« On "réconcilie" les patients avec le prélèvement »
Titulaire à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine, Stéphanie Oulié s'est lancée dans cette nouvelle mission depuis une dizaine de jours, après avoir dominé ses doutes et une certaine appréhension. « J'ai vu d'autres pharmacies de mon groupement commencer à s'y mettre, j'ai senti une certaine émulation, et cela m'a convaincu. J'ai décidé de recevoir sur rendez-vous et j'avais un peu peur que ce soit "l'enfer" niveau organisation, mais finalement cela se passe très bien, les patients sont très sérieux », tient-elle à souligner. Dans son officine située en plein centre-ville, Stéphanie Oulié a besoin d'environ 20 minutes par patient. C’est dans son espace de confidentialité qu'elle les installe, effectue le prélèvement, l'analyse, avant bien sûr de tout désinfecter en attendant le patient suivant. « Quand le résultat est positif cela apparaît très vite et je peux prévenir par téléphone les personnes infectées à peine 10 ou 15 minutes après la réalisation du prélèvement. Ils reviennent et je leur distribue les masques. Sur les 30 premiers tests effectués, 4 étaient positifs. Imaginez le nombre de cas positifs que l'on pourrait détecter si toutes les officines proposaient ces tests à leur patientèle… », fait-elle remarquer.
Si les membres de son équipe ont eux aussi suivi une formation spécifique, grâce à une infirmière venue expliquer toutes les subtilités du prélèvement nasopharyngé, c'est pour l'instant seule qu'elle assume cette mission. « J'arrive à m'organiser comme cela pour le moment, mais j'ai commencé à anticiper une future augmentation de la demande, notamment en demandant l'autorisation à la mairie d'installer une tente sur ma place de livraison, juste en face de l'officine. Je ne m'inquiète pas encore mais cela fait une semaine que j'attends la réponse, mon dossier est encore en train d'être étudié semble-t-il. » Une petite contrariété qui ne douche pas son enthousiasme, encore moins lorsqu'elle perçoit la satisfaction de ses patients. « L'une d'entre elles est arrivée en me disant qu'elle avait peur parce qu'elle avait eu très mal quelques jours plus tôt lors d'un premier prélèvement pour un test RT-PCR. Avec moi cela s'est beaucoup mieux passé parce que j'ai eu le temps de le faire tranquillement, j'ai pu lui parler, la rassurer… À la sortie, elle m'a dit qu'elle était "réconciliée" avec le prélèvement nasopharyngé », raconte Stéphanie Oulié.
« Dépister le plus de patients possible sans délaisser les autres »
À Hazebrouck, dans le Nord, Domitille de Bretagne, titulaire de la pharmacie de la Creule, a fait le choix du barnum. Réaliser des tests antigéniques dans son officine située dans un centre commercial lui semblait en effet totalement impossible. « J'ai bien senti que cela ne rassurait pas les patients de nous voir en blouse, ils font un pas en arrière lorsqu'ils nous voient équipés ainsi. Nous voulions nous investir dans cette nouvelle mission mais nous n'avions pas l'espace nécessaire dans notre pharmacie et il était hors de question de délaisser les patients hors Covid. Après avoir consulté la mairie et obtenu l'accord de la direction du centre commercial, qui est propriétaire du parking sur lequel nous sommes installés, nous avons acheté un barnum et nous avons commencé à tester en fin de semaine dernière », explique l'officinale nordiste. Un pharmacien et un préparateur sont mobilisés en permanence sous le barnum de 9 h 30 à 16 h 30, du lundi au samedi, pendant que le reste de l'équipe gère les affaires courantes au comptoir. « Être dehors pose tout de même un problème de taille, précise Domitille de Bretagne. Les tests doivent obligatoirement être analysés à une température située entre 15 et 30 degrés. On a installé un chauffage d'appoint mais dès que la lumière du jour tombe cela devient trop compliqué, alors on doit s'arrêter assez tôt, d'autant plus qu'il faut veiller à ne pas sursolliciter les équipes. »
C'est sans rendez-vous que les patients peuvent venir se faire tester sous le barnum. « Jusqu'à présent, aucun n'a dû patienter plus de 15 minutes avant d'être pris en charge. Nous voulions dépister le plus de personnes possible et imposer un rendez-vous nous semblait être un frein trop important. » Alors que les laboratoires de la région ont actuellement du mal à proposer des rendez-vous dans des délais inférieurs à 48 heures, les patients ont été très nombreux à se rendre devant le barnum de Domitille de Bretagne. « Près de 140 patients lors des deux premiers jours avec un taux de positivité d'environ 15 % », détaille la pharmacienne. Des patients à qui il faut rappeler les critères d'éligibilité, expliquer les avantages et les inconvénients du test antigénique, déterminer s'ils sont cas contact ou non… « On doit répéter ce même discours près de cent fois dans la journée, soupire Domitille de Bretagne. Ce n'est pas toujours facile de faire entendre raison à ceux qui ne peuvent pas en bénéficier. La notion de "cas contact" n'est pas du tout comprise par la population », déplore-t-elle. Un travail de pédagogie qui s'avère aussi chronophage qu'indispensable malgré tout. « J'attache aussi beaucoup d'importance à rappeler aux patients que le test, même s'il est intégralement remboursé, a un coût pour la Sécurité sociale et n'est pas gratuit pour la société. » Une inquiétude commence enfin à poindre pour la titulaire de la pharmacie de la Creule : manquer de tests dans un délai plus ou moins long, d'autant plus qu'il faut assurer la distribution aux autres professionnels de santé volontaires. « Nous aurons l'intelligence de nous dépanner entre nous, pour que personne ne soit en rupture, je n'en doute pas », affirme-t-elle avec optimisme.
« Les étudiants sont motivés par ces nouvelles missions »
Pour permettre aux officinaux d'assurer au mieux cette nouvelle mission, les préparateurs et les étudiants en santé ayant validé leur première année ont obtenu l'autorisation d'effectuer les prélèvements nasopharyngés nécessaires à la réalisation des tests antigéniques. Inscrit en 4e année à l'université de Tours, Julien Bathier a appris à manier l'écouvillon après avoir suivi une formation d'une demi-journée avec un médecin généraliste, puis en s'entraînant avec les autres membres de l'équipe officinale. « On s'est testé les uns les autres pour bien maîtriser le geste. Il n'est pas très compliqué à faire, une fois qu'on a compris le principe il n'y a plus de difficulté particulière. » Une nouvelle compétence dont il fait désormais profiter les patients de la pharmacie d'une commune de 5 000 habitants près de Chartres (Eure-et-Loir) où il a l'habitude de travailler pour financer ses études. « Je fais des prélèvements 4 jours sur 7, pendant environ deux heures. La demande a été extrêmement importante les premiers jours, des personnes ont fait plus d'une demi-heure de voiture pour être testées chez nous », souligne-t-il. Des patients particulièrement inquiets et qu'il faut prendre le temps de rassurer. « Ce n'est pas toujours simple avec les personnes très stressées, notamment celles qui ont peur d'avoir mal, cela implique d'avoir une attention constante », explique Julien Bathier.
Avec déjà plus d'une trentaine de prélèvements à son actif, l'étudiant tourangeau commence à être rodé. Il est en tout cas très heureux de pouvoir s'investir dans cette nouvelle mission, un engouement qu'il perçoit chez la grande majorité des étudiants en pharmacie. « Acquérir cette nouvelle compétence m'a tout de suite intéressé. Mes camarades de l'université avec qui j'ai eu l'occasion d'en discuter sont également très demandeurs et beaucoup ont fait le choix de s'investir pour le dépistage du Covid-19, dans les laboratoires depuis quelques mois, et maintenant en officine », observe-t-il. Encore en phase de réflexion, Julien Bathier ne sait pas encore s'il choisira le comptoir une fois ses études achevées. Le rôle de plus en plus important que jouent les pharmaciens d'officine dans la stratégie de santé publique le fait en tout cas sérieusement réfléchir. « Les étudiants en pharmacie sont très motivés à l'idée de s'investir dans ces nouvelles missions en général, constate Julien Bathier. On a très souvent tendance à réduire le métier de pharmacien à la seule distribution des médicaments, à une fonction un peu répétitive. Vacciner contre la grippe ou faire des tests de dépistage pour le Covid, cela montre au contraire la très grande diversité des activités qu'un pharmacien peut être amené à faire. Personnellement, s'il n'y avait pas toutes ces nouvelles missions, l'officine m'attirerait beaucoup moins », conclut Julien Bathier.
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