Dans Strasbourg que chauffait à blanc le soleil estival, il fallait les voir, prises d’une frénésie furieuse, tous ces habitants qui, saisis d’une transe incoercible, agitaient en désordre bras et jambes dans une danse grotesque, dégoulinant de transpiration, le visage tordu par la frayeur de ce qui les dominait ! Tout avait commencé au matin du 14 juillet 1518, lorsqu’une femme avait ouvert, si l’on peut dire, cette parade tragique. Intriguant tout d’abord, effrayant ensuite, elle avait fait sans tarder des émules, et des danseurs toujours plus nombreux avaient envahi les rues - se comptant par dizaines puis par centaines.
Les médecins convoqués par le Conseil de la ville avaient formulé un avis sans appel, voyant dans ces mouvements de pantins désarticulés : « un mal d’origine naturelle, causé par un échauffement excessif du sang », suivi d’une recommandation singulière mais logique : les danseurs devaient s’épuiser totalement et être encouragés à se dépenser plus encore pour hâter la venue d’une fatigue libératrice. La place du marché aux grains fut libérée à leur attention puis il fallut leur abandonner également l’actuelle place Broglie. Des musiciens s’installèrent sur une estrade édifiée à la hâte : se relayant jour et nuit, ils firent tourner et tourner encore les malades auxquels la foule apportait de l’eau, de la bière et du vin. Des dizaines d’entre eux finirent par s’effondrer et mourir. Finalement, après plusieurs jours de mouvements ininterrompus, la danseuse qui avait initié cette transe, dont les pieds n’étaient plus qu’une plaie imbibant de sang ses chausses déchirées, absente et terrifiée, couverte de poussière et de sueur, fut véhiculée jusqu’à une grotte dédiée au culte de saint Vit (saint Guy), non loin de Saverne. Elle fut accompagnée de dizaines d’autres Strasbourgeois que l’on estima prudent de confier aux soins de religieux. Ce séjour dans ce lieu de dévotion ne tarda pas à faire recouvrer leurs esprits aux danseurs.
Sous l’emprise de Guy
Paracelse, l’illustre médecin suisse vint quelques années plus tard, en 1526, pour tenter de comprendre cette transe mais ne vit rien de surnaturel dans ce qu’il tint comme une « chorée lascive ». A l’en croire, la femme touchée la première par ce mal, « Frau Troffea » (Frau = Madame en allemand, et troffea = toupie en grec), avait été victime de pensées « lubriques et impertinentes, emplies de lascivité » l’ayant emplie d’« un voluptueux désir de danser » communicatif…
L’origine de cette mystérieuse démence collective reste inconnue. Une vingtaine d’épisodes analogues furent décrits entre le XIIIe et le XIXe siècle, notamment en Allemagne. Des médecins avancèrent un possible ergotisme, mais les signes de cet empoisonnement n’ont rien à voir avec cette danse. L’explication neurologique fut également évoquée puis abandonnée. Hypothèse tenue désormais pour plausible : une réaction hystérique collégiale - un phénomène « contagieux » qui voit un groupe synchroniser ses mouvements sur ceux d’un individu -. Son origine puiserait aux difficultés du temps : Strasbourg avait été la proie d’un hiver rigoureux, la famine sévissait depuis plusieurs années, la syphilis faisait des ravages. Il est probable que la « patiente zéro » (puis les autres danseurs) ait cru que la ville était maudite et qu’elle ait cru, dans un contexte mystique, que saint Guy, capable de guérir des mouvements désordonnés, contraignait son corps à ces mouvements grotesques pour la punir de ses pêchés. Le meilleur traitement ne pouvait donc qu’être de remettre les danseurs au bon vouloir du saint, protecteur depuis le IVe siècle des épileptiques et des victimes de chorées diverses…
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