Les bactériophages, ces virus mangeurs de bactéries, délaissés il y a une vingtaine d’années pour les antibiotiques, sauveront-ils la mise face à la montée inquiétante de l’antibiorésistance à travers le monde ? C’est le pari que fait le Centre français d’étude sur la phagothérapie (CEFEP), sous l’impulsion de médecins du Centre hospitalier de Villeneuve-Saint-Georges (CHIV), les Drs Alain Dublanchet, microbiologiste et Olivier Patey, infectiologue.
« Le CHIV a une expertise ancienne qui remonte au temps où la phagothérapie était autorisée, explique le Dr Olivier Patey. Jusqu’à la fin des années 1980, des patients étaient traités avec des phages venant des banques de l’Institut Pasteur et de Pasteur Lyon, avant qu’elles ne soient définitivement fermées. Quelques années plus tard, début des années 2000, c’était naturel de penser à proposer la phagothérapie à quelques patients en impasse thérapeutique ». Le succès a été déconcertant alors qu’il était question d’amputation de jambe ou d’ablation de matériel prothétique.
Les antibiotiques en échec
La réintroduction des phages est à l’ordre du jour en raison à la fois de l’évolution de la multirésistance et de l’absence de développement de nouveaux antibiotiques. Selon l’étude BURDEN BMR, menée par l’Institut de veille sanitaire (InVS) et remise en septembre 2015, l’antibiorésistance provoquerait 13 000 décès par an en France. « La situation en France reste pourtant modeste par rapport à d’autres pays, a exposé le Dr Jean Carlet, consultant OMS. En Chine et en Inde, 70-80 % des E. Coli sont résistants aux céphalosporines de 3e génération. En Grèce, 70 % des Klebsielles sont résistantes aux carbapénèmes. ».
La phagothérapie, découverte en 1917 à l’institut Pasteur par Félix d’Hérelle, est tombée en désuétude dans les pays occidentaux avec l’arrivée des antibiotiques. Pourtant, les phages ont fait leurs preuves contre le Staphylocoque doré, mais aussi contre les salmonelles, les shigelles et le choléra, puisqu’ils étaient recommandés par l’OMS au même titre que la doxycycline dans les années 1960.
Des phages importés des pays de l’Est
Aujourd’hui, seuls quelques pays de l’Est, comme la Géorgie, la Russie ou la Pologne, n’ont jamais cessé de l’utiliser. Un tourisme médical est en train de se développer (cf. entretien du Dr Patey). Les phages suscitent de plus en plus l’intérêt, en thérapeutique mais aussi les vétérinaires et l’agro-alimentaire. C’est le cas notamment pour la prévention de la Listeria avec le Listex, un produit hollandais déjà autorisé pour les volailles tranchées aux États-Unis, au Canada, en Amérique du Sud ou en Suisse. En Europe, l’antibioprophylaxie alimentaire de la Listeria a été retoquée en 2012 par l’Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) pour du poisson cru car « leur efficacité n’était pas démontrée sur toute la vie du produit », a indiqué Marta Ugas de l’EFSA.
En thérapeutique, la réintroduction des phages ne peut se faire en l’état. Alors que leur commercialisation nécessite au préalable des études cliniques et des autorisations de mise sur le marché, le cadre réglementaire du médicament en Europe freine l’utilisation des phages.
La législation doit s’adapter, et non l’inverse
Ces « biomédicaments », issus des eaux usées ou des fleuves là où il existe des bactéries, ne correspondent pas strictement à la définition de « substance biologique ou extraite d’une source biologique ». Ce sont des assemblages complexes, hétérogènes et variables. Bien difficile de répondre aux critères stricts des agences du médicament européennes (EMA) et nationale (ANSM) définis pour la chaîne de production des médicaments « conventionnels ». Pour le Dr Alain Dublanchet, ces produits naturels qui ne peuvent pas faire l’objet de brevet, n’ont pas intéressé la Big Pharma faute de rentabilité.
« La législation doit s’adapter à la phagothérapie et non l’inverse », réclament les pro-phagothérapie. En 2012, le Centre d’Analyse Stratégique proposait de « clarifier le statut réglementaire de la phagothérapie et de mettre en place un programme de recherche afin d’évaluer son potentiel thérapeutique ».
Des ATU bientôt en France
Sans attendre cette clarification, des acteurs publics et privés ont pris des initiatives pour concevoir des phages médicaments plus conformes. Laurent Debarbieux dirige à l’Institut Pasteur une unité de recherche sur l’utilisation des bactériophages en thérapeutique, notamment dans les infections pulmonaires de la mucoviscidose. La société française Pherecydes s’est engagée dans la production des phages pour la recherche. Deux études sont en cours depuis 2015 avec les projets PHOSA et PhagoBurn (cf. encadré). En Belgique, l’hôpital militaire Reine Astrid à Bruxelles est à l’origine de travaux et publications pour définir les critères à retenir pour la préparation pharmaceutique de phages thérapeutiques.
Le message commence à passer au niveau des autorités. L’ANSM a annoncé le 16 janvier mettre sur pied un groupe de travail pour évaluer les demandes de traitement par phagothérapie en ATU. L’Europe doit elle aussi se pencher sur la question cet été. Pour accélérer le mouvement, le CEFEP est en train de monter Phago 2020. Cette association multidisciplinaire composée de juristes, d’associations de patients, de cliniciens, de pharmaciens, de vétérinaires aura pour objectif l’aide à la décision des tutelles. Recherche, banque de phages, études cliniques, centres d’expertise, le plus gros reste à faire. La nécessité de financements publics fait que l’avenir de la phagothérapie est aujourd’hui entre les mains des décideurs et dépend d’une « réelle volonté politique » à lui donner un second souffle, estiment unanimement les scientifiques de la phagothérapie.
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