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L'interpro fait sa révolution

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Publié le 23/04/2018
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C’est un univers de sigles. Mais c’est surtout un monde de coordination entre professionnels de santé et entre public et privé qui s’organise à partir d’un projet de santé pour répondre aux besoins spécifiques d’un territoire. Le pharmacien, premier recours et professionnel de santé de proximité, y a toute sa place.
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Crédit photo : phanie

C’est l’un des objectifs affichés par le gouvernement. Mercredi dernier, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a rappelé les chantiers en cours dans le cadre de la stratégie de transformation du système de santé lancée le 13 février. Les objectifs sont multiples : une meilleure organisation au service du patient, un système organisé autour du parcours patient et non plus en silo, des réponses de proximité aux besoins des territoires, un partage de l’information optimisé entre les professionnels de santé… Le maître mot : la coordination.

Tout a commencé par la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) en 2009 et son article 51 qui pose les bases de l’interprofessionnalité. La loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2018 apporte de nouvelles solutions, notamment dans un nouvel article 51. Elle permet des expérimentations pour diversifier les modes de financement des soins et faire émerger de nouvelles organisations dans les secteurs sanitaire et médico-social.

Depuis, les communautés professionnelles de territoire en santé (CPTS), créées par la loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016, montent en puissance. « Selon la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), il y a actuellement 172 CPTS en France, dont 65 sont actives. La LFSS 2018 a fourni les outils législatifs et réglementaires qui manquaient et pouvaient bloquer certains projets. Avec ces nouvelles formes de coordination, les trois acteurs incontournables autour du patient se retrouvent : l’hôpital, les professionnels de santé de ville et le médico-social. C’est très motivant parce que la co-construction d’une CPTS part forcément de la base, personne ne décide à la place des professionnels de santé sur leur territoire et ils sont les mieux placés pour connaître les besoins sur leur territoire », explique Sophie Sergent, présidente de la commission URPS à la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). C’est pourquoi les pharmaciens sont nombreux à s’impliquer dans les CPTS.

Répercuter les économies

Le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), Gilles Bonnefond, n’est pas étonné de cette implication de la profession. « On est demandeurs de coordination puisqu’on subit une désorganisation liée au temps médical de plus en plus rare », note-t-il, désignant les territoires où les médecins généralistes ne sont pas en mesure d’accueillir de nouveaux patients. « Il faut que les trois acteurs principaux – médecins, pharmaciens et infirmiers – soient proactifs. Par exemple, on gagne du temps médical si le médecin devient prescripteur d’un parcours de soins. Il lui suffit de prescrire à son patient un protocole pour six mois dans lequel il va rencontrer le pharmacien, l’infirmier, qui le réorientera vers le médecin si nécessaire. »

Un exemple qui n’est pas forcément celui que Jean-Louis Bensoussan, secrétaire général de MG France, aurait choisi. « Prenons l’exemple d’un diabétique, si le diabétologue le voit trois fois par an et que je m’organise avec le pharmacien pour qu’il le voie tous les six mois, moi je ne vois plus ce patient. » Pour autant, MG France est très favorable aux nouvelles organisations territoriales des soins. « On pousse à la création des CPTS, on a envie d’y participer, syndicats et URPS les encouragent, je regrette cependant que leur construction soit très ARS-dépendant. » Autre problématique soulevée par le Dr Bensoussan : le modèle économique des CPTS. « Quand on s’organise en CPTS, qu’on évite un passage aux urgences qui coûte 250 euros, voire une journée d’hospitalisation, aujourd’hui il n’y a pas de possibilité de fongibilité d’enveloppes. » Autrement dit, les économies qui découlent d’une bonne organisation des soins grâce aux CPTS ne leur sont pas répercutées. Néanmoins, pour Gilles Bonnefond, le pharmacien « est dans une position réglementaire conventionnelle pour participer et avoir une rémunération adaptée » grâce à la signature de l’avenant n° 11 en juillet dernier. « Il positionne le pharmacien à côté du patient, le rapproche de l’interprofessionnalité, l’éloigne du commerce et des activités low cost. »

Objectif qualité

La rémunération des acteurs de l’interprofessionnalité n’a en effet pas été définie. En revanche, la mise en place des expérimentations est financée à la fois par le fonds pour l’innovation du système de santé à hauteur de 20 millions d’euros et par le fonds d’intervention régional à hauteur de 10 millions d’euros pour l’année 2018.

Côté patients, ces nouveaux outils de coordination entre professionnels de santé sont une excellente nouvelle. Le président de la Fédération française des diabétiques (FFD), Gérard Raymond, le rappelle : « Nous, patients et responsables associatifs de pathologies chroniques, cela fait une grosse dizaine d’années qu’on parle d’accompagnement pluriprofessionnel et de participation du patient à la co-construction de son parcours de santé et de soins. Maintenant tout le monde en parle. Reste à régler la problématique du modèle économique, mais la relation entre tous les acteurs est actée, c’est une véritable révolution ! » A ses yeux, il faut donner à chacun la possibilité d’échanger, de réfléchir sur son métier et celui des autres, et sur la façon de répondre ensemble à des besoins spécifiques. « L’objectif, c’est la qualité et la performance de tous les acteurs, ce qui bénéficiera au patient et au-delà à tous les citoyens d’un territoire grâce à la prévention, à l’éducation à la santé, aux prises en charge spécifiques d’un territoire. » Mais Gérard Raymond prévient : « Ne faites pas ça sans nous, les patients, ça ne fonctionnera pas ! »

Mélanie Mazière

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3430