TRADITIONNELLE en Suisse allemande, mais interdite en Suisse romande*, la dispensation, ou propharmacie, c’est-à-dire la vente directe de médicaments par les médecins, séduit de plus en plus de médecins qui y trouvent d’intéressants compléments de ressources… au point de menacer l’existence des pharmaciens qui tentent par tous les moyens d’enrayer cette progression. Autrefois limitée aux zones de montagne peu accessibles, la dispensation est désormais descendue dans les vallées et les villes, et s’apprête à bouleverser totalement la distribution du médicament à Zurich et Winterthur, les deux grandes villes du canton de Zurich, le plus peuplé de Suisse. Dès le mois prochain, en effet, 500 médecins sur les 1 500 que comptent les deux villes auront le droit de dispenser eux-mêmes des médicaments : « c’est comme si 500 pharmacies ouvraient d’un coup dans une ville de 550 000 habitants », constatent les pharmaciens, qui réclament, au moins, un délai supplémentaire pour se préparer à ce bouleversement.
Comme l’explique Lorenz Schmid, président de l’association des pharmaciens du canton de Zurich, les médecins zurichois ont obtenu cette nouvelle activité en persuadant la population qu’il était plus simple et moins cher de repartir de chez le médecin avec un médicament dans son sac que d’aller l’acheter en pharmacie. Après avoir poussé à l’organisation d’une initiative populaire cantonale (un référendum) sur ce thème, ils ont fait changer la loi en élargissant la propharmacie, jusque-là purement rurale, aux médecins des villes. Or, poursuit M. Schmid, le public ne réalise pas qu’il paye aussi ce service dans la consultation médicale et que, s’il est effectivement utile d’avoir tout de suite un médicament en cas de maladie aiguë, dépendre du médecin pour les renouvellements d’ordonnance se révélera vite très contraignant. En outre, il s’interroge sur la sécurité et la qualité de cette dispensation, « d’autant qu’on sait très bien que ce ne seront pas les médecins, mais leurs assistantes peu formées qui s’en chargeront ». Si les pharmaciens zurichois n’ont pas la possibilité de s’opposer à la nouvelle loi, ils demandent qu’elle ne s’applique pas avant deux ou trois ans : « D’ici là, dit M. Schmid, nous aurons eu le temps de développer de nouveaux services », y compris des consultations médicales vidéos à l’officine, avec un service de médecins installé à Bâle, Medgate. D’autres pharmacies envisagent même d’engager des médecins à temps partiel pour proposer des consultations à l’officine. « Nous avons toujours privilégié la coopération avec les médecins, rappelle Lorenz Schmid, mais si les médecins veulent faire de la pharmacie, alors nous, nous sommes prêts à élargir nos compétences dans le domaine des traitements. »
Conflits d’intérêt.
Si le dossier zurichois occupe le devant de l’actualité professionnelle, les propharmaciens avancent aussi dans les autres cantons. En Argovie, seul canton germanophone avec Bâle-Ville où la propharmacie est encore interdite, les médecins ont déposé un projet d’initiative populaire pour l’autoriser… et les pharmaciens préparent un contre référendum sur le même sujet, après avoir recueilli 50 000 signatures. Si ces initiatives populaires ont lieu, ce qui est vraisemblable, le gouvernement cantonal devra alors se prononcer ensuite sur la question. Fabian Vaucher, président des pharmaciens d’Argovie, explique que les médecins utilisent toujours les mêmes arguments de « rapidité et de coût », et que cela marche… sauf quand les pharmaciens arrivent à démonter ce type de discours et à en montrer les dangers. « Nous sommes un peu les victimes de la démocratie directe suisse, constate-t-il, mais c’est la règle du jeu et nous devons nous adapter. » Il table lui aussi sur le service, la qualité et les nouvelles prestations pour répondre aux attaques des médecins, non sans sous-estimer les risques de la dispensation pour les officines : dans le canton voisin de Thurgovie et dans les petits cantons de montagne, la densité de pharmacies, une pour 15 000 habitants, est « proche de celle du tiers-monde », rappelle-t-il. À Berne, la dispensation est limitée à la première ordonnance, mais les médecins bernois pourraient eux aussi se sentir pousser des ailes en voyant le succès de leurs confrères zurichois.
De leur côté, les pharmaciens romands se sentent - encore - protégés contre la dispensation, mais pourraient un jour en subir eux aussi les effets. « La dispensation est un cancer », n’hésite pas à dire Michel Buchmann. Il souligne que « le Parlement fédéral suisse est contre la dispensation, et que celle-ci est non seulement dangereuse, mais crée aussi des conflits d’intérêt inacceptables »… mais que la question est du ressort des cantons et du peuple, et donc insoluble par voie législative. À terme, s’inquiètent de nombreux pharmaciens romands, le phénomène pourrait franchir la frontière linguistique qui divise la Suisse : les médecins romands, qui subissent eux aussi une baisse de revenus à cause des politiques d’économie à tous crins, pourraient être tentés de faire comme leurs confrères alémaniques, mais en s’alliant aux autres médecins pour faire organiser un référendum au niveau de toute la Suisse pour contourner les oppositions des cantons romands. Et comme les Alémaniques constituent deux tiers de la population suisse, la propharmacie aurait alors de bonnes chances de se généraliser dans le pays, un scénario que les pharmaciens entendent empêcher à tout prix.
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