C’est alors que les chercheurs du laboratoire Lafon, une entreprise familiale fondée en 1951 par Louis Lafon (1910-1992), étaient engagés dans la découverte de nouveaux antalgiques centraux qu’ils synthétisèrent au début des années 1970 une série de dérivés benzhydryles susceptibles d’inaugurer une nouvelle classe d’analgésiques. Ces produits furent alors confiés pour des investigations au pharmacologue Jacques Duteil qui en testait aussi bien l’activité que la toxicité aiguë, par voie orale comme intrapéritonéale. Aucun des quinze candidats ne révéla d’action antalgique particulière sur le système nerveux central, quelle que soit la dose administrée, et aucun n’eut même d’action comportementale. Aucun… sauf un qui se révéla susciter chez la souris une hypermobilité proportionnelle à la dose administrée : les animaux testés étaient plus agités et nerveux que leurs congénères témoins. Ce composé n’était autre que l’adrafinil.
Michel Jouvet (1925-2017), spécialiste d’hypnologie, ayant eu connaissance de l’action singulière de l’adrafinil, pressa Lafon de poursuivre les recherches : les effets de ce psychostimulant lui semblèrent en effet de nature à contrer les signes d’une maladie rare, voyant certains patients obèses s’endormir à tout moment de la journée.
De Dickens à la Guerre du Golfe
Ce syndrome d’obésité-hypoventilation, décrit en 1956 par le médecin américain Charles S. Burwell (1893-1967), devait son surnom de « syndrome de Pickwick » à un personnage pittoresque d’une œuvre de Charles Dickens publiée en 1837 : Fat Joe, connu pour fréquenter le Pickwick Club, était un garçon de ferme, obèse, rougeaud et goinfre, qui s’endormait sitôt que son attention n’était plus soutenue. En testant l’adrafinil comme antinarcoleptique, Jouvet traita avec succès un premier patient, un agriculteur à ce point affecté par la maladie qu’il ne pouvait utiliser d’engin ou simplement conduire une voiture. L’adrafinil fut mis sur le marché en 1985 sous le nom d’Olmifon, avec une indication aujourd’hui surprenante : « Traitement symptomatique chez le sujet âgé des troubles de la vigilance et des manifestations dépressives ». L’armée française s’intéressa à ce produit en 1990 et procéda à des essais chez des volontaires lors de l’opération Dauphin menée à l’hôpital Larrey. Des centaines de soldats en reçurent pendant la guerre du Golfe de 199, où le médicament, réquisitionné auprès du laboratoire, fut distribué sous le nom de code « Virgyl ».
Mais cette histoire ne s’arrête pas là. En 1988 et 1989, le pharmacologue François Rousselet (né en 1929) montra que l’adrafinil était métabolisé en un composé qu’Émile Assous, chimiste chez Lafon, identifia qui fut appelé modafinil et testé. Plus rapidement actif que l’adrafinil et bénéficiant d’une meilleure biodisponibilité, il fut mis sur le marché en 1994 (Modiodal) dans le traitement de la somnolence diurne excessive associée à une narcolepsie avec ou sans cataplexie, une indication bien plus restrictive que celle de son parent.
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