Au début des années 2000, la découverte de l’imatinib (Glivec), un inhibiteur de la tyrosine-kinase, révolutionnait la prise en charge des patients atteints de leucémie myéloïde chronique (LMC). En devenant une maladie chronique, le pronostic de cette maladie – caractérisée par une production excessive de globules blancs par des cellules souches malignes dans la moelle osseuse – s’est nettement amélioré.
Mais, si les inhibiteurs de la tyrosine-kinase permettent d’éliminer la masse tumorale, ils sont incapables de débarrasser la moelle osseuse des cellules souches leucémiques dites « quiescentes », capables à tout moment de se réactiver. Les patients se voient donc contraints de prendre un traitement onéreux, et aux effets secondaires contraignants (crampes, œdèmes au niveau du visage, troubles digestifs), à vie. Chez une petite minorité seulement (environ 10 %), la signature génétique de la LMC dans le sang devient indétectable après de nombreuses années de traitement.
Mais bonne nouvelle : une équipe française a mis au point un traitement adjuvant ciblant justement ces cellules malignes quiescentes, et qui semble très prometteur. Il s’agit de combiner l’imatinib à… un antidiabétique « simple » et disposant déjà d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) : la pioglitazone. Cette dernière « force les cellules souches quiescentes à s’activer. Elles sont ensuite sensibles à l’action de l’imatinib », explique Stéphane Prost, de l’institut des maladies émergentes et des thérapies innovantes (iMETI) du CEA, qui présentait ses résultats avec ses collaborateurs lors d’une conférence de presse organisée la semaine dernière à Paris.
Dans ses études in vitro, l’équipe a montré que cette association était efficace pour induire la mort cellulaire de cellules souches leucémiques. « Notons que la molécule n’est pas complètement neutre sur les cellules souches normales, mais la différence se fait largement en défaveur des cellules souches leucémiques », précise le Pr Philippe Leboulch, qui dirige l’iMETI.
L’absence de modèles animaux pour la maladie et la disponibilité de la pioglitazone sur le marché ont conduit l’équipe à tester l’association directement chez l’homme, chez des patients diabétiques en plus de leur LMC. Selon le Pr Philippe Rousselot, de l’Hôpital Mignot de Versailles, qui a mené l’essai, les 3 patients sont aujourd’hui en rémission complète de leur LMC, pratiquement cinq ans après l’arrêt de l’adjuvant.
Preuve de concept
Une étude de phase II a rapidement été lancée, sur 24 patients non diabétiques sous imatinib pour leur LMC, à qui la pioglitazone a été administrée pendant une moyenne de 9 mois. Le Pr Rousselot précise qu’il n’y avait pas de risque d’hypoglycémie associée à la prise de pioglitazone, cet antidiabétique n’ayant n’a pas d’action hypoglycémiante directe.
D’après les résultats de cet essai, publiés le 2 septembre dans « Nature », l’association a permis à 57 % de patients d’atteindre une réponse moléculaire complète, contre 27 % des patients sous imatinib. Le traitement a été bien toléré avec une petite majoration des œdèmes, ainsi qu’une légère baisse du taux de globules rouges. Ces malades continuent de prendre l’imatinib après l’arrêt de la pioglitazone. « On parle pour l’instant de rémission solide. Pour parler de guérison, il faudrait pouvoir arrêter le traitement avec l’assurance que la maladie ne repartira pas », a précisé le Dr Prost.
Retiré du marché
L’équipe n’a pu prolonger la période de suivi des patients au-delà de 12 mois, la pioglitazone ayant été retiré du marché Français en 2011, suite à un rapport de pharmacovigilance rapportant un léger surrisque de cancer de la vessie associée à l’antidiabétique. D’après le Dr Prost, une étude publiée cet été dans « JAMA » balayerait ces doutes, et l’alerte devrait prochainement être levée.
Une étude de phase III est prévue pour la fin de l’année, dans laquelle une centaine de patients CML devraient être inclus, avec un temps de suivi plus long. L’objectif final serait que les patients puissent s’affranchir de leur traitement par l’imatinib après une certaine durée, qui pourrait varier d’un patient à un autre. Les chercheurs évaluent également leur stratégie dans d’autres cancers récidivants, avec des résultats préliminaires encourageants, et envisagent de la tester contre des tumeurs solides.
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