Ce n’est qu’en 1933 que son virus fut formellement identifié. La grippe n’avait en fait d’espagnole que le nom, car elle provenait d’une souche porcine H1N1 asiatique, et s’était vraisemblablement d’abord déclarée dans plusieurs casernes américaines, avant de traverser l’Atlantique avec les soldats de l’Oncle Sam. Une première vague, au printemps 1918, passa relativement inaperçue, mais elle reprit de plus belle à l’été, et surtout à l’automne 1918, où son pic fut atteint. Enfin, une troisième vague, moins meurtrière, sévit encore de janvier à mars 1919. La maladie, qui débutait comme une grippe classique mais se compliquait rapidement en pneumonie, touchait majoritairement des personnes âgées de 20 à 39 ans, et fut particulièrement fréquente dans le sud-est de la France.
Dans un premier temps, les autorités tentèrent de rassurer la population en minimisant l’ampleur du mal, allant même jusqu’à affirmer qu’il ne frappait… que les Allemands. De nombreuses mesures prophylactiques, basées avant tout sur l’isolement, furent mises en place avec plus ou moins d’efficacité tant chez les soldats que chez les civils. On conseillait, même en été, à la population de bien se couvrir et d’éviter les lieux publics.
À partir de septembre, écrit l’historien Pierre Darmon, les personnels de santé sont débordés par la maladie, et certains médecins apposent des affichettes indiquant qu’il leur est impossible de visiter de nouveaux patients, tandis que les hôpitaux refusent des malades.
Les pharmacies prises d'assaut
De même, poursuit-il, « les pharmacies sont prises d'assaut, des files d'attente se forment devant les comptoirs des herboristes et des droguistes. Il faut piétiner plus d'une heure pour se faire servir et la confection des ordonnances demande un délai de 24 heures. La quinine, l'huile de ricin, le formol, l'aspirine et le rhum, qui fait l'objet d'une scandaleuse spéculation, sont en rupture de stock ». 500 hectolitres de rhum, considéré avec la quinine comme l’un des remèdes les plus efficaces, sont mis en vente, sur ordonnance, dans les pharmacies parisiennes.
Certains journaux n’hésitent pas à publier des traitements miracles, comme le fait « le Petit Parisien » le 26 octobre, occasionnant une ruée sans précédent dans les pharmacies. Sa confection, détaille Pierre Darmon, ne comporte pas moins de 13 étapes et un nombre faramineux d'ingrédients : aspirine, citrate de caféine, cryagémine Lumière, benzoate de soude, Terpine, en tout une vingtaine de produits auxquels s'ajoutent des tisanes d'orge, de chiendent, de queues de cerises… Des médecins et les pharmaciens protesteront contre ce soi-disant remède, d’autant que son coût est particulièrement élevé. D’autres propositions de panacées destinées plus à enrichir leurs inventeurs qu’à sauver des malades paraîtront régulièrement, avec des ingrédients de plus en plus farfelus.
La médecine officielle, elle, s’appuie sur les antiseptiques et les tonicardiaques, peu efficaces, et fait même appel aux révulsions, aux sangsues et aux bonnes vieilles saignées d’antan. Beaucoup de médecins placent leurs espoirs dans la mise au point rapide d’un vaccin, annoncée plusieurs fois mais jamais confirmée.
Le risque de nouvelles pandémies
Cent ans après, la grippe espagnole hante encore les esprits : si les arsenaux préventifs et thérapeutiques actuels sont bien plus efficaces que ceux de 1918, la pandémie grippale de type H1N1, en 2009, a ravivé les angoisses, en dépit de sa létalité qui n’a pas dépassé celle des grippes saisonnières annuelles (voir notre article ci-contre).
Les professionnels, dont les pharmaciens, sont bien mieux préparés qu’autrefois à ce type de risques, comme l’a rappelé Carole Bécard dans sa thèse soutenue à Bordeaux en 2016 sur « les pandémies grippales dans l’histoire et le rôle du pharmacien dans les plans de pandémie ». Elle souligne que les officinaux « contribuent aux soins de premier recours, notamment par la prévention et le conseil pharmaceutique : ils ont le devoir d’expliquer les dangers liés à l’infection grippale et à certains comportements à risque ». Communiquer avec les patients permet aussi de les rassurer par rapport aux informations pouvant émaner des médias. Les pharmaciens doivent suivre attentivement les recommandations officielles et les relayer car, conclut-elle, de nouvelles pandémies redoutables peuvent surgir à tout moment.
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Françoise Amouroux
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