Cas de comptoir
Le contexte :
« J’ai mangé des crustacés et je suis couverte de petits boutons qui me démangent et m’empêchent de dormir. En les grattant je les ai écorchés. »
Les questions à poser :
« Avez-vous déjà fait des allergies alimentaires et si oui lesquelles ? Vos boutons sont-ils localisés sur l’ensemble du corps ou sur une zone précise ? Quels produits d’hygiène ou dermocosmétiques utilisez-vous ? Votre prurit s’accompagne-t-il de rougeurs ou d’œdèmes ? »
Quelques définitions
Le prurit se définit comme une sensation de démangeaison cutanée anormale provoquant le besoin de se gratter. Localisé ou diffus, il disparaît temporairement avec le grattage. Le prurit physiologique reste discret et n’entraîne pas de gêne. Lorsqu’il devient pathologique il induit des lésions de grattage et perturbe la vie quotidienne du patient.
Le prurigo désigne un groupe de diverses dermatoses caractérisées essentiellement par un prurit violent (prurigo de hebra de l’enfance, gestationis de la femme enceinte, nodulaire, sénile, ou vulgaire avec plaques de lichénification).
L’urticaire est une affection cutanée marquée par l’apparition de papules associées à un prurit et des sensations de brûlures. L’origine est le plus souvent allergique (urticaire de contact) ou physique.
La lichénification se traduit par un épaississement de la peau avec augmentation du relief des plis naturels, elle est consécutive au grattage ou à diverses lésions cutanées.
Un peu de physiopathologie
Le prurit peut être dû à une maladie de la peau ou à une affection générale. Les signes généraux sont une hyperthermie, des douleurs, de l’asthénie. L’urticaire est une réaction de vasodilatation brutale provoquée par la libération d’histamine ou d’autres médiateurs vasoactifs, à partir des granules contenus dans les mastocytes sanguins. Les lésions induites par le grattage ne sont pas toujours spécifiques du prurit mais elles reflètent l’intensité et/ou la chronicité de celui-ci : lésions excoriées, stries linéaires, érythème (rougeur congestive), prurigo présentant des lésions papuleuses centrées par une érosion, une croûte ou une vésicule, lichénification. Hormis les lésions de grattage, l’examen clinique doit rechercher la présence de lésions dermatologiques. On classe les prurits selon qu’ils sont ou non associés à une dermatose. Les prurits « isolés » sont dits sine materia.
Les mots du conseil
Comment identifier les dermatoses à l’origine d’un prurit ?
Elles sont nombreuses mais les plus prurigineuses sont la gale et celles induisant une urticaire. La gale se manifeste par un prurit généralisé, familial, à recrudescence nocturne et à topographie évocatrice. Le lupus érythémateux peut s’exprimer par une vascularite urticarienne. La présence de vésicules oriente vers un eczéma de contact, une dermatite atopique ou herpétiforme. Un impétigo ou une pyodermite témoigne d’un prurit compliqué de surinfection. Certaines causes de prurit sont plus facilement identifiables comme la varicelle ou les piqûres d’insectes (moustiques, aoûtats, puces, punaises). Certains troubles des phanères sont des signes indirects de prurit : ongles usés, polis et brillants, poils ou cheveux cassés.
Quels sont les autres facteurs en cause ?
Un prurit localisé au niveau de la nuque ou du cuir chevelu doit systématiquement faire évoquer la présence de poux, mais il peut être lié à un état pelliculaire, une dermite séborrhéique, une intolérance aux produits capillaires ou un psoriasis. La pédiculose corporelle s’observe chez les sujets dont l’hygiène est défectueuse. Le prurit peut précéder de plusieurs mois l’apparition d’une dermatose, et il ne faut pas hésiter à prendre l’avis d’un dermatologue en présence d’une lésion cutanée prurigineuse dont l’étiologique est difficile à identifier.
Le prurit est-il un symptôme caractéristique de l’urticaire ?
Quand la pathologie est systémique, les lésions sont peu, voire pas du tout prurigineuses alors que dans l’urticaire allergique, la lésion est prurigineuse, fugace et mobile. Les facteurs déclenchants ne sont pas toujours élucidés. Les plus fréquents sont les médicaments type aspirine, pénicilline, AINS, codéine, morphine et morphiniques, ou certains aliments riches en histamine ou histaminolibérateurs (thon, crustacés, coquillages, tomates, kiwi, noix, conserves fromages, boissons fermentées), et des foyers infectieux locaux (dentaires, ORL).
Comment s’orienter en cas de prurit isolé ?
Le prurit sans lésions de grattage est moins fréquent et sa prévalence exacte est mal connue. Ainsi, le prurit des membres inférieurs est en rapport avec une insuffisance veineuse sans qu’il y ait nécessairement une dermite associée. Le premier piège à éviter est la méconnaissance d’une authentique dermatose dont la symptomatologie peut être frustre et silencieuse. La biopsie cutanée doit être envisagée en l’absence de dermatose visible ou atypique, et l’enquête étiologique doit rechercher une affection générale à l’aide d’examens cliniques complémentaires (NFS, protéine C-réactive, glycémie, créatinine plasmatique, bilan hépatique, calcémie, phosphorémie…).
Comment se manifeste le prurit d’origine médicamenteuse ?
Il peut être isolé et exister en l’absence de lésions cutanées. Les IEC, les inhibiteurs calciques et les sartans sont une cause classique de prurit sine materia. Le premier réflexe est de rechercher les médicaments responsables : plus de 300 substances susceptibles d’induire un prurit sont répertoriées sur le site de la BIAM (banque de données automatisée sur les médicaments) www.biam2.org. On peut ainsi repérer les effets secondaires et les caractéristiques de chaque substance, et lorsque plusieurs médicaments sont en cause on procède à une élimination par étape.
Quelles sont les autres pathologies qui s`accompagnent d’un prurit isolé ?
Dans la cholestase (arrêt ou diminution de l’écoulement de la bile), le prurit témoigne de l’accumulation des sels biliaires. Au cours des hémopathies il peut précéder de plusieurs mois les signes cliniques, et dans la maladie d’Hodgkin il constitue un critère évolutif et pronostique tout autant que les sueurs ou la fièvre. La carence martiale et en zinc est également à l’origine d’un prurit, de même que l’insuffisance rénale chronique et le traitement par hémodialyse. Les dosages du fer sérique, du zinc plasmatique, et de la créatinine font donc partie du bilan complémentaire. Les parasitoses internes sont aussi incriminées : l’oxyurose est une cause bien connue de prurit anal, et la toxocarose, zoonose transmise par les chats et les chiens, provoque des lésions qui s’accompagnent d’un prurit chronique.
Comment expliquer le prurit sénile ?
L’atrophie cutanée liée au vieillissement et le moins bon fonctionnement des glandes sudoripares entraînent une sécheresse cutanée (xérose) impliquée dans le prurit dit sénile, à ne pas confondre avec la pemphigoïde bulleuse fréquente en gériatrie. Cette maladie d’origine auto-immune se traduit par des bulles caractéristiques et des démangeaisons. La xérose intervient également dans le prurit observé au cours de l’hypothyroïdie, ou du syndrome de Gougerot-Sjögren marqué par l’insuffisance de la sécrétion des glandes endocrines se traduisant par une sécheresse de toutes les muqueuses.
Quelle est la relation entre prurit et grossesse ?
La dermatite polymorphe gravidique est fréquente et peut se manifester de diverses façons. Les dermatoses surviennent généralement au troisième trimestre, leur évolution est favorable pour la mère et l’enfant, la guérison est spontanée en post-partum, et les récidives sont rares.
Le prurigo gravidique représente-t-il un danger pour la mère ou le fœtus ?
Le prurigo gestationis (ou prurigo gravidique) se caractérise par de petites papules siégeant aux mains, aux pieds et au dos, et les démangeaisons sont intenses. Il est en rapport avec une cholestase intra-hépatique, il survient dans 2 à 3 % des grossesses et récidive dans plus de 50 % des grossesses ultérieures. Il existe un risque de prématurité, de retard de croissance intra-utérin et le pronostic maternel est lié à l’éventualité d’une hémorragie de délivrance. Il régresse dans la semaine suivant l’accouchement.
Le prurit a-t-il un retentissement psychologique ?
D’authentiques troubles dépressifs ont pu être observés lors de prurits sévères. Le prurit psychogène survient préférentiellement sur terrain anxiodépressif et sa régression sous traitement psychiatrique confirme l’origine des symptômes.
Les produits conseils
Le traitement général du prurit lui-même n’existe pas. La prise en charge est symptomatique et repose sur l’éviction des facteurs déclenchants ou aggravants et sur le soulagement du patient. Certains ingrédients de l’alimentation ou les excipients entrant dans la composition des topiques sont susceptibles d’irriter ou de déclencher une allergie.
Quels sont les produits d’hygiène conseillés ?
La peau doit avant tout être hydratée, et pour la toilette il est préférable d’utiliser des gels ou des pains surgras sans savon, et d’appliquer des laits hydratants ou des crèmes émollientes après le bain ou la douche pour lutter contre la sécheresse cutanée. (v.tableau). Des pulvérisations d’eaux thermales peuvent calmer les démangeaisons et les sensations de brûlure (Avène, La Roche-Posay, Uriage…). En cas de surinfection par grattage, une désinfection locale est nécessaire (Diaseptyl, Dosiseptine, Chlorhexidine Gilbert, Dermaspraid, Mercryl, Septivon, Stérilène…), et il est conseillé de couper les ongles courts.
Comment utiliser les soins dermatologiques locaux ?
Les crèmes ou pommades antiprurigineuses soulagent mais il y a un risque d’allergie locale due à l’excipient, de même les topiques antihistaminiques H1 sont à utiliser avec précaution en raison de leur pouvoir allergisant. Ils peuvent être associés à un anesthésique local type lidocaïne et/ou de l’hydrocortisone. En dehors de leur utilisation spécifique pour une dermatose, les dermocorticoïdes sont efficaces sur les lésions de grattage mais il convient de retarder le plus possible leur utilisation. Pour minimiser les effets indésirables, il faut choisir un corticoïde d’activité faible ou moyenne, l’appliquer en couche mince sur une surface limitée et pendant une durée brève. La photothérapie UVA et UVB est une alternative thérapeutique intéressante dans les prurits rebelles.
Les antihistaminiques H1 oraux sont-ils efficaces ?
Ils agissent sur l’un de médiateurs impliqués dans la physiopathologie du prurit et sont fréquemment prescrits lorsque le grattage est trop important. Les antihistaminiques de nouvelle génération dont la cétirizine est le chef de file sont mieux tolérés car dépourvus d’effets sédatif et anticholinergique. D’action prolongée, la cétirizine nécessite une seule prise quotidienne.
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Françoise Amouroux
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