoles de coopération et édite une ordonnance de prise en charge, une fiche conseil, avant de délivrer un traitement. « L’ensemble des documents va être transmis directement au médecin traitant, soit sur l’application à disposition ou alors dans le dossier médical partagé “Mon espace santé” du patient », nous expliquait Pierre Renaudin, directeur général de Bimedoc. Médecin et pharmacien peuvent ensuite échanger sur les bilans médicaux, via la messagerie instantanée. « Mon espace santé », parlons-en ! Il a pris le relais du DMP et a été généralisé à l’ensemble de la population depuis février 2022. Cet espace doit permettre aux praticiens de dialoguer et de prendre connaissance des dossiers médicaux.
Mais ce qui doit faciliter la vie du patient peut alors compliquer celle du pharmacien. Car si tous ces dispositifs de télémédecine apportent des réponses au manque de médecins et facilitent la prise en charge des patients, quid du temps du pharmacien ? Tous ces appareils et solutions demandent, à plus ou moins grande échelle, un certain engagement de la part des titulaires. Dans le cas d’une solution de téléconsultation placée en officine, un pharmacien devra accompagner et guider les patients, notamment les moins autonomes, en particulier dans l’utilisation des dispositifs médicaux qui risquent vite de les dépasser. Cette charge de travail est certes compensée, du moins en partie, par des subventions et rémunérations à la téléconsultation par exemple, mais elle s’ajoute à la liste (déjà longue) des nouvelles missions du pharmacien.
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