« Nos résultats cliniques et pré-cliniques montrent que l’obésité alimente la résistance au traitement anti-VEGF (anti-facteur de croissance de l’endothélium vasculaire) dans le cancer du sein, et ceci via la production de plusieurs facteurs inflammatoires et pro-angiogéniques selon le sous-type de cancer », explique le Dr Joao Incio, chercheur au Massachusetts General Hospital et principal auteur de l’étude publiée dans la revue « Science Translational Medicine ».
« Cibler ces facteurs de résistance pourrait relancer l’utilisation de la thérapie anti-angiogénique dans le traitement du cancer du sein », ajoute-t-il.
La thérapie anti-VEGF n’a pas répondu aux attentes pour traiter certains cancers. C’est le cas du cancer du sein métastatique : les études précoces prometteuses ont entraîné l’approbation accélérée par la FDA du bevacizumab, anticorps anti-VEGF, mais l’absence de bénéfice sur la survie à long terme dans les essais de phase 3 a conduit à révoquer l’autorisation. Comment expliquer cette inefficacité ?
Avastin, bénéfique chez 16 % des patientes
Une équipe internationale dirigée par le Dr Incio s’est intéressée à l’obésité. Près de 70 % des patientes affectées de cancer du sein sont obèses ou en surcharge pondérale. Or l’obésité est associée à des taux élevés de facteurs inflammatoires et de facteurs angiogéniques autres que le VEGF, lesquels pourraient favoriser l’angiogenèse et la progression tumorale en dépit de l’inhibition du VEGF.
Incio et coll. ont d’abord analysé un essai de phase 2 évaluant le bevacizumab (Avastin) en thérapie néoadjuvante chez 99 patientes souffrant d’un cancer du sein, un essai ayant montré un bénéfice chez seulement 16 % des patientes. Ils ont constaté que les patientes obèses ou en surpoids (IMC ≥ 25) ont des tumeurs plus larges et plus hypoxiques, avec des taux sanguins plus importants d’IL-6, une cytokine pro-inflammatoire, et de FGF-2 (fibroblast growth factor), un facteur pro-angiogénique ; ces facteurs sont aussi exprimés au sein des tumeurs, et le système vasculaire tumoral est moins sensible à l’anti-VEGF.
Leurs expériences dans deux modèles murins du cancer du sein (cancer du sein avec récepteurs d’œstrogène ER positif ; et cancer du sein triple négatif) ont confirmé les implications des résultats cliniques. Le microenvironnement des tumeurs chez les souris obèses est hypoxique et riche en adipocytes ; il répond moins bien aux anti-VEGF. Dans le modèle ER-positif, les adipocytes et certaines cellules immunes au sein de la tumeur expriment des taux élevés de plusieurs facteurs inflammatoires et angiogéniques, dont l’IL-6. L’inhibition de l’IL-6 chez ces souris obèses augmente la réponse thérapeutique qui devient équivalente à celle des souris minces, à la fois aux sites primitifs et métastatiques du cancer, et ceci en affectant directement la prolifération des cellules tumorales, en normalisant la vascularisation, en soulageant l’hypoxie et en réduisant l’immunosuppression. Dans le modèle triple négatif, les souris ont des taux accrus de FGF-2 mais pas d’IL-6, et l’inhibition du FGF-2 par la metformine rétablit la réponse thérapeutique au même niveau que celui des souris minces. Dans les 2 modèles, l’inhibition de l’IL-6 ou du FGF-2 n’améliore pas la réponse thérapeutique chez les souris minces.
Contrôle du poids
Ainsi, l’absence de distinction entre patientes obèses et minces dans l’essai de phase 3 pourrait expliquer l’absence de bénéfice avec le bevacizumab. « Cette étude propose pour la première fois que des marqueurs, tels que l’indice de masse corporelle, pourraient aider à personnaliser la thérapie anti-VEGF chez les patients cancéreux, en associant chez ceux qui sont obèses ou en surpoids un inhibiteur de l’IL-6 ou du FGF 2 », précise le Dr Incio.
De tels inhibiteurs sont déjà disponibles : le tocilizumab, un anticorps anti-IL-6R est approuvé dans d’autres indications, et la metformine, un inhibiteur du FGF-2, est couramment utilisé contre le diabète de type 2. Des études cliniques pourraient donc débuter rapidement. Par ailleurs, cette étude confirme que le contrôle du poids chez les patientes souffrant de cancer du sein pourrait être une intervention améliorant le pronostic. Enfin, puisque l’inflammation et l’angiogenèse peuvent affecter la réponse aux traitements conventionnels et aux thérapies ciblées, les implications de cette étude pourraient s’étendre au-delà du traitement anti-VEGF dans le cancer du sein.
" Science Translational Medicine ", 15 mars 2018, Incio et coll.
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