Les épidémiologistes ont compilé les données de deux enquêtes en population générale : l'étude Esteban de 2014 à 2016 et le baromètre de Santé publique France de 2019, d'une enquête auprès d’un panel de 1 300 médecins généralistes et de données du Système national des données de santé. Les auteurs qualifient leur travail de « première évaluation robuste du nombre d'hypertendus en France ».
Selon l’étude Esteban, près de 30 % des adultes sont hypertendus, ce qui fait de l'HTA la pathologie chronique la plus fréquente en France, avec 17 millions de patients. Ce nombre, proche de celui fourni en 2006 par l'Étude nationale nutrition santé (ENNS), recouvre une réalité complexe avec une grande variété de situations. Pour autant, « la connaissance, le traitement et le contrôle de l’HTA restent sous-optimaux en France et n’ont connu aucune amélioration récente », constatent les auteurs.
Certains indicateurs sont même plus mauvais qu'avant, avec près de 6 millions d'hypertendus non diagnostiqués (soit près d'un sur trois). À ce titre, les chercheurs estiment que la crise Covid a aggravé la situation avec une baisse de 11 % des initiations de traitement. En 2021, contrairement à ce qui a pu être observé chez les hommes, aucun rattrapage n’a été observé chez les femmes avec des niveaux d’initiation inférieurs à ceux de 2019.
Quatre millions d'autres, bien que diagnostiqués et traités, restent avec des chiffres non contrôlés. Plus préoccupant encore, les hypertendus sévères ne sont pas épargnés par l'ignorance de leur pathologie : 43 % de ceux de grade 2 et 35 % de grade 3 ne se savaient pas hypertendus.
La France dans le wagon de queue
La France est très en dessous de la moyenne des pays développés, où 67 % des malades sont diagnostiqués. Le taux monte à plus de 80 % en Allemagne, au Canada, au Québec et aux États-Unis et dépasse les 70 % au Portugal et en Angleterre.
Dans ces pays, des efforts ont été faits pour développer les appareils d’automesure tensionnelle à domicile et le recours aux soins. En France, le « dépistage insuffisamment performant ou la difficulté de compréhension et d’acceptation du diagnostic par les patients lors de l’annonce de la maladie » pourraient expliquer notre retard.
« Des politiques de santé en faveur de la prévention primaire de l’HTA, de son dépistage, et de sa prise en charge doivent être mises en place rapidement pour permettre, comme dans d’autres pays, une évolution favorable des indicateurs sur l’HTA et ses complications cardiovasculaires », jugent les auteurs. Ils estiment notamment que la mesure de la pression artérielle doit être réalisée à chaque visite avec un professionnel de santé et que la qualité de la prise en charge doit être revue.
Des médecins pas assez impliqués dans la prévention
Ainsi, malgré leur nombre important de visites par an chez un professionnel de santé, 57 % des patients hypertendus interrogés dans le cadre de l’enquête Esteban déclaraient ne pas avoir reçu de conseils hygiénodiététiques au cours de l’année précédente. Lors de l'enquête réalisée auprès des médecins généralistes, moins de la moitié d'entre eux se sentait impliquée dans la prévention nutritionnelle de la surcharge pondérale, de la sédentarité et de la consommation d’alcool.
Par ailleurs, l'inertie thérapeutique fait que 60 % des patients traités sont en monothérapie, malgré des cibles tensionnelles non atteintes. De plus, parmi les adultes en monothérapie, près de 20 % recevaient un bêtabloquant, malgré les recommandations françaises de la Haute Autorité de santé (HAS) et de la Société française d’hypertension artérielle (SFHTA).
Cette sous-prescription est non seulement liée au manque de formation (moins de deux heures sont consacrées à l’enseignement de l'hypertension au cours du cursus médical) mais aussi au comportement des patients : 30 % des généralistes interrogés rapportaient que les patients émettaient fréquemment des réserves importantes lors de la prescription de médicaments.
Dans les Drom, des patients mieux prix en charge
Dans le même numéro du BEH, les épidémiologistes de SPF publient une estimation de la prévalence de l’HTA en Guadeloupe, Martinique, Guyane et à la Réunion à partir des données du baromètre de Santé publique France Drom 2021 mené chez plus de 6 500 personnes âgées de 18 à 85 ans. Les chiffres montrent une meilleure prise en charge dans ces départements qu'en métropole.
La prévalence de l’HTA déclarée était de 31,5 % en Martinique, 29,9 % en Guadeloupe, 22,7 % en Guyane et 20,8 % à la Réunion, avec une prévalence significativement plus élevée chez les femmes que chez les hommes. S'il n'y avait pas de différence avec la métropole pour le volet pharmacologique, la prise en charge par des mesures hygiénodiététiques était plus fréquente dans les Drom.
Entre 65 % et 73 % des adultes hypertendus déclaraient avoir eu des conseils pour modifier leur mode de vie contre 58,5 % en métropole. Environ 51,5 % des hypertendus possédaient un appareil d’automesure tensionnelle à leur domicile en Guyane, 53,8 % à la Réunion et plus de 70 % en Guadeloupe et en Martinique.
Ces résultats « témoignent des progrès accomplis dans ce champ dans les Drom, soulignent les auteurs. Le développement de réseaux et de programmes d’éducation thérapeutique comme le réseau HTA-Gwad qui existe depuis plus de 20 ans en Guadeloupe a participé à une amélioration du dépistage, de la prise en charge, du recours à l’automesure tensionnelle et du contrôle de l’HTA dans ces territoires. Néanmoins, ces résultats ne doivent pas éclipser l’ampleur du problème de l’HTA dans la population d’outre-mer ».
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