Les mots du client
« - Ma mère vient de décéder et depuis mon père, âgé de 75 ans, perd la tête. Il a du mal à s’organiser et à gérer son quotidien, il est très confusionnel. Je redoute un Alzheimer.
- Mon mari est traité pour sa maladie d’Alzheimer mais il se désintéresse de tout, il refuse de voir ses amis. Il est tantôt très agressif et tantôt complètement apathique, et j’ai parfois du mal à le supporter.
- J’ai dû me résoudre à placer ma mère de 82 ans, en institution. Elle l’a vécue comme un abandon et moi comme un échec. Je culpabilise beaucoup.
- J’ai deux cas d’Alzheimer dans ma famille et dès que j’ai le moindre trou de mémoire je m’inquiète car j’ai peur que la maladie soit héréditaire. »
Rappel physiopathologique
La maladie d’Alzheimer (AZ) est liée au dépôt d’une substance anormale que le patient sécrète dans son cerveau, appelée peptide amyloïde. On a identifié la protéine mère de départ, l’APP (amyloïd protein precursor) et on sait à présent que les deux acteurs principaux responsables de la cascade biologique sont une production excessive du peptide bêta-amyloïde qui vient s’agréger pour former les plaques séniles ou amyloïdes dans le cortex cérébral, et une phosphorylation anormale des protéines Tau impliquées dans le transport axonal à l’origine de la dégénérescence neurofibrillaire. Les lésions cérébrales semblent débuter dans les régions internes du lobe temporal, en particulier dans l’hippocampe, région impliquée dans les phénomènes de mémoire et de stockage à long terme. Avant l’apparition des symptômes, il se déroule une phase qui va durer plusieurs décennies au cours desquelles les lésions vont s’accumuler, mais le cerveau a des capacités de compensation et il se produit un découplage entre les altérations structurales et le maintien des fonctions. Ce n’est que tardivement, quand les systèmes de compensation sont décompensés, que la maladie se manifeste.
Les questions à l’officine
Comment faire accepter le diagnostic ? Comment accompagner le malade dans la dignité et le respect ? Quand prendre la décision de le mettre en institution ? Il n’y a pas de réponses simples à ces interrogations. Chaque cas est un cas particulier et face au désarroi du patient et de son entourage, le pharmacien se doit de connaître aussi bien la pathologie que ses possibilités de prise en charge à tous les stades.
Les facteurs de risque sont-ils bien identifiés ?
Leur implication reste pour la plupart d’entre eux encore incertaine, seul l’âge est l’unique facteur de risque incontestable. Le risque lié au sexe est remis en question et la maladie AZ n’est pas classée parmi les maladies héréditaires, même si des facteurs de susceptibilité génétique ont été identifiés. La seule chose absolument documentée est le rôle très défavorable que jouent l’hypertension et les anomalies du métabolisme des lipides (cholestérol, triglycérides). Parmi les autres facteurs incriminés : le tabagisme, le diabète, le surpoids.
Existe-t-il des facteurs protecteurs ?
Plus le niveau culturel acquis avant la maladie est important plus le réseau de connexions synaptiques sera développé, et plus la réserve cognitive permettra de retarder l’apparition des symptômes. Toute stimulation intellectuelle (mémoire, raisonnement, réflexion) est donc intéressante. Il est possible éventuellement d’intervenir sur les facteurs latéraux qui modulent l’expression de la maladie (flux sanguin et oxygénation cérébrale, approches nutritionnelles, style de vie).
Quels sont les premiers signes cliniques qui doivent alerter ?
Le signe clinique le plus précoce est le « syndrome amnésique de type hippocampique » qui correspond à des troubles de la mémoire épisodique dont les manifestations les plus fréquentes sont la désorientation dans le temps puis dans l’espace. Le sujet n’est plus capable de se souvenir d’une date, d’un moment de la journée, d’acquérir de nouveaux repères, et il finit même par se perdre dans des lieux qui lui sont familiers.
Comment évolue la clinique ?
L’atteinte des fonctions instrumentales et exécutives se traduit par une aphasie (troubles du langage), une apraxie (difficultés dans l’exécution des mouvements) et une agnosie (impossibilité de reconnaître des objets et des messages par la vision, l’audition et le toucher). Ces symptômes compliquent l’accomplissement des gestes quotidiens.
Comment se manifestent les troubles psychomoteurs ?
Ils sont très variés et s’intensifient au fur et à mesure que la maladie évolue. On note des troubles de l’humeur à type d’anxiété ou de dépression, une apathie qui se traduit par un désintérêt pour les activités habituelles et les relations sociales. Dans les stades avancés de la maladie, les manifestations sont psychotiques et s’expriment par une agitation, de l’agressivité, des cris, des délires, des hallucinations.
Quels sont les avantages d’un diagnostic précoce ?
Le patient diagnostiqué avant la démence peut être inscrit dans une filière de soins adaptée et bénéficier le plus tôt possible des traitements, même si leur efficacité au stade prodromique n’est pas prouvée. De plus, la connaissance de son affection permet au patient d’organiser l’avenir et d’adapter sa vie, et ce suivi facilite des prises en charge, notamment sociales, « en amont » des difficultés.
Quels examens et dans quels cas ?
Des progrès majeurs viennent d’être accomplis et permettent d’établir un diagnostic avant le stade de la démence et d’affirmer la maladie. Le diagnostic était jusqu’alors d’exclusion et probabiliste, mais de nouveaux outils permettent de faire un diagnostic positif avec une haute précision. Celui-ci repose sur le repérage d’un trouble spécifique de la mémoire. Ainsi, de nouveaux critères de la maladie viennent d’être définis :
- L’existence d’un trouble significatif et inaugural de la mémoire épisodique, résultant d’une atteinte hippocampique. Installé depuis plus de six mois, il peut être repéré grâce à la simple épreuve des 5 mots.
- L’atrophie des structures temporales internes notamment de l’hippocampe, visible sur des coupes d’IRM.
- La modification des marqueurs dans le LCR.
- Un profil métabolique spécifique à la tomographie par émission de positons (TEP).
Comment s’établit un diagnostic positif ?
La nouvelle démarche diagnostique commence au cabinet médical par le test simple et rapide des 5 mots. Il repose sur l’apprentissage d’une liste de 5 mots accompagnés de leur catégorie sémantique, par exemple : limonade (boisson) ou camion (véhicule). Il décèle la présence du trouble de mémoire spécifique et caractéristique de la maladie, il est très performant et sa sensibilité est de91 %.
Comment interpréter les résultats du test ?
Globalement, si le sujet redonne les mots, soit de façon spontanée soit avec l’aide des indices sémantiques, on peut exclure a priori un Alzheimer et rassurer le patient. Si la personne ne retrouve pas les mots malgré les indices il y a de forts risques pour qu’elle souffre de la maladie. En effet, dans l’amnésie de type hippocampique, la spécificité du trouble est que le patient ne peut pas être aidé par les indices apportés lors du rappel des 5 mots.
Quelle est la deuxième étape du diagnostic ?
Une fois identifiée cette perturbation spécifique, l’examen à demander est devenu l’IRM en trois dimensions avec appréciation du volume de l’hippocampe : toute atrophie du lobe temporal interne est un argument neuroradiologique en faveur de la maladie. Une fois le diagnostic établi, le patient est adressé à un spécialiste, si possible dans un centre de mémoire, pour une évaluation cognitive plus complète. Ce n’est qu’après qu’apparaissent les autres manifestations pouvant retentir sur l’autonomie du patient et caractérisant alors la démence.
Quels sont tests permettant une évaluation des fonctions cognitives ?
Le MMSE (Mini-mental status examination) est le test de référence pour détecter un désordre cognitif et sa gravité. Il évalue l’orientation dans le temps et l’espace, l’apprentissage, la mémoire et le langage. Il est utile pour le suivi évolutif des traitements.
L’échelle IADL (instrumental activities of daily living) évalue le niveau de dépendance du sujet sur ses activités quotidiennes selon quatre items : utilisation du téléphone, des transports, prise des médicaments, gestion des finances.
Les traitements
Aujourd’hui, il n’existe aucun traitement curatif, l’objectif est de conserver l’autonomie du malade le plus longtemps possible. Il existe deux classes de médicaments mais leur action n’est que symptomatique. Ils doivent être prescrits le plus précocement possible en respectant une instauration progressive des posologies. La prescription initiale est réservée à certains spécialistes et l’instauration n’est possible que si un proche peut s’assurer de la prise régulière du médicament. Les anticholinestérasiques sont indiqués dans les formes légères à modérément sévères. Les trois médicaments disponibles sont : le donépézil/Aricept, la galantamine/Reminyl et la rivastigmine/Exelon. La mémantine/Ebixa est indiquée dans les formes plus sévères. C’est un antagoniste non compétitif des récepteurs au glutamate dont il bloque les effets.
Quelles sont les autres approches thérapeutiques possibles ?
- D’autres facteurs comme les anti-oxydants, les extraits de ginkgo biloba et les AINS ou les oméga 3 ont été étudiés avec des effets encore incertains.
- Les autres modalités de traitement associent la participation à des ateliers de mémoire et de rééducation cognitive. Ces ateliers aident les personnes à s’exprimer en créant une dynamique de groupe favorable à des moments de convivialité et aux échanges sociaux entre malades. Ils font appel à des stimulations diverses (visuelles, auditives, olfactives, tactiles) et à des activités personnalisées (sport, musique, cuisine, jeux, peinture…).
L’aide aux aidants
Cette maladie concerne tout l’entourage du malade, que l’on appelle les aidants et qui ont un rôle considérable. En choisissant de répondre lui-même à tous les besoins d’un parent ou d’un proche, l’aidant assume une charge physique et psychologique considérable. Le pharmacien doit intervenir pour l’informer et l’orienter dans son difficile parcours, à toutes les étapes de la maladie.
Les bons comportements à adopter.
L’accompagnement est composé de cinq éléments clés : compétence, compassion, cohérence, constance et climat. L’aidant doit acquérir les connaissances de base sur la maladie et ses conséquences. La compassion consiste à être sensible au vécu de l’autre et à lui témoigner des soins attentifs. La cohérence est essentielle pour maintenir une relation de confiance avec une personne dont le cerveau s’effrite et se désorganise. La constance apporte la stabilité convenant à la vulnérabilité du malade. La personne reste très sensible sur le plan affectif et il faut s’efforcer de créer un climat serein et rassurant. Surtout ne pas répondre par de la colère à son agressivité, et ne pas parler devant lui comme s’il n’était pas là. La perte d’autonomie du malade n’autorise pas une attitude autoritaire, mais responsable.
Maintenir la communication avec le patient.
Étant donné la perte de compréhension des mots, pour parler au malade il est judicieux d’associer deux ou plusieurs des cinq sens (vue, ouïe, goût, toucher et odorat), chaque sens pouvant compenser le défaut de l’autre. Il faut arrêter de croire que la personne atteinte d’Alzheimer redevient un enfant. Il est essentiel de maintenir une relation d’adulte à adulte, de lui laisser une certaine responsabilité et d’utiliser un vocabulaire simple, en évitant les tons infantilisants. Ne pas hésiter à répéter plusieurs fois la même phrase.
Prévenir un état de malnutrition.
La dénutrition est un signe d’alerte et d’aggravation de la maladie et le comportement alimentaire du patient doit être très surveillé. Une pesée régulière est un bon indicateur. Le signe du frigidaire vide ou chargé d’aliments avariés est très révélateur des désordres qui s’installent. Le Mini nutritional assessment (MNA) est un test qui fait une évaluation globale de l’état nutritionnel à l’aide de questions simples et pratiques, à l’attention du malade et de son entourage. Plus tard, s’ajoutent les troubles du comportement qui vont de la simple aversion à l’alimentation au stade ultime où toute alimentation orale est impossible (refus de manger). Il est essentiel d’adapter les repas aux capacités du patient et de préserver le maximum d’autonomie dans la préhension, la découpe et la mastication.
Les aidants sont aussi des patients.
Il n’existe probablement aucune autre maladie ayant autant de répercussions sur la famille. Peu à peu l’angoisse quitte le malade pour envahir la famille, et elle peut entraîner un sentiment de solitude, d’épuisement. À tous ces éléments, s’ajoute l’immense chagrin de voir une personne chère perdre graduellement ses facultés mentales. La Haute autorité de santé (HAS) recommande aux aidants une consultation médicale annuelle pour une évaluation globale de leur état de santé, mais aussi de leur état psychique, affectif, nutritionnel, et ce suivi doit les accompagner aux différentes étapes de la maladie.
Savoir demander de l’aide.
Il est très important pour l’entourage de ne pas rester isolé. Il existe diverses solutions : le maintien à domicile (MAD) et les soins à domicile (SAD) proposent des soins d’hygiène et infirmiers, des aides ménagères… La prise en charge sociale inclut des aides matérielles (prestation spécifique dépendance PSD, allocation compensatrice, réduction d’impôts, exonération de cotisations…). Il existe également des centres d’accueil de jour et d’accueil temporaire. L’affiliation à une association de familles d’Alzheimer peut apporter entraide et soutien moral. L’association France Alzheimer est la plus connue à l’heure actuelle (Tél. : 01.42.97.52.41.).
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