Les pharmaciens français l’ont rêvé et ils l’ont réalisé. L’Hexagone est aujourd’hui parmi les pays occidentaux à compter les plus grandes avancées en matière de missions officinales. Il n’en reste pas moins quelques marges de progression, comme le souligne Luc Besançon, secrétaire général de Nérès, intervenant aux Amphis de l’officine organisés par la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), le 25 novembre. Ainsi, indique-t-il, trois types de missions sont identifiés au chapitre des soins de premiers recours : les missions obligatoires, les missions optionnelles prises en charge par l’assurance-maladie et des missions plus locales, conçues dans le cadre de protocoles de coopération en CPTS. « Sans oublier que certaines missions ne sont pas financées mais autorisées. » Les champs du possible sont vastes. Y compris en France. À tel point que l’instauration des nouvelles missions, entrées désormais dans le droit commun, semble désormais être de l’histoire ancienne.
Nouveaux terrains de jeu officinaux
« La prévention, dont le principal moteur est la vaccination, constitue désormais, avec la dispensation, le cœur de métier du pharmacien », reconnaît Philippe Besset. Un grand bond en avant effectué lors des années Covid et qu’il n’est plus utile de souligner aujourd’hui tant il est entré dans les pratiques officinales. Quoique le grand public ait encore quelques lacunes dans l’information de ce que peut proposer l’officine, remarque Nicolas Arvis, directeur général de Valneva, plaidant pour une communication proactive de la part des pharmaciens, quitte à transformer le carnet vaccinal en carnet de rendez-vous. Voire de recourir à une systématisation de « l’aller vers » en matière d’administration et, surtout, de prescription de vaccins.
Car sur ces deux missions, pour la profession comme pour les pouvoirs publics, il n’est pas question de faire machine arrière. Mais plutôt de prospecter de nouveaux axes d’intervention en investiguant de nouveaux parcours de soins. Qu’ils appartiennent ou non au champ conventionnel. La vaccination du voyageur pourrait ainsi faire partie des prérogatives du pharmacien. Cette stratégie aurait pour avantage d’offrir une alternative aux centres de vaccination internationaux (CVI) très souvent engorgés, sinon inaccessibles pour de nombreux Français (voir page 5). À cette exception près, l’officine reste, pour l’heure, exclue et ne peut proposer ces couvertures, que ce soit contre la méningite, l’hépatite A, l’encéphalite japonaise ou encore le chikungunya dont on sait que des épidémies reviennent tous les dix ou quinze ans, poursuit Nicolas Arvis. « À moins que ces vaccinations ne fassent l’objet d’un remboursement. Ce qui n’est pas le cas dans la prévention du voyageur. »
La prise en charge trace d’ailleurs une frontière invisible entre ce qui entre ou pas dans le champ officinal. Comme le remarque Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), l’assurance-maladie est un interlocuteur identifié mais lorsque celle-ci n’est plus dans le circuit, la profession est bien en peine de savoir à qui s’adresser « pour faire bouger les textes ». En effet, précise Nicolas Arvis, si la Haute Autorité de santé (HAS) compte la politique vaccinale dans ses prérogatives, tout ce qui est hors du champ du calendrier vaccinal – que ce soit la vaccination contre l’hépatite A pour le voyageur ou encore l’administration du Gardasil à une personne de 22 ans — ne relève pas de ses compétences. Et ne figure donc pas au rang des recommandations. La vaccination du voyageur est en effet du ressort du Haut conseil de la Santé publique (HCSP). Souhaitant inclure l’officine dans ce parcours de soins, les représentants de la profession s’engagent alors dans un labyrinthe. Pourtant, comme le rappelle Luc Besançon, la piste est suivie par certains pays, où le pharmacien ne se contente pas de vacciner le candidat au départ, mais aussi de lui préparer sa trousse à pharmacie.
Doubler le nombre de molécules en prescription facultative
La vaccination du voyageur est sans doute la mission la plus exotique qui puisse être proposée. Pour autant, dans un certain nombre de pays, le pharmacien peut aussi proposer de revisiter l’armoire à pharmacie ou d’inclure le patient dans un parcours de soins, via l’intervention d’un autre professionnel de santé au sein de l’officine. C’est ainsi le cas au Portugal, expose-t-il, où la moitié des pharmacies proposent les services d’un diététicien nutritionniste. Une intervention qui a pour autre avantage de stimuler les ventes en compléments alimentaires…
Ce dernier exemple démontre à quel point l’initiation de nouveaux parcours de soins positionne le pharmacien, professionnel de santé et commerçant, à la croisée des chemins. Une situation qui a longtemps suscité la méfiance des pouvoirs publics. Que l’on songe à la prescription dans le sevrage tabagique pourtant autorisée par d’autres professionnels de santé (kinés, Idel…). Pourtant, les dernières réticences devraient tomber au printemps 2025. Sauf contre-ordre politique…
Au cours de ces dernières années, les expérimentations type articles 51 menées par les URPS ont repoussé les limites de l’exercice officinal. Au rang de ces initiatives, l’entretien ménopause qui fera ainsi prochainement l’objet d’un parcours de soins en Île-de-France, comme l’a annoncé Virginie Buisson, élue de l’URPS pharmaciens de cette région. Ces initiatives s’inscrivent dans le sillage du dispositif OSyS. Parti de Bretagne il a désormais essaimé en Occitanie, en Corse et en Val-de-Loire. Son succès témoigne de son potentiel à répondre aux besoins de la population. Et de la capacité des pharmaciens à prendre en charge les soins non programmés.
Doubler le nombre de molécules à la main du pharmacien
Cette réponse n’est pas nouvelle. Comme l’a souligné aux Amphis de l’officine, Paul-François Cossa, directeur général d’Opella, filiale santé grand public de Sanofi, et président de Nérès, le recours au pharmacien dans la santé du quotidien est bien ancré dans les pratiques des Français. « 90 % d’entre eux franchissent en moyenne cinq fois par an la porte d’une officine pour des soins de premiers recours. Cela représente 30 % des flux en officine. » Toutefois, insiste Pierre-François Cossa, ce réflexe pourrait se généraliser davantage, la moitié des Français ayant renoncé à se soigner dans l’année en raison de difficultés d’accès aux soins. Il en veut pour exemple l’Allemagne où la population recourt deux fois plus au conseil du pharmacien. Grâce à un élargissement du nombre de molécules accessibles, le marché du traitement de la rhinite saisonnière y est ainsi deux fois plus important. « En France, nombre de personnes persistent à se rendre aux urgences alors que leur état de santé ne le justifie pas », remarque le directeur général d’Opella. Il rappelle cependant que dans la plupart des pays européens les pharmaciens disposent d’environ 200 molécules en prescription médicale facultative, soit deux fois plus que leurs confrères français. Doubler le nombre de molécules à la main du pharmacien répondrait à deux objectifs, expose-t-il : rendre service à la population en déployant un parcours de soins officinal et générer des économies pour l’assurance-maladie. Car, rappelle Paul-François Cossa, chaque euro dépensé en OTC permet d’économiser 8 ou 9 euros dans le système de santé.
Parcours parallèles
Ce parcours de soins officinal qui reste à parfaire ne se dessinera pas sans volonté politique. À l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) « de se prononcer en faveur de molécules au profil de pharmacovigilance acceptable. » Avec un bémol toutefois, intervient Philippe Besset, président de la FSPF, s’inspirant de l’exemple de la pseudoéphédrine : « les pouvoirs publics sont allés chercher la prescription médicale. Car pour l’instant on n’avait que la parole du patient. Désormais le médecin va prendre la responsabilité. Mais la même problématique se pose pour ces 100 molécules, le pharmacien n’est pas habilité à effectuer un examen clinique. Il peut faire un interrogatoire, une anamnèse… C’est une question qui repose véritablement sur le droit constitutionnel, le principe de précaution. » Alors que la tendance est aujourd’hui au relistage de certains produits, les pouvoirs publics seraient néanmoins ouverts à un assouplissement. Un revirement qui, selon certaines informations, pourrait porter sur le délistage de près de 600 médicaments. « La FSPF milite pour la prescription protocolisée, poursuit Philippe Besset, car plus encore que le délistage des produits, ce qui nous intéresse, c’est le parcours pharmacien avec des arbres décisionnels et la traçabilité de la délivrance dans le dossier du patient. » Face à un parcours de soins « assez monolithique », Paul-François Cossa propose de développer des parcours de soins officinaux variés qu’ils soient fondés sur le délistage ou la délivrance protocolisée. Pourraient ainsi cohabiter un parcours avec une prise en charge par l’assurance-maladie – tenant compte de la contrainte financière des patients — et un parcours additionnel de délistage sans remboursement – permettant un parcours plus rapide aux patients qui le souhaitent.
La profession ne serait-elle qu’au début du chemin ? « Nous avons désormais en R & D autant de projets que l’industrie pharmaceutique ! », sourit Philippe Besset, en référence aux missions expérimentées dans le cadre d’article 51 ou encore de protocole de coopération en MSP ou CPTS. Les parcours de soins officinaux peuvent également se doter d’une vocation scientifique. La déprescription de benzodiazépines, en concertation avec le médecin prescripteur, est ainsi expérimentée par une vingtaine de pharmaciens du groupement Totum. Cette étude qui durera un an sous l’égide du CHU de Grenoble portera sur le suivi pendant six mois de 300 patients consommateurs chroniques. L’inclusion de ces patients a débuté lundi. Les résultats attendus en 2026 feront l’objet d’une publication. Signe que nouvelles missions du pharmacien et parcours de soins officinaux entrent de plain-pied dans le domaine de la recherche scientifique.
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