LA SOUMISSION chimique est une pratique ancienne dont on trouve la trace dès le XVIIIe siècle. Les auteurs rapportent le cas de la poudre de Datura, utilisée par des bandits parisiens appelés « les endormeurs » : « Ils offraient à leur future victime du tabac à priser mélangé à de la poudre de cette plante et profitaient de l’inconscience et de l’amnésie antérograde qui en résultaient pour les détrousser. » Toutefois, la première description clinique n’a été faite en France qu’en 1982, par le centre antipoison de Marseille, et il faudra attendre 2002 pour qu’une circulaire précise les modalités de la prise en charge des victimes.
Le phénomène semble en progression et bénéficie des progrès de la thérapeutique, notamment de l’apparition de substances psychoactives à effet et élimination rapides, faiblement dosées. Des appels réguliers sont diffusés dans les médias pour attirer l’attention du public sur le risque d’exposition à ces substances ajoutées à l’insu des consommateurs et sur les risques potentiels encourus, comme l’agression sexuelle ou le vol.
Parmi les agents de soumission chimique, le GHB (acide gamma-hydroxybutyrique), connu sous le nom de « drogue du violeur » a souvent fait la une des journaux. « À tort », expliquent les auteurs, « car en réalité son usage est rare… dans ce contexte. » En réalité, « l’usage du GHB concerne surtout l’espace festif, en particulier homosexuel ».
Des substances faciles d’accès.
En revanche, poursuivent-ils, « il convient de souligner la facilité d’obtention et d’utilisation des produits employés » : en vente libre, comme l’alcool, ou largement prescrits, comme les benzodiazépines et apparentées. L’enquête nationale sur la soumission chimique mise en place par l’AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) a permis de dénombrer 1 156 notifications de la fin de l’année 2003 à la fin de l’année 2008, dont 50 % étaient des cas de soumission chimique avérée. Dans 60 à 75 % des cas, la substance identifiée était une benzodiazépine et le plus souvent le
clonazépam (la moitié des notifications pour lesquelles une benzodiazépine a été identifiée),
le bromazépam arrivant en deuxième position. Les victimes sont le plus souvent des femmes, victimes dans la plupart des cas d’agression sexuelle (la moitié des déclarations), alors que les hommes sont le plus souvent victimes de vol.
« Relativement bien connu du grand public », le phénomène est paradoxalement « trop souvent méconnu par les médecins », soulignent encore les auteurs. Une lettre adressée en juillet 2003 à tous les professionnels de santé par l’AFSSAPS** insistait sur la nécessité de « judiciariser » la prise en charge des victimes. Il convient « d’encourager la victime à porter plainte, si possible avant tout examen complémentaire ». Dans le cas d’une victime mineure de moins de 15 ans ou d’une personne fragile, il y a obligation de signalement à l’autorité judiciaire. La circulaire précise que l’accueil des victimes est obligatoirement assuré dans les établissements de santé autorisés à exécuter une activité d’accueil et de traitement des urgences. « Cette contrainte nous semble un préalable indispensable à une prise en charge optimale clinico-biologique », commentent les académiciens.
Les prélèvements biologiques doivent être effectués en double (un échantillon sera conservé et utilisé encas de procédure judiciaire) et les examens toxicologiques réalisés dans des laboratoires habilités.
Une soumission chimique doit être suspectée devant tout individu présentant soit des signes cliniques d’agression physiques avec des indices évocateurs (marques de violence, désordres vestimentaires, perte de chéquier ou de carte bancaire), soit des signes évocateurs d’une perturbation neuropsychique (altérations cognitives avec amnésie, modification de la vigilance, troubles du comportement). « Il convient d’insister sur l’indispensable prise en charge précoce des victimes afin de disposer de prélèvements propices à la détection de produits dont l’élimination est rapide », conclut la communication. Une sensibilisation des praticiens amenés à prendre en charge les victimes, mais aussi des biologistes qui doivent transmettre aux laboratoires de toxicologie, semble nécessaire tout comme il semble urgent d’assurer une large information du public, afin de sensibiliser les victimes potentielles et leur entourage.
et toxicologie cliniques du Groupe hospitalier du Havre, laboratoire
de toxicologie de la faculté de médecine
et de pharmacie de Rouen.
** Quatre documents sont accessibles
sur le site de l’AFSSAPS, sur le rôle
des médecins cliniciens, le rôle des toxicologues analystes, le rôle des centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance, le rôle du CEIP (Centre d’évaluation et d’information
sur la pharmacodépendance).
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