LA DIFFICULTÉ d’étudier, sur un modèle animal, la consommation excessive d’alcool tient au fait que la plupart des rats de laboratoire
ne prennent pas spontanément des quantités importantes d’alcool éthylique en solution. Pour contourner ce problème, Rowland et coll. (2005) ont développé une gelée au goût agréable dénommée « Jello Shots » et contenant de l’éthanol, qui incite les rats, même non soumis à une privation de liquides ou d’aliments, et sans avoir à être conditionnés, à une autoconsommation de la mixture. La prise de cette gelée alcoolique se traduit par une élévation significative de l’alcoolémie, de l’ordre de 5 à 45 mg %, en relation linéaire avec les quantités de gelée absorbées. Le fait que cette méthode ne nécessite pas de période de conditionnement est particulièrement intéressant pour l’étude des
compor?tements à l’adolescence puisque la période équivalente à « l’adolescence », chez le rat, est relativement courte.
L’analyse de coût et des bénéfices.
Les théories sur le processus décisionnel suggèrent que l’individu analyse les « coûts et bénéfices » potentiels d’une décision pour orienter ses actions. Lors de la prise d’une décision aux résultats incertains, la valeur espérée d’une action dépend de la relation entre l’intérêt du résultat de cette action et la probabilité de sa survenue. Un individu qui choisit une action qui fait espérer un bénéfice important, mais de faible probabilité de survenue, est considéré comme aimant le risque.
C’est ce modèle théorique qui a été appliqué dans les tests conduits par les Américains. Les rats adolescents (âgés de 30 à 49 jours) auxquels était librement proposée la gelée d’éthanol (10 % d’alcool éthylique) étaient soumis, à un âge ultérieur (trois semaines ou trois mois après l’exposition à la gelée), à une tâche évaluant l’absence de prise en compte de la probabilité d’une récompense. Ce test leur proposait de choisir entre des récompenses importantes (4 pastilles de sucrose) mais incertaines et des récompenses moins généreuses (2 pastilles) mais plus probables.
Les chercheurs ont constaté que les rongeurs ayant absorbé, durant la période d’adolescence, de fortes quantités de gelée alcoolisée avaient une plus forte propension au risque à l’âge adulte, par comparaison avec les rats témoins, indifférents à l’aspect du risque. Ce type de comportement s’observait encore trois mois après l’arrêt de l’exposition à la gelée alcoolisée (sans que soit apparemment observé, selon les chercheurs, de syndrome de manque). Ce qui suggère que les altérations du processus décisionnel concernant l’évaluation du risque se maintiennent à long terme.
Il est possible que la préférence accrue pour le risque observée chez les animaux exposés à l’alcool éthylique reflète une plus grande vulnérabilité en termes de ténacité, en d’autres termes : une incapacité à adapter leur comportement en fonction des modifications de la valeur espérée de la récompense. Les rats exposés à la gelée alcoolisée, ayant fait l’expérience de la certitude d’une forte récompense au début du test, sont incapables de modifier leur comportement quand la probabilité de ce type de récompense diminue ultérieurement.
Les résultats obtenus dans ces expérimentations apportent des arguments à l’hypothèse d’une
relation causale entre la consommation excessive d’alcool à l’ado?lescence et les altérations du processus décisionnel à l’âge adulte. Ils soulignent également l’intérêt de ce modèle expérimental pour l’exploration des fondements neurobiologiques de cette relation.
IL Bernstein. Long-term risk
preference and suboptimal decision making following adolescent
alcohol use. Proc Natl Acad Sci
USA (2009) Publié en ligne.
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