Les mots du client
- « Mon père a développé une escarre sacrée dans la maison de retraite : il doit maintenant être hospitalisé !
- Ma voisine a un ulcère à la jambe : elle souffre le martyre.
- Ma sœur se plaint depuis un mois d’une sorte de trou qui s’est creusé à sa cheville.
- Ne serait-il pas aussi utile de prendre des antibiotiques pour traiter mon ulcère ?
- Comment faire pour éviter que mon ulcère à la jambe ne revienne ? »
Définitions
Escarres et ulcères partagent deux points communs essentiels : ils ont pour étiologie une perte de substance de la peau et des plans sous-cutanés et ils ne cicatrisent pas de façon spontanée. Toutefois, pour l’escarre de décubitus comme pour l’ulcère artériel, l’ischémie tissulaire est au premier plan de la pathologie : elle est d’origine mécanique dans l’escarre, athéroscléreuse dans l’ulcère artériel. S’agissant de l’ulcère veineux, la stase sanguine entraîne des troubles trophiques expliquant secondairement la perte de substance. Il est donc logique que l’escarre concerne essentiellement des patients alités de façon prolongée alors que l’insuffisance veineuse, une maladie athéromateuse ou le diabète constituent des facteurs favorisants la survenue d’un ulcère. Dans tous les cas, il en résulte une plaie torpide dont la prise en charge est analogue quelle que soit la situation.
Les complications de ces deux types d’affections cutanées peuvent être de nature infectieuse : elles sont alors soit locales (érysipèle) soit systémiques (septicémie), ou iatrogènes (eczéma de contact induit par des traitements allergisants et non adaptés). Escarres et ulcères peuvent également favoriser l’apparition de lésions osseuses locales, ou, de façon non exceptionnelle, lorsqu’ils se chronicisent, d’un carcinome épidermoïde. La douleur, quant à elle, varie selon le type de lésion : elle peut être quasiment absent ou intolérable et nécessite alors bien sûr une prise en charge spécifique - notamment à l’occasion des soins - par des antalgiques de palier 2 ou 3. Le risque de tétanos justifie un éventuel rappel vaccinal. Enfin, dans tous les cas, les mesures de prophylaxie sont fondamentales compte tenu du caractère volontiers récidivant de ces affections.
Les escarres
Rappel physiopathologique.
L’escarre est une lésion cutanée d’origine ischémique induite par la compression des tissus mous entre un plan dur et des saillies osseuses. On la voit parfois décrite comme une plaie qui irait de l’intérieur vers l’extérieur, dont la base serait profonde, qui a une forme conique, ce qui distingue formellement une escarre d’une simple abrasion cutanée ou dermique : de ce fait, les lésions visibles sur la peau peuvent sembler très réduites alors que la destruction des tissus internes est déjà considérable. Cette lésion chronique, parfois rapidement évolutive, a un retentissement fonctionnel important (altération de l’image de soi et de la relation à autrui par la présence de cette plaie parfois suintante et malodorante). Elle est souvent à l’origine de douleurs imprévisibles, non corrélées à l’extension de la lésion, et difficiles à contrôler. Compte tenu de son étiologie, l’escarre s’observe surtout au niveau des talons, des trochanters, du sacrum ou des ischions.
Rappel épidémiologique.
Il est difficile d’apprécier exactement la fréquence de l’escarre : le chiffre de 300 000 personnes touchées en France est souvent avancé, mais il est probablement inférieur à la réalité… Entre 17 % et 50 % des patients entrant dans les services de soins prolongés présentent des escarres, mais l’incidence est très variable selon le type de patient.
Des facteurs de risque propres à certaines situations cliniques ont été identifiés. En neurologie, orthopédie et traumatologie, pression, perte de mobilité et déficit neurologique expliquent la survenue d’escarres. En gériatrie, il s’agira plus spécifiquement de la fragilité de la peau et des tissus mous sous-cutanés, de l’insuffisance d’apports protido-caloriques, mais également des affections cardio-vasculaires, de l’hypotension artérielle ou de l’hyperthermie. Enfin, en soins intensifs, une altération majeure de l’état général, l’incontinence fécale, l’anémie et la longueur du séjour hospitalier constituent autant de facteurs prédictifs du développement d’une escarre. En hôpital, une escarre, quelle qu’en soit l’origine, augmente la durée de séjour, alourdit la charge de soins et accroît la morbidité générale.
Prise en charge locale.
La prise en charge d’une escarre varie selon son stade. Sans pouvoir ici entrer dans le détail, quelques points essentiels méritent d’être rappelés :
- Dans tous les cas, il faut proscrire les massages et les frictions, l’application de glaçons, d’air chaud, les solutés alcoolisés desséchant la peau (la plaie ne doit jamais être asséchée), les antiseptiques colorants qui masquent la plaie. C’est le soluté physiologique (qui est donc isotonique) qui constitue la référence du traitement d’une escarre, quel qu’en soit le stade ; l’eau purifiée doit être évitée car elle peut être douloureuse en raison du manque d’isotonie.
- Au stade de simple rougeur, il faut supprimer les points d’appui en recourant à un support, protéger la peau (urine, macération) par un film semi-perméable ou un pansement hydrocolloïde, supprimer les facteurs favorisants et veiller à modifier la position du patient toutes les 2 à 3 heures au moins.
- Au stade de phlyctène, réaliser au bistouri une brèche pour évacuer le contenu liquide, puis recouvrir le tout d’un hydrocolloïde ou d’un pansement gras et mettre bien sûr la phlyctène hors d’appui.
- Une fois l’escarre constituée, le traitement passe par une détersion mécanique précoce et soigneuse et par un choix avisé des pansements appliqués qui respecteront le bourgeonnement, favoriseront l’épidermisation et éviteront toute surinfection.
Les principales qualités que l’on peut attendre d’un pansement sont de favoriser une cicatrisation dirigée en milieu humide (maintien de l’exsudat et d’un environnement chaud et humide), ne pas être douloureux lors du changement, ne pas laisser passer de micro-organismes, ne pas laisser de fibres dans la plaie, ne pas adhérer à la lésion, être stérile et confortable, et s’adapter aux localisations de l’escarre. Le choix entre les divers pansements s’est extrêmement élargi depuis les années 1960, période où a été conçu le principe de la cicatrisation en milieu humide et où ont été commercialisés les premiers pansements hydrocolloïdes. Depuis, le soignant dispose de nombreux types d’hydrocolloïdes (hydratant la plaie en maintenant l’exsudat en place car leur composant se transforme en gel en l’absorbant), d’hydrogels (contenant plus de 90 % d’eau, ils hydratent bien les plaies sèches mais nécessitent un pansement couvrant), d’hydrocellulaires (pansements dotés d’une mousse absorbante fonctionnant comme une éponge se gonflant de liquides), d’hydrofibres et d’alginates (bénéficiant d’une très grande capacité d’absorption, dotés de propriétés hémostatiques, ces pansements requièrent un pansement secondaire car l’alginate est perméable aux liquides et bactéries), de pansements à l’argent (antiseptique) ou au charbon (adsorbant les odeurs), de films, de pansements gras et d’interfaces (nouvelle génération de pansement gras où une mousse absorbante est associée aux lipides, apportant un effet d’absorption des exsudats). Certains de ces pansements sont déclinés sous forme d’une pâte ou de mèches permettant de combler les lésions creusées.
Chaque type de plaie relève d’un type particulier de pansement :
- Plaie sèche (plaie nécrotique par exemple) : hydrogel réhydratant la plaie ;
- Plaie exsudative : pansement hydrocellulaire dont les capacités d’absorption sont supérieures à celle du pansement hydrocolloïde ;
- Plaie très exsudative : alginate ou hydrofibre pour sa capacité d’absorption particulière ;
- Plaie malodorante : pansement au charbon ;
- Plaie infectée : pansement argent + charbon ou alginate appliqué sous un pansement secondaire non imperméable si la plaie est exsudative.
Les fabricants déploient des trésors d’imagination pour adapter au mieux les divers types de pansements aux lésions : certains sont conçus avec des formes parfaitement adaptées à la topographie des lésions, qu’ils épousent ainsi au mieux ; d’autres sont transparents afin de faciliter le suivi visuel de l’évolution de la plaie, d’autres sont munis de marges spécifiques facilitant leur maintien, etc.
Prise en charge systémique.
Le traitement repose sur la prescription d’antalgiques pour douleurs nociceptives ou d’autres pour douleurs neuropathiques : il n’est pas exceptionnel qu’une escarre impose un traitement antalgique continu. Si besoin, une antibiothérapie est instaurée, sur antibiogramme, lorsque l’infection de l’escarre est avérée. Enfin, les apports nutritifs doivent être suffisants et riches en protides.
Traitement chirurgical.
Les escarres accidentelles, liées à un trouble très momentané de la conscience ou à un alitement prolongé, et les escarres d’origine neurologique constituent l’indication élective d’un geste chirurgical. En revanche, un sujet grabataire, dont les escarres sont récidivantes ne pourra bénéficier de la chirurgie. De plus, la chirurgie est particulièrement indiquée pour prévenir l’infection d’une escarre importante ou lorsqu’elle est déjà déclarée, lorsque les lésions menacent des axes vasculaires ou des troncs nerveux, des tendons ou d’autres structures articulaires et lorsque l’os est dénudé.
Prophylaxie.
Une escarre est toujours évitable : sa survenue signe donc un échec dans sa prévention. La prévention de l’escarre va de mesures simples et économiques (conseil alimentaire, explication des bonnes positions, implication du patient si cela est possible,...) à une prise en charge lourde (support dynamique, surveillance et retournements réguliers par du personnel qualifié…). L’évolution souvent rapide d’un patient à risque amène à réactualiser les moyens prophylactiques, notamment en cas de dégradation rapide de son état général.
La Conférence de consensus (2001) préconise diverses mesures générales de prévention : diminution de la pression, utilisation de mesures spécifiques, surveillance de l’état cutané, maintien d’un équilibre nutritionnel…
- Un support adapté (lit, matelas statique ou dynamique, sur-matelas, coussins de siège, coussins et accessoires de positionnement) constitue une action prioritaire pour limiter la pression d’interface entre la peau et le support.
- Pour diminuer la pression, la position du patient doit être changée toutes les 2 à 3 heures au moins. L’effleurement (ou « effleurage ») des zones à risque, en l’absence d’inflammation locale, de lésions ou d’érythème persistant à la pression (qui signe une escarre de stade 1 sur lequel l’effleurage est inactif) est réalisé à chaque changement de position, au besoin avec une huile adaptée : il améliore la micro-circulation sanguine locale et contribue à prévenir l’escarre (rappelons qu’un véritable massage est contre-indiqué dans la prévention de l’escarre !).
- La prise en charge prophylactique de la dénutrition présente de nombreux points communs avec celle à visée curative. Les besoins, en prophylaxie, sont toutefois moindres que si l’escarre est déjà constituée.
Les ulcères de jambe
Comme l’escarre, l’ulcère de jambe est une plaie cutanée chronique ne se cicatrisant pas spontanément. Il complique généralement une affection vasculaire sous-jacente, mais peut aussi compliquer une vascularite, une dermatose neutrophilique, une infection cutanée profonde (mycobactériose, mycose), un cancer cutané, une hémopathie maligne. Quelque soit sa nature, cet ulcère peut altérer de façon importante l’état général, a un retentissement psychologique non négligeable et expose à des complications nombreuses : eczéma de contact (si le traitement est réalisé avec des substances non adaptées et allergisante), surinfection microbienne, ostéopathie articulaire, cancérisation.
Ulcère veineux.
L’ulcère veineux concerne avant tout les femmes de plus de 70 ans, multipares et obèses, souvent au décours d’un alitement prolongé, d’une intervention orthopédique. Il n’est autre que la phase tardive de l’évolution d’une insuffisance veineuse chronique, soit en raison de varices soit en raison d’une insuffisance valvulaire profonde primitive. L’hypertension veineuse due au reflux ou à l’obstruction induirait des troubles de la microcirculation avec anoxie locale expliquant le développement de l’ulcération qui siège dans la région sus-malléolaire interne ou sur la face interne de la jambe.
De forme ovale ou en « carte géographique », cet ulcère est généralement de grande taille, peu profond et peu douloureux. Son fond est propre et bourgeonnant et ses bords souples, sans relief (bon pronostic d’évolution) ou, au contraire, il est recouvert d’un enduit jaunâtre ou croûteux, surinfecté, purulent, parfois malodorant, atone avec des bords saillants et cornés (pronostic alors défavorable). Il peut se compliquer d’hémorragies par rupture de varice.
Le périmètre de l’ulcération est aussi caractéristique : on y observe des plaques érythématosquameuses, parfois prurigineuses (« eczéma variqueux »), des lésions de capillarites (placards de dermite brunâtre, atrophie blanche algique), lésions d’hypodermites faisant enfler la jambe qui devient rouge, douloureuse, pyrétique.
Le diagnostic, aisé, repose sur la clinique (varices, ankylose de l’articulation tibio-tarsienne) et sur l’échographie Doppler.
Le traitement est adapté aux phases évolutives de l’affection. Une antibiothérapie systémique n’a pas d’indication en l’absence d’infection clinique, non plus qu’une antibiothérapie locale.
- Détersion. L’ulcère est nettoyé à l’eau savonneuse ou, à court terme, avec un antiseptique (bain). La détersion est réalisée à la curette sous anesthésie locale et antalgie générale, voire, si besoin, sous anesthésie loco-régionale. L’infirmier applique alors un hydrogel et des pansements hydrocolloïdaux ou à base d’hydrofibres. Surinfection et exsudation malodorante font préconiser des pansements au charbon actif ou à l’argent colloïdal.
- Traitement en phase de bourgeonnement et de réépidermisation. Il repose sur les mêmes bases que pour l’escarre de décubitus.
Un geste chirurgical est parfois nécessaire (éveinage superficiel, parfois phlébectomie) mais une sclérothérapie peut lui être préférée. Les médicaments veinotoniques, sans impact sur l’ulcère constitué, n’ont d’intérêt que pour améliorer les signes fonctionnels d’insuffisance veineuse.
Le pronostic d’un ulcère lié à une insuffisance veineuse superficielle est souvent favorable à court terme, mais les récidives sont fréquentes au point que la maladie peut finir par devenir chronique.
La prophylaxie passe par la lutte contre la sédentarité (marche quotidienne) et la correction du surpoids. La dénutrition doit aussi être évitée car elle retarde la cicatrisation. Une contention de haut niveau (35 mmHg à la cheville), généralement élastique, s’impose toujours : elle s’oppose mécaniquement au reflux et lutte contre l’œdème. Une surélévation de 10 cm des pieds du bas du lit facilite le retour veineux pendant le sommeil.
Ulcère artériel.
Les lésions ulcéreuses artérielles s’observent souvent chez des hommes âgés, sur fond de tabagisme, de diabète avec obésité, d’hypertension, d’antécédents artéritiques (maladie coronaire, accident vasculaire cérébral). Ils ont pour origine une perfusion insuffisante du membre. L’ulcère d’origine artérielle est unique ou multiple, à l’emporte-pièce, siégeant sur la jambe ou sur le pied, voire sur les orteils. Il se creuse rapidement et fait émerger les tendons sous-jacents. Le périmètre de l’ulcère est décoloré, lisse, froid. La douleur est violente et constante, exacerbée par le décubitus.
Le diagnostic est porté au vu de la lésion, d’une claudication, de l’abolition du pouls dans le membre. Une échographie Doppler et une artériographie confirment la clinique et peuvent orienter vers un geste chirurgical.
La prise en charge de ce type d’ulcère est nécessairement pluridisciplinaire. Le traitement local, très douloureux, est analogue à celui d’un ulcère veineux. La contention est contre-indiquée car elle majore l’ischémie distale. La chirurgie peut s’imposer (pontage, angioplastie). L’injection de prostacycline est envisagée face à une contre-indication chirurgicale. L’évolution est très péjorative s’il est impossible de restaurer une circulation artérielle suffisante. La surinfection survient alors rapidement et impose l’amputation. Une reperméabilisation artérielle donne des résultats favorables à court terme, mais les récidives restent fréquentes.
Ulcère mixte.
Il n’est pas exceptionnel qu’un ulcère de jambe ait une origine mixte, artério-veineuse, avec dominante de l’une ou de l’autre composante.
Ulcère sur angiodermite.
L’angiodermite s’observe essentiellement chez la femme âgée de plus de 60 ans, diabétique et hypertendue. Cette microangiopathie non inflammatoire susceptible de s’ulcérer parfois rapidement (par exemple à la suite d’un traumatisme minime), laissant apparaître une nécrose noirâtre formant un ou des ulcère(s) superficiels souvent confluants. La douleur, intense, est constante ; l’état général du patient est rapidement altéré. Le traitement, mis en œuvre en milieu hospitalier sous antalgiques de palier OMS 2 ou 3, nécessite une autogreffe de peau sous anesthésie locale. La cicatrisation suit en quelques semaines. En l’absence de traitement, elle régresse après quelques mois mais les récidives sont fréquentes.
Autres ulcères ischémiques
Certaines complications ulcéreuses d’origine ischémique, secondaires à une fistule artérioveineuse, peuvent être sévères. Les sténoses veineuses notamment sont responsables d’une ischémie de surcharge entraînant un œdème du membre supérieur, et, plus rarement, de troubles trophiques à type d’ulcère veineux - pouvant avoir une localisation inusitée et siéger, par exemple, sur le dos d’une main -.
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