Relayé par l'Académie de pharmacie

Un appel à réformer les pictogrammes « grossesse »

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Publié le 23/05/2019
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L’Académie de médecine a décidé de s’emparer de la problématique complexe engendrée par la création des pictogrammes « grossesse » créés dans le sillage de « l’affaire Dépakine ». Une communication présentée le 15 mai dernier à l’Académie de pharmacie en a exposé les tenants et aboutissants. Ou, « quand des intentions louables conduisent à des conséquences incertaines », selon le Dr Élisabeth Elefant.
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Crédit photo : GARO/PHANIE

Tout commence par le décret du 17 octobre 2017 instituant l’obligation faite aux firmes pharmaceutiques d’apposer, sous leur responsabilité, un pictogramme spécifique sur le conditionnement extérieur des médicaments, signalant un potentiel risque tératogène ou fœtotoxique (selon les mentions figurant dans le RCP de chaque médicament), matérialisé par deux pictogrammes « Danger » et « Interdit ».

Inflation et confusion

Selon le Dr Elefant, les substances tératogènes (hors chimiothérapies antimitotiques) seraient au nombre d’une quinzaine, les produits fœtotoxiques avérés se montant, quant à eux, à une quarantaine (parmi lesquels les nombreux AINS, IEC et ARA2). Cela représente au total environ 10 % des spécialités commercialisées en France. Mais, le cumul de ces dispositions aboutit à concerner en pratique… 60 à 70 % des spécialités sur le marché ! « La source d’une telle proportion réside dans une véritable dérive des mesures édictées par les pouvoirs publics », souligne le Dr Elefant. De fait, le texte initial ne précise pas si ces toxicités sont observées uniquement chez l’animal au cours des essais précliniques ou s’il s’agit de molécules qui, une fois mises sur le marché, ont fait la preuve dans l’espèce humaine d’effets tératogènes ou fœtotoxiques.

Or, il existe d’importantes difficultés pour les laboratoires d’apprécier ce qu’il convient d’apprécier ou non. D’autant que les doses administrées à l’animal sont élevées, bien au-delà des doses thérapeutiques, afin de « forcer » la toxicité des molécules et qu’il est impossible de réaliser des extrapolations immédiates et systématiques chez l’homme. De plus, même dans l’espèce humaine, les données contradictoires en cette matière sont fréquentes ; et le risque peut être de faible intensité, voire même réversible.

Comme il était logique de s’y attendre dans un tel contexte, par souci de prudence, les laboratoires pensent légitime d’apposer un tel pictogramme au moindre doute chez l’animal.

Des interrogations multiples

Un point particulièrement choquant, selon le Dr Elefant, est l’absence de recommandations quant aux éventuelles alternatives thérapeutiques.

Avec comme conséquences une confusion entre les niveaux de risque, une paralysie de la prescription, de graves interrogations au plan médico-légal, de longues et pénibles discussions au cabinet médical, voire au comptoir de l’officine et des décès liés à des arrêts intempestifs de traitement. In fine, c’est à chaque patiente de décider ce qu’elle souhaite faire.

Enfin, certaines décisions interpellent, sans explications claires, comme le fait d’affecter le pictogramme « Danger » sur la Titanoréine, pourtant classiquement utilisée dans les crises hémorroïdaires chez la femme enceinte (présence de lidocaïne ?), sur des patchs à la nicotine (quid de « grossesse sans tabac » ?), et même sur certains anti-asthmatiques par inhalation. Parmi d’autres situations incompréhensibles, le Dr Elefant cite encore le cas de l’azathioprine (Imurel, un immunosuppresseur), dont le princeps est revêtu du pictogramme « Interdit », alors que ses génériques ont « seulement » un pictogramme « Danger ».

Face à une telle réalité, l’Académie de médecine a appelé à mettre un terme à la situation actuelle en redéfinissant le périmètre du décret de 2017, en considérant que seules les substances ayant fait la preuve de leurs effets délétères pour la grossesse humaine devraient se voir apposer un pictogramme « Interdit ». « Pour les autres substances, aucun pictogramme ne devrait être apposé, des échanges entre prescripteurs, pharmaciens et patientes, sur la base des informations médicales disponibles et de la notice devraient suffire, évitant de surcroît des effets d’alerte inutiles et contre-productifs. »

Didier Rodde

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3522