Dans de nombreux pays, dont la France, les pharmaciens et leurs organisations professionnelles se félicitent de la possibilité de vacciner, et voient dans cette mission une avancée importante. Rien de tel en Allemagne, où la vaccination en officine, portée depuis plus d’un an par le ministre de la Santé Jens Spahn, se heurte à un certain scepticisme, plus ou moins ouvertement affiché.
Les raisons principales de cette défiance sont à chercher du côté des médecins, vent debout contre la mesure, dénoncée avec virulence par leurs Ordres national et régionaux, ainsi que par leurs sociétés savantes. En mai dernier, l’Ordre des médecins a même menacé les pharmaciens de « représailles » s’ils obtenaient le droit de vacciner, en demandant notamment un droit généralisé à la propharmacie.
L'hostilité des médecins
L’hostilité des médecins à la vaccination officinale ne date pas d’hier, au point que les pharmaciens, longtemps favorables à la mesure, l’ont carrément supprimée de leurs revendications pour apaiser la situation. Jens Spahn a remis le sujet au goût du jour en 2018, en estimant que la vaccination officinale permettrait d’augmenter considérablement le taux de vaccination contre la grippe dans le pays. Dans le cadre d’une nouvelle loi qui rend obligatoire la vaccination contre la rougeole des enfants placés dans des crèches et des jardins d’enfants, sous peine d’une forte amende, le Bundestag a ajouté, sur recommandation du ministre, un amendement autorisant les pharmaciens à vacciner contre la grippe.
Les médecins multiplient les réactions négatives contre ce projet, définitivement adopté en novembre. Ils mettent en avant le « manque de formation » des pharmaciens à la vaccination en général, mais aussi les risques potentiels du vaccin contre la grippe, que les pharmaciens, selon eux, ne sont pas capables de maîtriser. S’ils ne sont pas parvenus à faire annuler la mesure, ils ont réussi à la faire encadrer de manière tellement stricte que l’on peut se demander si les pharmaciens chercheront vraiment à la faire appliquer. En effet, la vaccination officinale sera d’abord introduite dans le cadre d’expérimentations régionales… qui devront être demandées par les pharmaciens aux autorités sanitaires régionales, et placées sous la responsabilité de ces dernières. Les pharmaciens autorisés à vacciner devront avoir été spécifiquement formés par des médecins, lesquels participeront aussi au suivi et aux évaluations.
Le cadre très restrictif de l’expérimentation, mais aussi le climat conflictuel dans lequel elle se déroulera, amène beaucoup de pharmaciens à douter d’emblée de son succès. Même l’association fédérale des pharmaciens, l’ABDA, se montre très prudente. Si elle ne peut, évidemment, ni rejeter ni dénoncer la vaccination officinale, elle s’est contentée de prises de position laconiques pour exprimer son soutien à cette dernière : on est très loin des communiqués souvent enthousiastes qu’elle produit pour saluer d’autres évolutions professionnelles, y compris bien moins importantes que la vaccination. Enfin, première illustration des difficultés concrètes liées à l’introduction de la vaccination en officine, l’Ordre régional des pharmaciens du Brandebourg vient de signer un « accord » avec l’Ordre des médecins de la même région, condamnant fermement la vaccination en officine, qui ne sera donc pas expérimentée dans ce Land : une initiative qui pourrait très vite inspirer d’autres ordres régionaux, pour éviter là aussi des conflits entre les deux professions.
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