LA COLLECTE des déchets d’activités de soins à risque infectieux (DASRI) va t-elle enfin connaître une organisation efficace et équitable en tout point du territoire ? Nul n’y mettrait sa main à couper, tant cette épineuse question, en suspend depuis de longues années, est soumise à des intérêts divergents.Pharmaciens, industriels, collectivités, patients : les nombreux acteurs du dossier sont au moins d’accord sur un point : les DASRI ne doivent plus côtoyer les ordures ménagères.
Au final, c’est le législateur qui a tranché. Deux décrets d’application sont en attente à ce jour. Le premier prévoit de normaliser les conteneurs de collecte. Le second doit entériner les dispositions de la loi de finances 2009, qui impose aux pharmaciens de pratiquer gratuitement la collecte des DASRI, depuis le 1er janvier dernier, sous conditions. Cette obligation vient d’être confirmée, le 7 mai, avec l’adoption par les députés de l’article 74 du projet de loi Grenelle II de l’Environnement. Précision importante : le recueil à l’officine doit s’organiser « en l’absence de dispositif de collecte de proximité spécifique ». Cette mesure s’applique également aux pharmacies à usage intérieur et aux laboratoires de biologie et d’analyse médicale. Elle ne porte que sur les « piquants, coupants, tranchants », et non sur les déchets mous, comme les pansements, également considérés comme DASRI. Le décret à venir doit également préciser « les conditions de la précollecte, de la collecte et de la destruction des déchets », notamment au plan du financement. Jusqu’ici assuré par les collectivités, celui-ci va passer à la charge des industriels, et notamment des fabricants de matériel injectable. On appelle cela la filière REP, pour « responsabilité élargie des producteurs ».
Ce qui se fait déjà.
Il ne revient donc pas aux officinaux de financer cette collecte, mais de la mettre en place, là où elle serait déficiente, voire inexistante, sous peine d’amendes. Cela dépend des équipements déjà installés, et la notion de proximité, indiquée dans la loi, doit encore être précisée. Les collectivités territoriales (communautés de communes, d’agglomérations, syndicats de traitement des déchets, etc.) ont en charge le recueil des DASRI. Celles qui l’ont organisé ont suivi différents modèles. Le premier, c’est celui des bornes installées dans l’espace public, sur une place de marché ou à proximité de la mairie, d’un hôpital ou d’un centre médico-social. Les bornes peuvent être placées à proximité des collecteurs de verre ou de papier. Il n’y a pas de règle générale. À Nancy, par exemple, la collecte du matériel injectable est commune aux infirmières, aux médecins libéraux et aux patients. Seconde option, le recueil en déchetterie. C’est le cas dans le département des Vosges ou dans la communauté d’agglomérations du Muretain, en Haute-Garonne. Inconvénients de cette solution : l’éloignement des habitations et des horaires d’accès restreints.
Dans tous les cas, le pharmacien d’officine intervient, mais de façon très limitée. Il donne un conteneur de recueil des DASRI au patient, à la délivrance de l’ordonnance, et lui indique la marche à suivre. D’autres vont plus loin. On estime, en effet, que plus d’un tiers des officines se chargent elles-mêmes de ce recueil. Selon une récente enquête menée auprès de 200 officines, 43 % d’entre elles affirment avoir déjà mis en place cette collecte. Elle se fait, en général, au moyen de grands fûts sécurisés en plastique. Plus rarement, de simples cartons sont encore utilisés à cet effet. Ce qui va à l’encontre de l’arrêté de 1999 fixant les règles du recueil des DASRI dans des récipients étanches et lavables. En outre, l’officine doit disposer d’un local spécifique et facile à entretenir, avec un enlèvement fréquent. Problème, la quasi-totalité des pharmacies ne respectent pas ces normes.
Dès lors, on comprend mieux la ferme opposition des syndicats professionnels (FSPF, UNPF, USPO) à l’idée d’une collecte organisée à l’officine, au nom de l’hygiène et de la sécurité du personnel. Le risque de contamination par contact est faible, mais il existe bel et bien. Il a donc fallu trouver des solutions. La Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) préconise une collecte à date fixe, une ou deux journées par mois, avec ramassage des conteneurs dans la foulée. C’est le modèle expérimenté avec succès dans le département de l’Aude. Mais André Kuypers, en charge du dossier à la FSPF, privilégie toujours la mise en place de bornes dans les déchetteries ou, à la rigueur, à proximité des officines. Cette implication a minina a longtemps été la position de l’Ordre des pharmaciens. Une position quelque peu infléchie aujourd’hui. « La borne de collecte peut se trouver en dehors de l’officine ou à l’intérieur, mais accessible depuis l’extérieur, estime Pierre Gavid, ordinal référent pour les DASRI. Une autre possibilité est que le patient dépose son conteneur dans une borne sécurisée et située dans l’entrée de l’officine. » Quels que soient les aménagements possibles, on peut se demander si tous les pharmaciens vont suivre le mouvement. Certains y seront contraints, mais les autres ?
Des crédits limités.
Certes, l’officine est déjà rompue à la collecte de produits usagés, avec le recueil des médicaments non utilisés (MNU). Leur taux de retour est de 75 % environ. Une performance jugée satisfaisante, l’objectif étant d’atteindre 80 à 85 % d’ici à quelques années, indique le président de Cyclamed, Thierry Moreau-Desfarges. Pour améliorer le taux de retour, il y a les campagnes de communication grand public. Et il faut aussi convaincre les officines encore réticentes à la collecte des MNU, soit près de 5 % de l’effectif total. Elles risquent d’être plus nombreuses, vraisemblablement un bon tiers, à refuser le recueil des DASRI, qui sont des résidus d’une autre nature. « Les investigations que nous menons dans les déchetteries montrent que les deux types de collectes sont bien différenciés en pharmacie », constate Thierry Moreau-Desfarges. Un dispositif se met en place actuellement, sur le modèle de Cyclamed, pour gérer la collecte des DASRI. Cet éco-organisme, constitué en association loi 1901, est placé sous la responsabilité des industriels. Les discussions sont en cours entre le LEEM*, le SNITEM** et l’APPAMED*** pour organiser le financement de la collecte. Les fabricants de matériel injectable ne veulent pas être seuls à payer la facture, chiffrée entre 10 et 12 millions d’euros par an, sur la base de 3 000 à 4 000 points de collecte (Source : ADEME). Actuellement, le coût pour une collectivité est de 0,20 à 0,30 euro par an et par habitant (Source : société Démétis). La multiplication des officines participant à la collecte pourrait faire exploser la facture. Aussi, l’éco-organisme va d’abord établir une cartographie du recueil des DASRI. « Il proposera des points de collecte supplémentaires pour assurer un maillage complet du territoire, selon des critères de distance, de temps de parcours et de densité de population, confirme le LEEM, qui précise que le recours à des points supplémentaires, dont les pharmacies, ne se fera que si le maillage existant se révèle insuffisant. »
Cela n’empêchera pas les officines qui le souhaitent de financer elles-mêmes, comme certaines le font déjà, le dispositif de collecte. D’autres ont installé cette borne avec le soutien des collectivités. Mais ces dernières pourraient être tentées, à l’avenir, de passer au second plan. Pour le moment, avec la perspective d’un financement par les industriels, c’est l’attentisme qui prime. On sait par ailleurs que des collectivités envisagent leur désengagement, au cas où le recueil en officine viendrait réduire, de façon importante, les volumes de DASRI collectés dans l’espace public.
Deux prestataires.
D’ores et déjà, les officinaux peuvent s’équiper de bornes sécurisées et gérées de façon autonome par un prestataire. On peut y voir une volonté de satisfaire, de capter et de fidéliser les patients. Ce n’est pas un hasard si les groupements de pharmaciens sont déjà sur les rangs pour proposer ces bornes à leurs adhérents. « Leur objectif est de préserver l’environnement, d’offrir un service et aussi d’entreprendre une démarche concurrentielle », estime Pascal Louis, président du Collectif national des groupements de pharmaciens d’officine (CNGPO). Giropharm, Plus Pharmacie, PHR ou Giphar, en équipent ou veulent en équiper leurs adhérents. C’est aussi le cas d’entités comme Paris Pharma, groupement francilien qui compte une vingtaine d’officines équipées sur un total de 50. Il faut cependant relativiser l’adhésion officinale. Le directeur associé du groupe PHR, Willy Hodin, reconnaît que ce service ne fait pas l’unanimité parmi les adhérents. Ils sont mitigés sur l’image d’une officine récupérant des déchets. « Cela fait partie d’un panel de services plus large, mais ce n’est pas un élément de différenciation en soi, sur lequel pourrait se baser une communication », assure t-il. Un projet d’équipement est en cours. « La question n’est pas de mettre en place des collecteurs, mais de s’assurer que le système de prise en charge sera complet », précise Willy Hodin.
Pour le moment, une seule société fournit les officines. Gap Hygiène Santé revendique l’installation de sa borne Pharma Collect dans près de 300 pharmacies (le plus souvent en location), sur 580 points de recueil nationaux****. La société vise l’équipement de plus de 1 100 pharmacies d’ici à la fin de l’année. « Tous les profils d’officine sont concernés, l’encombrement au sol étant minimal, argumente Georges Prieur, dirigeant de Gap Hygiène Santé. L’idéal est l’implantation dans une zone chaude de l’espace de vente. Certaines grandes officines, qui comptent plus de 200 patients générant des DASRI, ont installé deux bornes, à l’entrée et à la sortie. » Les maîtres mots de l’entreprise sont la traçabilité et la communication. Traçabilité car le code-barres du conteneur permet d’ouvrir la trappe d’accès de la borne et d’indiquer son niveau de remplissage. Mais l’anonymat du patient est préservé. C’est l’officine que l’on préviendra si le contenu du conteneur n’est pas conforme. Quant à la communication, elle se fait sur un écran tactile piloté par le prestataire via une connexion GPRS. C’est l’occasion pour le pharmacien de diffuser des messages, en s’associant, par exemple, à un laboratoire qui finance la mise en place de la borne, comme le fait actuellement le génériqueur Sandoz.
Le second intervenant est la société Démétis, filiale du groupe GC. Elle équipe une quarantaine de collectivités, dont la moitié en déchetterie. Outre la fourniture des bornes, l’entreprise assure l’enlèvement des DASRI, la maintenance et l’entretien du matériel. Au total, elle procède à la collecte pour 25 000 clients en France. Parmi eux, des officines et aussi des magasins de matériel médical offrant ce service aux infirmières et médecins libéraux qui rapportent leurs propres déchets de soins. Un modèle réduit de borne, plus adapté à l’officine, est en phase de finalisation. Son fonctionnement repose également sur l’identification par un code-barres. « Nous avons de nombreuses demandes. Mais, dans l’attente des modalités précises du décret, nous n’installons pas encore de bornes en pharmacie », indique Wilma Sina-Aucant, responsable de développement du groupe GC. L’entreprise affirme qu’elle sera fin prête au premier jour de cette nouvelle mission pharmaceutique.
** Syndicat national de l’industrie des technologies médicales.
*** Syndicat de l’industrie des dispositifs de soins médicaux.
**** Voir notre édition du 26 avril.
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