À la pompe, au supermarché, au JT de 20 heures, l'inflation s'invite aussi au cœur de la pratique officinale comme le dénonce un titulaire : « un seul exemple : le coût d'un déambulateur a pratiquement triplé en six mois, à tel point que le prix d'achat dépasse désormais le tarif de 53 euros correspondant à la prise en charge par l'assurance-maladie ». En cause, le prix de l’aluminium sur les marchés mondiaux. Pour ce pharmacien tourangeau, la hausse du prix de ce produit courant de MAD est une illustration parfaite de l’inflation.
Les autres conséquences de cette hausse galopante des prix sont plus cachées, moins immédiates. Et il faudra attendre les premiers bilans pour constater à quel point les 4,5 % d’inflation, voire 10 % prévues d’ici à la fin de l’année, ont entamé la rentabilité des officines. A priori les frais généraux, plus particulièrement le poste de l’énergie, devraient être les premiers à gonfler. C’est en tout cas ce que redoutent les ménages français. Pour autant, sur ce chapitre, les experts-comptables se veulent rassurants pour l’officine. « Même en hausse, les charges externes, c’est-à-dire l'énergie, l'eau, la location de matériel, la maintenance, l'assurance ou les honoraires du comptable, restent un poste relativement faible puisqu'il atteignait en moyenne 5,5 % du chiffre d’affaires les années précédentes », modère en effet Louis Maertens, expert-comptable associé au cabinet Flandre Comptabilité Conseil de Marcq-en-Barœul (Nord). « L’évolution du poste énergie – chauffage, éclairage, robots…- qui ne représente que 0,5 % du chiffre d’affaires aura finalement peu d’impact sur le compte de résultat », renchérit Philippe Becker, expert-comptable chez Fiducial.
Des investissements à la peine
En revanche, d’autres postes de dépenses tels l’informatique et les services externalisés comme la comptabilité, seront sans aucun doute revalorisés. Cette tendance inflationniste des charges est par conséquent à surveiller. Les syndicats ne manqueront pas de la faire valoir lors des négociations du volet économique de la convention pharmaceutique en 2023. Pour l’heure, ils disposent de peu de visibilité dans ce contexte où ni le chef du gouvernement, ni le futur ministre de la Santé ne sont encore connus. Ce qui n’empêche pas Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), de mettre en garde les pouvoirs publics : « en cette période d’inflation où nous devons prendre garde au maintien du pouvoir d’achat de nos équipes, il est inadmissible de subir (dans le cas du Paxlovid N.D.L.R.) une baisse de rémunération de notre acte principal de dispensation du médicament, celui-ci devant au contraire être revalorisé ». Dont acte.
Dans le cas contraire, l’officine pourra-t-elle tenir ses engagements de santé publique ? Les investissements qu’elle prévoyait fournir pour assurer les entretiens pharmaceutiques et autres services pourraient en effet être compromis par l’inflation, et plus précisément par la surenchère des prix des matériaux. « Je dirais presque qu’il fallait investir avant le Covid », lâche Philippe Becker. L’expert-comptable constate en effet que des titulaires font face aujourd’hui pour des achats de robots ou des frais d’agencement à des hausses de tarifs supérieures au taux d’inflation. Au surenchérissement du prix des matières premières s'ajoute un second facteur, celui d'une demande supérieure à l'offre, la reprise économique post-Covid ayant engendré des goulots d'étranglement sur de nombreux marchés internationaux.
Le pouvoir d'achat des équipes officinales
Mais ces effets de l’inflation restent somme toute marginaux comparés à ses répercussions sur les salaires. Les conséquences sur ce poste, qui représente entre 10 et 11 % du chiffre d'affaires, sont en effet les plus redoutées par une profession déjà en butte à une pénurie de personnels depuis le début de la pandémie. Le SMIC a augmenté deux fois cette année et a connu trois hausses en moins de 6 mois. Cette réévaluation n’est pas terminée si l’on en croit les prévisions d’inflation galopante. De telles hausses se répercutent inévitablement sur la masse salariale de l’officine. Sur les emplois peu qualifiés, mais aussi par effet domino, sur les autres postes dépendants d’accords de branche dont les minima sont relevés. La pharmacie compte ainsi parmi les 85 % de branches qui se trouvaient en dessous du SMIC au 1er mai. Cette poussée inflationniste sur les salaires s’ajoute à la légitime attente des salariés qui ont fourni des efforts considérables pendant la crise sanitaire. Elle répond également aux pressions d’un marché du travail tendu.
C'est dans ce contexte que la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) a lancé une grande enquête auprès de ses adhérents. L'objectif de cette consultation est d'établir un état des lieux des salaires en officine. « Nous apporterons ces résultats aux pouvoirs publics afin de leur démontrer que toutes les officines ne sont pas logées à la même enseigne. Si environ 12 000 ont pu engranger de la trésorerie pendant la crise, 8 000 autres officines n'ont pas connu cette bouffée d'oxygène. Celles-ci ne seront pas en mesure de suivre les hausses salariales », note Julien Chauvin, président de la commission Études et stratégie économiques de la FSPF. S'il rappelle que le pouvoir d'achat des salariés est une préoccupation des titulaires, il estime que les revendications salariales doivent être accompagnées par l'État. Car, précise-t-il, un seul point d'augmentation salariale coûte 60 millions d'euros au réseau officinal. Réseau qui ne pourra vraisemblablement pas répercuter cette hausse, pas davantage que l'inflation, dans ses prix de vente (lire encadré).
Surenchère sur les fonds
Pour Joël Lecoeur, expert-comptable associé du cabinet LLL au Havre (Seine-Maritime), ces hausses cumulées vont nécessairement entamer la marge et dégrader la rentabilité des officines. Mais sa plus grande inquiétude porte sur les effets par ricochet de cette inflation sur le prix des cessions. Il y voit une conséquence mécanique de l'augmentation des taux d'intérêt. « Ils vont repartir à la hausse comme c'est déjà le cas aux Etats-Unis. Nous subissons toujours avec six mois de décalage », prédit l'expert-comptable. Une équation est à redouter sur le marché des transactions. Car une hausse des taux d'intérêt de l'ordre de 1,5 point provoque une augmentation de 5 points des prix de cessions sur le marché officinal.
D'ores et déjà, Joël Lecoeur constate des frémissements ces derniers mois. Selon les fonds, certains prix ont augmenté de 0,8 %. De fait, il faut craindre à moyen terme les effets d’un renchérissement du coût du crédit sur le niveau des transactions. Car comme le rappelle Philippe Becker, « les taux d'intérêt donnent le « la » à la profession ». C'est dire si, indirectement, le marché officinal restera suspendu dans les prochains mois aux soubresauts des économies mondiales, et plus particulièrement aux décisions de la BCE de relever ou non les taux.
Mise à contribution au début des années 1980 dans le cadre du plan de régulation des dépenses de santé, puis soumise à la MDL dix ans plus tard, l'officine a-t-elle traversé la crise financière de 2008 pour entamer aujourd'hui un nouveau cycle ? Nul ne sait si l'inflation va perdurer. Ni quel scenario doit être aujourd'hui envisagé. Philippe Becker présage cependant que « dans un contexte de croissance 0, l'ONDAM changera ». Pour autant, les experts ne détiennent pas encore toutes les cartes. Car au phénomène d'inflation observé par tous, se greffe désormais une autre inconnue, les incertitudes d'ordre géopolitique, notamment l'issue de la guerre en Ukraine.
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