La génétique revisite la nosographie

Les MICI, un continuum avec 3 et non 2 maladies

Publié le 14/01/2016
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La plus grande étude génétique internationale menée jusqu’à présent dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) donne un nouvel éclairage sur leur classification nosographique. La description binaire classique, avec maladie de Crohn (MC) et rectocolite hémorragique (RCH), ne serait pas tout à fait exacte. La génétique laisse apparaître un continuum, qui peut être regroupé en 3 catégories.
Les données de  29 838 patients ont été analysées

Les données de 29 838 patients ont été analysées
Crédit photo : PHANIE

Il n’y aurait pas deux entités dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), maladie de Crohn (MC) et recto-colite hémorragique (RCH) mais trois. C’est ce que suggère dans le « Lancet » une étude génétique d’une ampleur inégalée chez près de 30 000 patients.

Selon l’équipe internationale dirigée par Isabelle Cleynen, auprès de 49 centres dans 16 pays en Europe, Amérique du Nord et en Océanie (Australie, Nouvelle-Zélande), la génétique sur plus de 150 000 variants montre qu’il existe un continuum dans les MICI. Le modèle binaire MC et RCH céderait la place à trois groupes : la MC iléale, la MC colique et la RCH.

Alors que la présentation des MICI est très hétérogène, la génétique et les facteurs environnementaux pourraient expliquer la variabilité clinique. Deux gènes de susceptibilité, NOD2 et HLA, ont focalisé l’attention dans les débuts. Le gène NOD2 semblait être associé à l’intestin grêle et les allèles HLA à la maladie colique. L’essor de la génétique a permis d’identifier 163 variants indépendants associés aux MICI. Et là surprise, la plupart d’entre eux confèrent un risque à la fois de MC et de RCH, mais semble-t-il avec des effets tailles différents dans les deux maladies.

La MC colique en position intermédiaire

Dans cette étude sans précédent, les chercheurs ont étudié plus précisément l’association génotype-phénotype. Pour cela, avant d’analyser individuellement les génotypes, ils ont détaillé les sous-phénotypes pour les (16 902 ayant une MC et 12  597 ayant une RCH) selon la classification de Montréal. Cette classification prend en compte les principaux facteurs influant sur les MICI : l’âge au diagnostic, la localisation, l’extension, l’évolution. Par exemple, un âge jeune au diagnostic est généralement associé à une forme plus agressive et plus étendue à la fois pour la MC et la RCH. Les atteintes iléales et iléo-coliques de la MC sont plus souvent associées aux sténoses, aux fistulisations et à un recours à la chirurgie par rapport à la MC colique.

Premier résultat étonnant, contrairement à ce qui avait été suggéré précédemment, le gène NOD2 n’est pas associé à une maladie sténosante. Ce gène était en revanche associé à l’âge jeune au diagnostic et à la localisation iléale. De plus, la localisation colique était mieux annoncée par le gène de susceptibilité HLA de la RCH, plutôt que par les allèles de susceptibilité de la MC, et les chercheurs ont creusé cette piste. Il est apparu que, sur le plan génétique, la MC colique est en position intermédiaire entre la MC iléale et la RCH.

La question des facteurs épigénétiques

Les 163 variants indépendants étaient associés fortement aux principaux sous-phénotypes, ce qui suggère « qu’ils ont un effet faible, et que les facteurs environnementaux (tels que le régime, le microbiote et le tabagisme) contribuent fortement aux phénotypes ». Seuls trois principaux variants (NOD2, CMH, 3p21/MST1) étaient associés de façon significative aux phénotypes cliniques, mais sans expliquer la variance de la maladie. À côté de NOD2, l’âge au diagnostic et le tabagisme étaient les principaux déterminants de la localisation pour la MC, alors qu’il s’agissait de l’âge au diagnostic pour l’extension de la maladie pour la RCH.

Dans quelle mesure cette nouvelle classification va-t-elle modifier les choses ? Pour les auteurs, cette nouvelle nomenclature permettra d’éviter des erreurs de diagnostic et de proposer le traitement le plus adapté dans certains cas. « Le type de chirurgie proposé aux patients ayant une colite réfractaire dépend du fait qu’il s’agit d’une RCH ou d’une MC colique », indiquent-ils. Dans un commentaire associé, deux gastro-entérologues du Mount Sinaï à New York, Joana Torres et Jean-Frédéric Colombel, mettent l’accent sur l’importance des facteurs épigénétiques. « Les facteurs épigénétiques, qui médient les interactions entre la génétique et les expositions environnementales complexes, comme le microbiome, pourraient apporter de nouvelles clefs dans la pathogenèse dans les années à venir », concluent-ils.

« The Lancet », publié le 9 janvier 2016.
Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3231