DEPUIS 2004, le monde redoutait le scénario catastrophe de la transmission interhumaine du virus aviaire A(H5N1). En première ligne parmi les pays qui ont élaboré une réponse au risque, la France avait élaboré dès 2006 un plan Pandémie et multiplié les exercices d’application. Cependant, comme toujours avec les virus, l’histoire ne s’est pas déroulée comme prévu : au printemps 2009, les agents transmetteurs ne furent pas les canards sauvages, mais les cochons d’élevage. D’où la terminologie initiale retenue par l’OMS de « grippe porcine ».
Les premiers cas suspects seraient en effet survenus au Mexique, à proximité d’un des plus grands élevages industriels de porcs, situé à La Gloria (État de Vera Cruz). Les autorités du pays découvrent un premier malade contaminé fin mars par une nouvelle souche A(H1N1). Le 15 avril, à l’occasion d’un exercice de préparation à la pandémie aviaire, fortuitement, le laboratoire des CDC (Centers for Disease Control and Prevention, États-Unis) confirme biologiquement les premiers cas chez deux enfants californiens de 9 et 10 ans, sans lien épidémiologique entre eux. Ils présentaient des signes depuis le 29 mars. L’agent pathogène est un virus d’origine à la fois aviaire, porcine et humaine, doté d’un potentiel pandémique.
Le 23 avril, l’InVS (Institut de veille sanitaire) alerte les autorités françaises sur la découverte américaine. Le lendemain, le Mexique publie un premier bilan alarmant sur une épidémie qui serait liée au même virus. Plus d’un millier de personnes ont fait une pneumonie et une soixantaine d’entre elles décèdent, la plupart âgées de 25 ans à 45 ans. Le même jour, l’armée assure les premières distributions de masques individuels de protection et les écoles. Le 25 avril, le siège genevois de l’OMS lance un appel à tous les pays pour qu’ils augmentent leur niveau de veille épidémiologique. Le 26 avril, un dimanche, Roselyne Bachelot convoque une conférence de presse, la première d’une très longue série, pour annoncer que toutes les mesures ont été prises en vue d’identifier le plus tôt possible les premiers cas dans l’Hexagone.
« Drôle de guerre »
Débutent alors huit semaines qui ressemblent, selon le « BEH » (« Bulletin épidémiologique hebdomadaire » de l’InVS) à « une drôle de guerre ». Fin juin, la France recense 239 cas confirmés, dont 172 sont des cas importés. Rebaptisé « nouvelle grippe », puis « grippe mexicaine » et « grippe nord-américaine », avant que l’OMS ne recommande l’intitulé grippe A(H1N1)v, l’ennemi est annoncé, avec son potentiel pandémique, mais en France tous les cas restent bénins. Par précaution, les cas suspects sont orientés vers les SAMU et centres 15. La prise en charge est intégralement hospitalocentrée.
Toutes ces semaines seront mises à profit pour transformer le plan grippe aviaire en plan grippe A, véritable « colonne vertébrale de l’action publique », adaptée à l’impact sanitaire et socio-économique de l’épidémie. Car dans le monde, la circulation du virus s’accélère. Le 11 juin 2009, l’OMS a décidé le passage en phase 6 et décrété l’état de pandémie. Elle dénombre fin juin 344 morts, dont 146 aux États-Unis, et environ 70 000 cas à travers 110 pays. En application du passage en phase 6, des mesures d’urgence exceptionnelles sont appliquées, au premier rang desquelles la mobilisation internationale des laboratoires pour la production d’un nouveau vaccin. Une démarche rigoureuse de qualité est appliquée par les fabricants ; après le séquençage du virus par les chercheurs des CDC, les souches virales leur avaient été transmises par l’OMS dès le mois d’avril. La France confirme le 15 juillet qu’elle a négocié la commande ferme de 94 millions de doses, pour un montant d’un milliard d’euros, auprès de trois laboratoires : Sanofi-Pasteur, GlaxoSmithKline et Novartis.
Le 23 juillet, Roselyne Bachelot décide d’élargir la prise en charge aux médecins traitants, enfin placés au cœur du dispositif, les urgences étant réservées aux seuls cas graves. Paris va beaucoup plus loin que les recommandations de l’OMS édictées le 13 juillet, qui prévoient de cibler non la population générale, mais « quelques catégories de patients comme les femmes enceintes et les asthmatiques, ou les personnes souffrant d’autres maladies chroniques, par exemple l’obésité morbide, qui semblent davantage exposées au risque de contracter une forme grave de grippe et d’en mourir ».
Nouveaux facteurs de risque de formes graves
Au cours de l’été, la vague épidémique déferle sur l’hémisphère Sud. Pendant l’hiver austral, la circulation du virus s’y fait très active, confirmant les données recueillies au printemps dans l’hémisphère Nord : certains facteurs de risque de formes graves sont observés, avec une fréquence nettement majorée pour les femmes enceintes (9,1 % des patients, contre 1 % dans la population générale), les sujets obèses (28,6 % avaient un IMC supérieur à 35 contre 5,3 % dans la population générale) et les sujets ayant des antécédents broncho-?pulmonaires (32,7 %). On retient surtout que la très grande majorité des sujets infectés (92,7 %) avaient moins de 65 ans et que la tranche d’âge la plus touchée est celle des enfants de moins de 1 an.
Le 14 septembre, le Haut Conseil de la santé publique rend ses conclusions concernant les groupes prioritaires, les schémas vaccinaux et les pathologies à risque ; elles reprennent principalement les recommandations de l’OMS. Si l’objectif est de protéger la population dans son ensemble, les réalités industrielles contraignent, faute de disposer d’emblée de la totalité des doses commandées, à choisir d’abord les groupes qui nécessitent une protection prioritaire.
Le 25 septembre, après deux semaines consécutives au cours desquelles l’incidence des consultations en médecine générale se situe très largement au-dessus du seuil épidémique, la France métropolitaine entre officiellement dans l’épidémie. Il faut attendre encore un mois pour que, le 20 octobre, la vaccination commence à l’hôpital, avec, prioritaires d’entre les prioritaires, les personnels de santé. Le grand public sera invité, par l’envoi de bons de la CNAM (assurance-maladie), à partir du 12 novembre. Mais la foule ne se presse pas. Depuis plusieurs semaines en effet, la polémique bat son plein autour d’éventuels effets secondaires liés aux adjuvants et aux conservateurs.
Les médecins n’ont-ils pas donné le signal ? Selon un sondage IFOP - « le Quotidien » publié le 21 septembre, à la question « Seriez-vous prêt personnellement à vous faire vacciner dès que le vaccin sera disponible ? », près de la moitié (46 %, et même 61 % des spécialistes) répondent par la négative. Pendant plusieurs semaines, le ton va monter entre syndicats médicaux et gouvernement au sujet de l’organisation de la campagne vaccinale. Trois sujets fâchent particulièrement les médecins : les ordres de réquisition ferme envoyés par les préfets pour assurer les ressources en personnels de santé des centres collectifs ; le refus du droit de vacciner au cabinet ; le caractère hospitalocentré du plan. Président de la CSMF, Michel Chassang pourfend « l’organisation tout-étatique des opérations » et « la fin de non-recevoir méprisante » adressée aux libéraux. Ceux-ci, proteste-t-il, veulent simplement compléter le dispositif en vaccinant leurs patients au cabinet. C’est la bronca des libéraux, appuyée par le Conseil national de l’Ordre des médecins.
L’Élysée et Matignon interviennent
Après des débuts poussifs, la courbe de fréquentation des centres décolle dans toute la France le samedi 21 novembre. Ce rush coïncide avec l’élargissement de la campagne aux femmes enceintes et aux nourrissons, juste après l’annonce d’une mutation du virus détectée chez trois patients norvégiens, dont deux sont morts. En régions parisienne et lyonnaise, notamment, les attentes sont interminables. Les « dysfonctionnements » sont évoqués à l’Élysée et à Matignon, qui vaudront sa mutation au directeur de la DDASS de Paris, Philippe Coste. Finalement, à partir du 6 décembre, l’ouverture des 1 080 centres est décrétée du lundi au samedi, jusqu’à 22 heures dans les villes, avec une ouverture dominicale dans les grandes agglomérations. À ce rythme, 300 000 personnes reçoivent quotidien?nement une injection. Roselyne
Bachelot prévoit que, fin février, 30 millions de Français pourraient avoir été vaccinés.
Où en sera alors la première pandémie du XXIe siècle ? Début décembre, l’OMS dénombrait 8 768 cas mortels survenus dans 207 pays du monde. En Europe, 918 décès étaient recensés, dont 118 en France. L’épidémie va-t-elle marquer une décroissance ? Ou, après un premier pic hivernal, d’autres vagues sont-elles à redouter ? « La nouvelle souche virale ne nous permet pas de modéliser la suite des événements à partir des grippes saisonnières ou des épidémies du siècle dernier », estime le Pr Antoine Flahault, directeur de l’EHESP (École des hautes études en santé publique. « Le message important, souligne cependant le Dr Françoise Weber, directrice de l’InVS, c’est que nous restons dans l’hypothèse basse pour la suite de l’épidémie. » Autrement dit, le scénario catastrophe, type 1918, est définitivement écarté. L’ensemble des plans mis en œuvre par les gouvernements, et en particulier le lancement des campagnes universelles de vaccination ont-ils réussi à modifier le profil naturel de l’épidémie ? « Dans l’histoire, répond le Dr Weber, c’est la première fois que l’on anticipe en se donnant les moyens de limiter la progression d’un
virus. À telle enseigne que l’évo?lution épidémique que nous connaissons n’a probablement plus rien à voir avec ce qu’elle aurait été si les pays s’étaient contentés de la regarder passer. »
Le retour d’expérience, au printemps prochain, s’annonce quand même délicat pour arbitrer la part qui aura relevé des politiques nationales et internationales de santé publique et celle du génie propre du A(H1N1)v.
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