POUR NATHALIE BAJOS, sociologue et démographe (2), il y a là un véritable paradoxe. Comment expliquer la relative stabilité depuis vingt ans du nombre d’IVG dans notre pays - 227 000 par an, soit 1 avortement pour 3 naissances - alors que, parallèlement, la contraception médicale est en progression constante ? « En fait, souligne la chercheuse, la baisse progressive du nombre de grossesses non prévues, grâce à la contraception, est compensée par une augmentation de la probabilité d’avoir recours à l’IVG. » Pour cette spécialiste, ce phénomène trouve essentiellement son explication dans « une diversification de la trajectoire affective et sexuelle des femmes et une profonde modification de la norme procréative au cours du temps, autrement dit la norme qui enjoint socialement à avoir - ou à ne pas avoir - une maternité dans telles ou telles conditions. » En d’autres termes, il s’écoule aujourd’hui un délai beaucoup plus long qu’auparavant entre le premier rapport sexuel et la première maternité, avec plus de partenaires et dans des relations affectives ne se prêtant pas forcément à un désir de maternité.
Autre constatation qui va à l’encontre de certaines idées reçues : l’immense majorité des femmes ayant eu recours à l’IVG avait une contraception au moment de tomber enceinte, y compris chez les mineures.
Une augmentation des IVG chez les mineures.
Trente-cinq ans après sa légalisation, où en sont les chiffres de l’IVG ? Aujourd’hui, près d’une IVG sur deux concerne une jeune fille de moins de 25 ans - 25 % pour les 20 à 24 ans et 22 % pour les 25 à 29 ans. Et sur les 227 000 IVG réalisées chaque année, 13 000 concernent des jeunes filles de moins de 18 ans, un chiffre en progression inquiétante.
Quant à l’opinion qu’ont les Françaises de l’IVG, elle était au centre d’un sondage (3) récemment réalisé par OpinionWay. Les personnes interrogées y classent l’obtention du droit à l’avortement en 3e position des grandes lois qui ont le plus révolutionné la vie des femmes, ex aequo avec le droit à la contraception (1971) et le droit de vote (1944), après le droit d’exercer une activité professionnelle sans le consentement de leur mari (1966), et avant le congé maternité rémunéré (1970) et le congé parental d’éducation (1977).
Déficit d’information.
88 % estiment que la légalisation de l’IVG « a permis d’améliorer la santé des femmes et de diminuer les risques liés à l’avortement ». Pour mémoire, on estime à environ 300 par an le nombre de décès dus à l’avortement avant l’adoption de la loi Veil.
Si près d’une femme sur deux émet spontanément un jugement positif sur l’IVG en évoquant les valeurs de « droit », de « choix » et de « liberté », une minorité d’entre elles (18 %) utilise un vocabulaire plus sombre associé à la « difficulté », la « tristesse » ou le « traumatisme ».
Mais, dans le même temps, une femme sur deux déclare que l’information sur l’IVG est insuffisante, le déficit d’information semblant surtout concerner l’IVG médicamenteuse. En effet, elles sont 74 % à penser que le principal moyen de pratiquer l’IVG est l’intervention chirurgicale (aspiration) et 20 % que c’est la voie médicamenteuse, alors que cette dernière en assure aujourd’hui la moitié (dont 9 % en ville).
Un avenir sous conditions.
« Si la réalisation d’IVG médicamenteuses représente un progrès incontestable - plus grande accessibilité et choix de la méthode d’IVG par la femme -, il faut prendre garde aux risques potentiels de déplacer ce type de technique en ville », souligne le Dr Brigitte Letombe (gynécologue et présidente sortante de la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale, Lille). Et de pointer tout particulièrement la question de l’évolution de la démographie médicale, car environ 1 IVG médicamenteuse sur 6 est désormais réalisée en cabinet libéral, et dans 90 % des cas par un gynécologue. En effet, indique-t-elle, « le maillage de la gynécologie médicale est en train de disparaître », ce qui va imposer de former des médecins généralistes.
Un autre aspect à prendre en compte est l’existence d’importantes inégalités de prise en charge sur le territoire. En effet, quatre régions totalisent actuellement plus de 80 % des IVG médicamenteuses : l’Ile-de-France et les régions PACA, Aquitaine et Rhône-Alpes.
Pour le Pr Nisand, il convient, notamment, de renforcer la possibilité de choix offerte aux femmes entre la technique chirurgicale et médicamenteuse (95 % choisissent l’IVG médicamenteuse à Strasbourg, indique-t-il) et d’assurer l’anonymat et la gratuité pour la contraception des mineures. Mais c’est là un autre débat.
2) Directeur de recherche à l’INSERM, Le Kremlin Bicêtre.
3) Sondage réalisé entre le 18 et le 21 janvier 2011 auprès d’un échantillon représentatif de femmes âgées de plus de 18 ans.
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