« Que faire face à un patient obèse qui a une insuffisance rénale ? Un tel patient, plus encore s’il est grand, nécessite l’administration d’un dosage plus important de son traitement si on veut qu’il soit efficace, mais s’il souffre d’une insuffisance rénale, et donc élimine plus lentement, il faudra au contraire diminuer ce dosage. »
C’est à ce type de difficulté, décrite par Frédéric Dayan, directeur général d’Exact Cure, que se trouvent confrontés les professionnels de santé. Un médicament doit par définition être d’un usage prudent, y compris parmi les plus courants, on le sait désormais par exemple pour le paracétamol dont l’excès de consommation peut être dangereux. Or, un médicament a une vie. « C’est pendant sa commercialisation qu’on va au final engranger le plus d’informations dessus », souligne Frédéric Doc, responsable solutions intégrées pour le marché libéral chez Vidal Group. « Le bon usage des médicaments, c’est de permettre aux pharmaciens d’accéder à une base d’informations qui soit à jour, or des informations sur les médicaments, on en acquiert tous les jours », décrit-il. Toute la problématique des acteurs du médicament est de faire en sorte que les prescripteurs, dispensateurs et consommateurs disposent de la bonne information au bon moment. Et c’est toute la force du digital que de faciliter la collecte, la hiérarchisation et la transmission de cette information.
Rendre intelligible l’information sur le médicament
Les pharmaciens, mais aussi les patients, ont accès à un très grand nombre d’informations, parmi lesquelles les bases de données et notamment la plus connue d’entre elles, Vidal. Laquelle considère les outils digitaux comme « de véritables supports quotidiens », selon Frédéric Doc. « Les pharmaciens ont une connaissance approfondie des médicaments, leurs interactions, les posologies, etc. Notre objectif est de mobiliser leur attention sur l’ensemble des dangers liés au médicament, un produit très complexe, toujours dans un rapport bénéfice-risque. »
Vidal propose ainsi des éléments de sécurisation qui se déclenchent dès le scan du code-barres du médicament, par exemple un usage inadapté chez un patient. D’autres acteurs, dont de nombreuses start-up, proposent aussi des outils susceptibles d’aider les différents protagonistes du médicament à mieux maîtriser son usage. Parmi elles, Il y a celles qui prennent le sujet du point de vue du patient pour les aider à mieux comprendre leurs traitements et mieux appréhender les problématiques qui leur sont liées. C’est le cas par exemple de la société Beyowi, une société de consulting qui a développé Medicamentum, une application mobile destinée à rendre intelligible et facile d’accès l’information sur le médicament. Tout le monde a lu au moins une fois une notice de médicament, et tout le monde a été perplexe devant la somme d’informations qui la composent, sans aucune hiérarchie, et souvent anxiogènes. « Nous avons voulu en quelque sorte traduire un jargon médical en un jargon accessible au patient », explique Pascal Huynh, le cofondateur de Beyowi. Dès lors que l’application repère une anomalie, elle envoie une alerte et conseille de ne pas administrer tel médicament. Conseille, car bien sûr Beyowi ne veut pas se substituer aux professionnels de santé. « Nous faisons en sorte que le patient puisse se poser la question, et devienne acteur de sa santé » affirme-t-il. Ces anomalies sont détectables aussi parce que Medicamentum enregistre des données spécifiques à chaque profil, du moins dans sa nouvelle version disponible en ce début d’année. Des données physiologiques de base, l’âge, le poids, la taille, le sexe, etc.
Une approche individualisée
C’est sans doute l’avenir de ces applications susceptibles d’aider les patients à mieux appréhender leurs traitements, une façon d’individualiser cette approche. C’est la stratégie qu’applique la société Exact Cure et son jumeau numérique, une « véritable modélisation digitale qui permet de créer une sorte d’avatar dans l’application », explique Frédéric Dayan. Les algorithmes de l’application prennent en compte les caractéristiques personnelles et va les simuler en continu en fonction des médicaments absorbés. « Et aboutir à une simulation quantitative pour un médicament donné, par exemple, évaluer que pour tel(le) patient(e), le Doliprane va commencer à avoir de l’effet 22 minutes après l’avoir ingéré, puis va avoir son pic d’efficacité dans 40 minutes pour s’éliminer 5 h 22 min plus tard », précise Frédéric Dayan. Ceci dans le cas de données de base simples, avec lesquelles l’application couvre 90 % des médicaments affirme le jeune dirigeant. Mais l’application peut aller plus loin, avec des données plus spécifiques, un bilan hépatique par exemple. Dans ce cas, l’application peut lancer une alerte quand il voit une anomalie et conseiller d’aller voir un médecin. « Si un dialogue s’installe avec le professionnel de santé, c’est gagné », affirme Frédéric Dayan.
Son avatar dans le smartphone
L’objectif d’Exact Cure est de créer un lien fort avec l’avatar du patient, un avatar qui va permettre au patient de mieux s’impliquer dans la gestion de ses traitements. C’est pour la jeune entreprise un aspect psychologique décisif susceptible d’emporter la décision des patients.
« La difficulté des outils digitaux est d’œuvrer dans l’intérêt du patient en assistant le professionnel de santé dans sa prise de décision sans pour autant être intrusifs », rappelle Frédéric Doc. Un aspect que tous ceux qui travaillent sur l’observance connaissent bien. Pour Frédéric Dayan, « on peut mentir à son médecin, à son pharmacien, mais pas à son double numérique, le patient sait pourquoi il l’intègre dans son smartphone, il sait que cela peut avoir un impact positif sur lui ».
La façon de transmettre ces informations pharmacologiques fait l’objet de toutes les attentions de la part de ces start-up qui cherchent la façon la plus facile et la plus ergonomique de parler d’un domaine par essence complexe. Ainsi Exact Cure a-t-elle choisi une sorte d’horloge avec un bandeau allant du vert au rouge, cette dernière couleur exprimant une zone de surexposition aux médicaments. De même, Medicamentum a choisi de montrer par des symboles et des couleurs qu’il y a des questions à se poser. Cette approche individualisée de la pharmacologie n’est pourtant pas si simple à mettre en œuvre, parce qu’elle touche à un domaine très sensible, celui des données de santé. « Nous ne l’avons d’ailleurs pas fait lors de la première version », avoue Pascal Huynh, compte tenu des contraintes règlementaires, notamment celles liées au RGPD. Pour la deuxième version, de Medicamentum, Beyowi a pris ses précautions au plan technologique de sorte que les données sont stockées sur les portables des patients, et s’il est vrai que par le biais de ses algorithmes, l’application donne ses préconisations, l’entreprise elle-même n’a aucune visibilité sur leurs données liées à leurs profils.
Du côté des pharmaciens
L’approche de ces entreprises est avant tout orientée vers les patients, mais elle n’est pas exclusive d’une autre approche plus centrée sur les professionnels de santé, et les pharmaciens particulièrement. Ainsi Exact Cure propose-t-il une version « pro » de son produit le jumeau numérique, une interface en réalité, qui permet au professionnel de santé de suivre en temps réel ce qui se passe du côté du patient.
Mais d’autres encore abordent la problématique du bon usage du médicament par le biais des pharmaciens, c’est la stratégie privilégiée par Synapse Medicine. Sa solution est basée sur des algorithmes qui balaient sans cesse ses sources d’information pour une base de connaissances toujours à jour explique Clément Ghoers, le dirigeant de la société. « Elle permet ainsi de faire de l’analyse pharmaceutique, identifier les interactions médicamenteuses et les erreurs de posologie, vérifier les contre-indications avec le terrain du patient et les problématiques d’effets indésirables », commente-t-il. Une solution qui se suffit à elle-même mais les dirigeants de la start-up ont décidé de l’intégrer à une gestion des bilans partagés de médication afin de faire d’une pierre deux coups, d’un côté proposer aux pharmaciens un moyen d’assurer ces BPM en un temps beaucoup plus court, réduit d’une heure à une vingtaine de minutes selon Clément Ghoers, et de l’autre disposer d’une analyse pharmaceutique pour mieux maîtriser l’ensemble du process. « Il n’y a pas de prérequis, c’est une solution clés en main, immédiatement opérationnelle », précise encore le dirigeant. « Nous y mettons toutes les questions nécessaires et suffisantes pour mener à bien le BPM, même si le pharmacien doit nécessairement interroger le patient sur ses autres traitements tant qu’on n’a pas un DMP parfait, le logiciel peut aussi dire qu’il ne peut faire l’analyse pharmaceutique faute d’informations suffisantes. »
Un enrichissement collectif
Les différentes solutions proposées peuvent aussi enrichir la connaissance collective de la pharmacologie. Tout le monde ne réagit pas de la même façon à un traitement, l’effet thérapeutique peut se produire à dose assez faible pour certains patients, ou à des doses plus importantes pour d’autres, ou encore ne pas se produire du tout. D’où la nécessité de mieux connaître les effets thérapeutiques, en fonction de différents critères. C’est ainsi que Medicamentum sert aussi à récolter des retours patients, des informations hétérogènes que l’entreprise recueille pour le compte d’institutions publiques en lien avec l’assurance-maladie, le Health Data Hub notamment, qui se chargeront de la rendre intelligible.
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