Sevrage tabagique : le second souffle

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Publié le 21/09/2017
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Face à une prévalence de fumeurs qui reste l’une des plus fortes d’Europe, la France multiplie les actions pour ne plus faire figure de mauvais élève. Après la réussite de la première édition du Moi(s) sans tabac en novembre 2016, professionnels de santé et entreprises du médicament misent sur une prise de conscience du grand public.
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Crédit photo : phanie

Une récente étude mondiale sur près de 200 pays, financée par la Fondation Bill & Melinda Gate, classe l’Hexagone au 26e rang en termes de réalisation des objectifs de santé mondiaux établis par les Nations Unies. La France se situe loin derrière l’Islande, la Suède, mais aussi l’Espagne ou les États-Unis, notamment à cause de ses résultats médiocres face la consommation de tabac : la prévalence des fumeurs serait de 36 %. L’État s’investit pourtant de plus en plus pour réduire le nombre d’accros au tabac. Le plan antitabac lancé en 2014 par la précédente ministre de la Santé, Marisol Touraine, vise à baisser le pourcentage de fumeurs de 10 % en 5 ans, avoir une proportion de fumeurs inférieure à 20 % de la population en 10 ans et une proportion de jeunes non-fumeurs à 95 % dans 20 ans. En pratique ? Mise en place du paquet neutre, interdiction de fumer en voiture en présence d’un enfant de moins de 12 ans, amélioration du remboursement des produits du sevrage tabagique… Une importante série de mesures qui doit être complétée par une forte augmentation du prix des cigarettes.

Selon l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT), les ventes de tabac poursuivent une lente involution, passant de plus de 83 tonnes écoulées en France en 2001 à un peu moins de 45 tonnes en 2016. Les ventes de traitements d’aide au sevrage se montrent plus fluctuantes, avec un pic atteint en 2012 à 2,4 millions d’équivalents patients traités. Mais deux ans plus tard, ce chiffre a chuté à 1,6 million. En cause : l’arrivée de la cigarette électronique. Les traitements d’aide à l’arrêt du tabac voient leurs ventes en équivalents patients traités augmenter par palier en 2015 et 2016, sans avoir encore retrouvé le niveau de 2012. La tendance est néanmoins très favorable.

Leader historique

Durement touchés par la chute enregistrée en 2014, les patchs de nicotine enregistrent une hausse de 27 % à jours constants en nombre de patients traités entre 2015 et 2016. Leur part de marché représente 35 % des traitements en 2016 contre 32 % en 2015. Quatre références se partagent ce segment de marché : Niquitin Transparents d’Omega Pharma, Nicotinell TTS du laboratoire GSK, Nicopatch de Pierre Fabre et Nicoretteskin de J & J. À noter que les trois premiers sont dosés à 7, 14 ou 21 mg pour une pose de 24 heures, Nicoretteskin est en revanche présenté en 10, 15 et 25 mg pour une pose de 16 heures. « Nicopatch est le leader historique, il occupe 49,8 % des parts de marché en valeur sur le marché de la voie transdermique en 2016 », souligne l’équipe marketing des Laboratoires Pierre Fabre. Avec un chiffre d’affaires de 17,8 millions d’euros l’an dernier (pour 554 000 unités vendues), il progresse de 16,8 % par rapport à 2015. Une ascension qui se poursuit puisqu’il affiche un chiffre d’affaires en cumul mobile annuel à juillet 2017 de 19,8 millions d’euros et de plus de 600 000 unités vendues.

Les formes orales (gommes, comprimés sublinguaux, comprimés à sucer), moins impactées par la baisse des ventes en 2013 et 2014, progressent de 11 % entre 2015 et 2016 en équivalents patients traités. « Nicorette représente un tiers du marché des substituts nicotiniques (34,8 % en volume, 31,7 % en valeur en 2016). Nous sommes leader sur les gommes à mâcher médicamenteuses (72,04 % de part de marché en valeur) », met en avant un porte-parole du Laboratoire J & J Santé Beauté France. De son côté, Nicopass (Pierre Fabre) est le 2e acteur sur le marché des substituts nicotiniques par voie orale avec ses 23,7 % de parts de marché en valeur. Comme pour le timbre transdermique, il gagne en chiffre d’affaires et en volume en 2016, mais plus encore en cumul mobile annuel à juillet 2017, grâce à la vente de plus de 850 000 boîtes pour un chiffre d’affaires de 14,9 millions d’euros. Cela laisse présager d’excellents résultats pour l’année en cours.

Succès du Moi(s) sans tabac

Le marché des substituts nicotiniques est de 106 millions d’euros pour l’année 2016, un chiffre d’affaires en hausse qui se montre très sensible aux événements. « C’est notamment grâce au succès du Moi(s) sans tabac mis en place pour la première fois en novembre dernier », note-t-on chez GSK Santé Grand Public. Un constat unanime. « Nous avons en effet noté une forte croissance du marché depuis le mois de novembre 2016, correspondant à la mise en place de la première campagne gouvernementale Moi(s) sans tabac accompagnée de l’augmentation du forfait de remboursement de 50 à 150 euros par an », précise le porte-parole de J & J Santé Beauté France. Chez Pierre Fabre, le succès se poursuit encore aujourd’hui. La demande consommateurs a augmenté de 22 % pour Nicopatch et de 8 % pour Nicopass. « En novembre 2016, un Nicopatch sur deux s’est vendu sur ordonnance, sachant que nous sommes historiquement l’acteur le plus prescrit, note le service marketing. L’impact est durable car les prescriptions restent élevées aujourd’hui encore. »

De son côté, Nicotinell est en 3e position en chiffres d’affaires sur le marché des substituts et 2e sur le segment des gommes à la nicotine. Si les patients n’ont pas forcément noté ce changement, il est de taille pour le laboratoire : à la suite de la création de la joint-venture avec Novartis en 2015, qui a pris le nom de GSK Consumer Care, le groupe pharmaceutique a dû faire un choix entre la gamme Nicotinell, apportée par Novartis, ou sa marque historique Niquitin. C’est finalement cette dernière qui a été cédée fin 2015 à Perrigo, maison mère du Laboratoire Omega-Pharma. « Les stratégies de marque sont différentes, Niquitin s’adresse au consommateur alors que Nicotinell est plus axé vers les professionnels de santé, en particulier le pharmacien », explique le service communication de GSK Grand Public. Le groupe pharmaceutique développe donc des actions à destination des officinaux, telles que des formations à distance, des outils pour l’accompagnement du patient et des communications dans les journaux professionnels.

Une stratégie également choisie par J & J Santé Beauté France qui forme les équipes officinales par le biais de web symposiums et propose une campagne d’affichage pour casser les idées reçues sur les substituts nicotiniques dans les cabinets de médecine générale. « Nous œuvrons également à l’éducation du grand public sur le sevrage tabagique et à la connaissance de l’apport des substituts nicotiniques dans celui-ci au travers de communication grand public. De plus, nous innovons régulièrement pour proposer des solutions toujours plus adaptées à chaque typologie de fumeurs, ce qui nous permet d’offrir la gamme la plus large du marché : spray, gommes à mâcher, comprimés sublinguaux, comprimés à sucer, patchs et inhaleur font partie de la gamme Nicorette », rappelle J & J Santé Beauté France. D’ailleurs, le spray buccal Nicorette, commercialisé en mai 2013, voit ses ventes progresser de moitié par rapport à 2015 (+54 %). L’inhaleur progresse aussi de 13 % en nombre de patients traités en 2016.

Formation officinale

Cet accompagnement dans le sevrage tabagique est essentiel aussi chez Pierre Fabre. C’est dans cet esprit que le kit d’entretien du sevrage tabagique a vu le jour en janvier dernier. « Développé avec l’aide de tabacologues et de pharmaciens, il a pour objectif de mettre en place un suivi personnalisé pour chaque fumeur grâce à des documents de formation et de suivi afin que les équipes officinales répondent au mieux aux attentes et questions de leurs patients », poursuit le laboratoire. Par ailleurs, il a créé l’Institut Pierre Fabre de tabacologie (IPFT), premier institut à vocation de santé publique piloté par un laboratoire. Ses missions ? Proposer des formations professionnelles pluridisciplinaires, contribuer à la recherche et à l’évolution de la politique de santé publique, etc. Enfin, il coorganise le congrès du Groupement d’experts en sevrage tabagique (GEST), participe au congrès de la Société française de tabacologie, investit en visite médiale et s’implique toute l’année dans la formation officinale au sevrage tabagique.

Au premier semestre de l’année 2017, la progression des ventes ne se dément pas avec un marché global en hausse de 11,7 %. « Pour sa part, Nicotinell gagne 10,7 % en valeur au premier semestre, dont 21 % sur les seuls patchs », remarque le porte-parole de GSK Santé Grand Public. L’ensemble des patchs, toutes marques confondues, fait un bond de 60 % en ce début 2017 comparé aux six premiers mois de 2016. Pour l’OFDT, ce retour à la hausse des ventes s’explique à la fois par une meilleure prise en charge des substituts nicotiniques prescrits (forfait de 150 euros annuels pour tous depuis novembre 2016), par l’élargissement de la population bénéficiaire, par une plus grande mobilisation des professionnels de santé, par un recours plus fréquent aux consultations de tabacologie, et par le lancement de cinq nouvelles références par EG Labo en juillet 2016. C’est le seul acteur à proposer des génériques de gommes à mâcher à la nicotine en France, et ce depuis fin 2013. La gamme compte 10 références : sans sucre, arôme menthe ou fruits, dosées à 2 ou 4 mg, par boîte de 26, 108 ou 204 gommes. Encore discret sur le marché, il pourrait gagner en visibilité s’il obtient le statut de médicament remboursé, non pas dans le forfait actuellement proposé pour les substituts nicotiniques de 150 euros par an, mais comme tous les autres médicaments.

Remédicaliser le sevrage tabagique

Le marché ne se limite pas aux substituts nicotiniques. Lancé en février 2007, Champix (varénicline) de Pfizer est un agoniste partiel des récepteurs nicotiniques cérébraux qui permet de soulager les symptômes de manque et de diminuer le plaisir associé à la prise de tabac. Rapidement, il a été soupçonné de provoquer dépression et idées suicidaires, placé sous surveillance étroite par l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM), puis déremboursé en 2011 par le ministre de la Santé de l’époque, Xavier Bertrand. Réhabilité en 2015 par l’étude internationale EAGLES, et en 2016 par l’Agence européenne du médicament (EMA), il est remboursé à 65 % depuis le 1er mai dernier dès lors qu’il est prescrit en 2e intention après échec des substituts nicotiniques. Il commence tout juste à regagner des parts de marché après être tombé au plus bas. « Nous travaillons à remédicaliser le sevrage tabagique. La prévalence du tabagisme dans la population française atteint 34 % en 2016 selon le BEH du 30 mai 2017. Il y a un manque de prise en charge par les médecins alors qu’ils sont en pointe sur le diabète, l’hypertension, etc. C’est pourquoi nous développons différentes opérations pour les sensibiliser et les former à l’accompagnement dans l’arrêt du tabac », explique Bachra Balis, responsable médicale chez Pfizer. D’autres actions sont destinées aux pharmaciens et aux infirmiers, et un dernier volet s’adresse directement au grand public. Pfizer a notamment développé récemment, à l’instar des laboratoires investis dans les substituts nicotiniques*, le site grand public www.jarretelacigarette.fr.

Quant au Zyban (bupropion) de GSK, disponible depuis 2001 mais également victime de soupçons d’effets secondaires délétères à partir de 2003, il ne semble pas bénéficier des résultats positifs de l’étude EAGLES. Celle-ci montre en effet qu’il n’y a pas de surrisque significatif entre d’une part le Champix, le Zyban et les substituts nicotiniques et d’autre part un placebo. Mais ses parts de marché restent au plus bas. L’OFDT note qu’après avoir beaucoup reculé, elles « étaient reparties à la hausse en 2015 et se stabilisent en 2016 (+1,3 % en équivalents patients traités) même si la part de marché de ce produit s'établit à seulement 0,4 % ». Mais au premier semestre 2017, les ventes de Zyban reculent de 1,4 %, ses parts de marché atteignent à peine 0,3 %. Difficile d’effacer des années de suspicion de risque suicidaire, il faudra certainement d’autres études et méta-analyses pour parvenir à innocenter le bupropion.

* Voir les sites www.nicotinell.fr, www.niquitin.fr, www.nicostart.fr, www.nicorette.fr.

Mélanie Mazière

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3373