Ce n’est pas la première fois qu’un médicament efficace sur une maladie se révèle également intéressant sur une autre pathologie, mais l’histoire des analogues du GLP-1 a tout d’une success-story. Tout est parti de la découverte, par des chercheurs américains travaillant sur le diabète de type 2, de l’hormone intestinale, le GPL-1 (glucagon peptide like-1), et de son effet sur le taux de glucose. Il aura cependant fallu près de 20 ans de recherches pour que le concept scientifique aboutisse à la mise au point d’un nouveau traitement du diabète et 10 années supplémentaires pour que l’on commence à parler d’un effet significatif sur le poids.
Aujourd’hui, des personnalités connues vantent leurs mérites, d’Elon Musk, le magnat de la tech, à Oprah Winfrey, la célèbre présentatrice TV, en passant par le chanteur Robbie Williams et Khloe Kardashian. Après un premier jalon posé dans le traitement par analogue du GLP-1 avec le liraglutide (Victoza et Saxenda en injections sous-cutanées quotidiennes), les résultats obtenus sur la perte de poids avec le sémaglutide (en injections hebdomadaires), indiqué dans le contrôle de la glycémie chez les diabétiques de type 2 et autorisé en 2017 aux États-Unis sous le nom d’Ozempic, ont circulé sans tarder sur les réseaux sociaux, suscité des détournements d’usage et préparé le succès de Wegovy, son pendant dans l’indication obésité commercialisé en 2021 outre-Atlantique. Aujourd’hui, sur TikTok et Facebook, les photos avant et après traitement par Wegovy sont virales et les influenceuses se piquent face à la caméra. Dans les rues et le métro de New-York, des affiches publicitaires mettent en scène les injections de sémaglutide… Un vrai phénomène de société, aux implications financières, économiques et sociales considérables. Novo Nordisk, le laboratoire qui a mis au point à la fois Ozempic et Wegovy, a changé de dimension. Le groupe danois est aujourd’hui la première capitalisation européenne devant notre géant du luxe LVMH et dépasse même le PIB du Danemark ! Avec la commercialisation de Wegovy dans d’autres pays (la France est le 16e) et la montée en puissance des capacités de production du laboratoire, les ventes continuent encore de grimper.
Un marché mondial
La concurrence, toutefois, talonne le pionnier danois. À commencer par Eli Lilly qui, après le dulaglutide (Trulicity), a lancé en 2022, aux États-Unis, le tirzépatide dans le traitement du diabète de type 2 (Mounjaro). Celui-ci a la particularité d’agir à la fois sur le GLP-1 et sur le GIP, une autre hormone intestinale, de manière à accentuer ses effets. En 2023, outre-Atlantique, Eli Lilly a ensuite reçu l’AMM du Zepbound, indiqué dans l’obésité, qui contient du tirzépatide à un dosage supérieur, lequel a déjà presque atteint le même niveau de ventes que le Wegovy. Quant à Munjaro, il a reçu son AMM européenne en avril 2024 mais n’ayant pas encore obtenu de remboursement, n’est pas disponible à ce jour en France.
Stimulés par les perspectives de ce marché mondial, d’autres laboratoires (Roche, Astra Zeneca, Pfizer…) développent chacun leur propre molécule, ce qui pourrait faire baisser le prix élevé (entre 270 et 360 € par mois de traitement) de ces médicaments qui limite leur accès et – même s’ils doivent être prescrits au départ en deuxième intention par un spécialiste -, entraîne fraudes et trafics.
Double mode d’action
L’enthousiasme suscité par le Wegovy avant même sa mise à disposition (le 8 octobre en France), aussi bien dans la population que chez les professionnels de santé, s’explique. Le mécanisme d’action particulier du sémaglutide est en effet à l’origine de ses deux indications thérapeutiques actuelles. Il agit en imitant le glucagon-like peptide-1, une hormone produite par l’intestin en réponse à l’ingestion de nourriture qui régule la glycémie et l’appétit.
Le Wegovy (plus fortement dosé que l’Ozempic) se lie sélectivement et active les récepteurs du GLP-1, présents dans plusieurs zones du cerveau impliquées dans la régulation de l’appétit ainsi que le cœur, le système vasculaire, le système immunitaire et les reins. Ce faisant, il réduit l’apport énergétique, la sensation de faim, la fréquence et l’intensité des fringales. Il augmente la sensation de satiété et permet donc aux patients de mieux contrôler leurs apports alimentaires. D’où une perte de poids, essentiellement par perte de masse adipeuse. La demi-vie de la molécule étant d’environ une semaine, les injections par voie sous-cutanée (par stylos préremplis) sont hebdomadaires.
Reprise de poids à l’arrêt
L’obtention de l’autorisation de mise sur le marché de Wegovy repose sur les données du programme STEP (Semaglutide Treatment Effect in People with Obesity), regroupant 18 essais cliniques de phase III sur 27 000 patients dont près de 10 000 en France dans le cadre d’un accès précoce. La perte de poids moyenne est de 15 à 17 % maintenue sur 68 semaines, en complément d’un régime hypocalorique et d’une activité physique accrue, chez l’adulte et l’adolescent. Un résultat qui varie cependant d’une personne à l’autre sans qu’il soit possible de l‘estimer à l’avance. Selon une étude récente citée par le Pr Sébastien Czernichow (hôpital Georges-Pompidou, Paris), les résultats obtenus peuvent aussi être moins bons en vie réelle. D’où son insistance à rappeler l’importance des modifications du mode de vie (alimentation et activité physique) qui complètent le traitement médicamenteux… mais sont souvent difficiles à obtenir. Autre écueil : la reprise de poids à l’arrêt du traitement qui obligerait à le poursuivre au long cours. Cela dit, comme le fait remarquer le nutritionniste, c’est le cas de bien d’autres maladies chroniques.
Diminution des risques cardiovasculaires
En revanche, les analogues du GLP-1 ont un atout supplémentaire de taille : ils réduisent les événements cardiovasculaires majeurs (infarctus, AVC, décès) chez les patients à haut risque, diabétiques de type 2 ou non, comme le montre une méta-analyse présentée lors du dernier congrès de l’European Society à Londres. Le sémaglutide 2,4 mg a ainsi entraîné, chez des adultes présentant un IMC >27 kg/m2, une réduction significative de 20 % de ces risques graves, ce qu’aucun traitement pharmacologique n’avait démontré jusque là. Selon le Pr François Schiele, cardiologue au CHU de Besançon, « cette étude suggère que la perte de poids seule ne peut expliquer le bénéfice cardiovasculaire et que le sémaglutide a une action propre ». Un effet dont pourraient bénéficier les patients non diabétiques souffrant d’une obésité sévère ou massive et qui laissent espérer une prise en charge pour ceux ayant déjà connu des événements cardiovasculaires.
Depuis quelques mois, on attribue aussi aux aGLP-1 des effets bénéfiques sur de nombreuses autres affections : Alzheimer, cancers, problèmes rénaux, dépression… En fait, aujourd’hui, seules des études plus approfondies visant à démontrer un lien de causalité entre ce traitement et la baisse de certains cancers (pancréas, vésicule biliaire, colorectal, carcinome hépatobiliaire) semblent pertinentes. À suivre de près.
Quid des effets indésirables et des risques ?
Les patients sous analogue du GLP-1 rapportent des effets indésirables essentiellement d’ordre digestif (nausées, vomissements, diarrhées, constipation, douleurs abdominales), légers à modérés. Jean-Pierre Thébaut, vice-président de la Fédération française des diabétiques, l’a constaté, aussi bien avec le liraglutide qu’avec le sémaglutide, mais, satisfait de sa perte de poids, a décidé de continuer le traitement. Résultat - 17 kg en 3 ans. Boris Johnson, l’ex-Premier ministre anglais, n’ayant, paraît-il, pas supporté ces désagréments, a choisi, quant à lui, d’arrêter. L’augmentation progressive des doses en début de traitement permet cependant de diminuer leur fréquence et le risque d’arrêts prématurés. Concernant le Wegovy, le Pr Sébastien Czernichow, chef du service de Nutrition à l’hôpital européen Georges-Pompidou (Paris), conseille « d’informer les patients de leur survenue éventuelle » et « de s’arrêter à la dose la mieux supportée ».
L’enquête nationale, menée par les centres régionaux de pharmacovigilance entre 2019 et 2023, n’a recensé que peu d’événements gastro-intestinaux graves liés à l’utilisation des aGLP-1 (pancréatite, occlusion intestinale, gastroparésie). Prudente, l’ANSM a cependant décidé, en juillet dernier, de poursuivre la surveillance de ces effets indésirables graves de même que les risques liés à l’anesthésie (pneumopathies d’inhalation) et les risques à long terme, actuellement inconnus ou très rares comme le risque de cancer de la thyroïde (en cas d’antécédents personnels ou familiaux), avancé par des chercheurs américains. Même si une étude scandinave, menée sur 145 000 patients, s’est montrée rassurante en ne mettant pas en évidence de lien significatif. En revanche, au vu des données disponibles actuellement, l’ANSM n’a pas retenu la possibilité d’un risque accru de conduites suicidaires et d’automutilation avec certains aGLP-1 dont l’Agence européenne du Médicament (EMA) avait été informée.
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