Le Quotidien du pharmacien. - Dans quel état d'esprit abordez-vous les prochaines négociations conventionnelles avec les pharmaciens ?
Thomas Fatôme. - Deux sentiments résument l'état d'esprit dans lequel nous abordons ces négociations : tout d'abord l'envie. Celle d'entrer rapidement dans ces discussions car il y a de nombreux sujets à l'agenda. De plus, le champ de la convention pharmaceutique s'est beaucoup élargi ces dernières années, et nous souhaitons que cela se poursuive. Et puis il y a aussi l'ambition. Car les objectifs sont nombreux : l'organisation des soins, la prévention, le métier du pharmacien, le numérique… Nous souhaitons vraiment faire de cette convention, une convention ambitieuse. Et cette ambition, comme nous l'avons vu lors des travaux préparatoires en 2020 et surtout en 2021, semble partagée par la profession ; nous avons, je crois, trouvé la même envie d'avancer. Nous avons donc le sentiment que ces négociations se présentent bien, même si nous découvrirons leur véritable dynamique dans les jours qui viennent.
Un mot aussi sur la méthode de ces négociations sur laquelle nous avons souhaité innover. En toute transparence avec les représentants syndicaux, nous avons voulu aller interroger directement les pharmaciens pour savoir ce qu’ils pensent de la situation actuelle et connaître leurs propositions pour l’avenir. Aussi avons-nous mis en place un site participatif*, ouvert à tous les pharmaciens depuis fin octobre et jusqu’à mi-décembre, il comprend à la fois un questionnaire et une boîte à idées. C’est la première fois que l’assurance-maladie adopte cette démarche en complément des discussions que nous avons avec les syndicats.
Le fait que cette négociation se déroule en période de crise change-t-il quelque chose ?
Oui, la crise va impacter à la fois les objectifs et le contexte de cette négociation. Il n'aura échappé à personne que les pharmaciens ont été largement impliqués durant celle-ci. Ce qui a incontestablement valorisé et consolidé certaines missions qui leur avaient été confiées lors des précédentes conventions. La crise a notamment confirmé l'évolution du rôle des pharmaciens en tant qu'acteurs de prévention et, à notre sens, va permettre de l'accélérer. La crise a aussi eu des impacts financiers importants sur l'équilibre économique de l'officine. Notre travail visera à faire la part des choses entre le caractère exceptionnel de certains éléments et une trajectoire pluriannuelle qu'on espère tous moins heurtée…
Sans préjuger du résultat des négociations, comment comptez-vous accentuer la bascule vers de nouvelles dispensations et de nouveaux actes officinaux rémunérés ?
Diversifier les leviers de rémunération des pharmaciens et les rendre moins dépendants du prix et du volume des médicaments délivrés en pharmacie, c’est une ligne stratégique que nous souhaitons poursuivre. Cela doit passer par le bilan de ce qui a été fait et par la mesure de l’appétence de nos partenaires pharmaciens à continuer. La négociation va permettre de dire jusqu’où on veut aller. N’oublions pas que cette négociation conventionnelle se joue non seulement entre l’assurance-maladie et les partenaires conventionnels que sont les syndicats représentatifs, mais aussi avec les complémentaires santé via l’UNOCAM qui nous a confirmé sa participation et qui est notamment concernée en tant que financeur dès lors qu’on touche au modèle économique.
La prévention en santé est devenue pour l'assurance-maladie un foyer d'économie à part entière. Les pharmaciens ont montré un engagement sans faille dans la prévention pendant la crise Covid. À quel point comptez-vous sur eux pour participer à cette nouvelle économie sanitaire ?
Cela fait partie des sujets sur lesquels nous souhaitons être ambitieux. Mais à la fois très concrets. Nous avons ainsi commencé à partager, très concrètement, sur des sujets tels que le rappel des vaccinations pour les adultes ou la délivrance de kits de dépistage du cancer colorectal. Ces deux exemples montrent qu'il ne s'agit pas seulement d'une orientation stratégique mais que ce type de missions, encore une fois très concrètes, pourraient être confiées aux pharmaciens dans le cadre des discussions conventionnelles. Au-delà, nous attendons également de nos partenaires conventionnels qu'ils soient porteurs d'idées. Nous veillerons aussi à ce que ce rôle donné aux pharmaciens en matière de prévention soit toujours cohérent avec le parcours de soins des patients et avec le rôle des autres acteurs de santé. Si l'assurance-maladie reste très attachée au rôle clé du médecin traitant, la crise sanitaire a démontré la capacité des pharmaciens à agir dans le champ de la prévention et à relayer des messages de prévention.
Certaines missions doivent être impérativement intégrées à un exercice coordonné. Des pharmaciens pointent des difficultés pour les réaliser, faute de structure d’interprofessionnalité dans leur zone notamment. Quelles solutions envisagez-vous ?
Pour répondre à votre question, il faut d'abord revenir au cadre de l'avenant 21. Ce texte fixe une liste des situations dans lesquelles les pharmaciens sont amenés à l'exercice coordonné. Cette liste est assez vaste et embrasse à dessein de nombreuses modalités d'exercice : maisons de santé, CPTS, équipes de soins… De notre côté, nous avons le sentiment que le cadre général de l'exercice coordonné tel que défini par l'avenant 21 est déjà très ouvert et permet aux pharmaciens de s'engager.
Le droit de substitution biosimilaire fait son retour dans le PLFSS en cours de discussion au Parlement, mais limité à une liste qui ne compterait actuellement que deux molécules, soit une économie visée d’environ 6 millions d’euros, alors que le gisement d’économies est 100 fois plus élevé. Pourquoi ne pas miser davantage sur le pharmacien ?
Le rôle des pharmaciens a été très discuté lors d’une précédente tentative d’introduction de la substitution par la LFSS de 2014, qui n’a d’ailleurs pas fonctionné. Nous souhaitons revenir sur ce sujet de façon circonscrite pour lui donner un nouveau départ, et de façon complémentaire avec l’avenant 9 signé cet été avec les médecins prévoyant des incitations à la prescription biosimilaire. Cette approche prudente permet donc de réenclencher une dynamique. À nous maintenant, pharmaciens et assurance-maladie, de montrer que le dispositif de ce PLFSS 2022 peut fonctionner. Si c’est le cas, nous verrons s'il est possible d'aller plus loin. L’assurance-maladie met en place une base pour que le rôle du pharmacien se développe dans une logique de confiance pour les patients. En effet, nous voulons mobiliser à la fois les médecins, les pharmaciens et les assurés sur l’augmentation de l’utilisation des biosimilaires, aussi bien en ville qu’à l’hôpital, ce qui ne peut se faire qu’en s’appuyant sur une confiance partagée. C’est à cette condition qu’on pourra avoir un vrai démarrage des biosimilaires dans notre pays.
Le virage numérique est un passage obligé, qui accompagnera notamment la mise en place de la prescription électronique dans les officines. Sur ce volet, quels points seront précisément abordés lors des discussions conventionnelles ?
Au travers de cette nouvelle convention, nous voulons accompagner le déploiement de trois innovations majeures.
L’e-prescription d'abord, sur laquelle des expérimentations ont été menées. 2022 et 2023 devraient être les années de sa généralisation progressive qui concernera les médecins comme les pharmaciens. Nous examinerons donc le cadre et les incitations conventionnelles à mettre en place pour développer la prescription électronique.
Autre sujet que nous souhaitons développer dans le volet numérique de nos discussions : la dématérialisation de la carte Vitale - l'app carte Vitale -. Beaucoup de personnes perdent leur carte, ils pourront demain mettre leur carte Vitale sur leur smartphone ce qui facilitera la vie des assurés et celle des professionnels de santé. Nous verrons donc comment accompagner les pharmaciens dans la mise en place de cette application.
Enfin, le troisième grand sujet sera celui de l'espace numérique de santé (ENS). Comme vous le savez, au début de l'année 2022 l'assurance-maladie lancera pour tous les Français leur espace numérique de santé. Et cela se fera avec les pharmaciens qui pourront être un relais d'information et d'alimentation de cet ENS.
Les officinaux ont toujours été à l'avant-garde des évolutions technologiques, telle que la carte Vitale. Nous pensons que cette prochaine convention marquera le tournant d'une ambition qui est, pour moi, comparable, voire supérieure, à celle qui a conduit à la carte Vitale en son temps. Dans les cinq prochaines années, nous aurons atteint nos objectifs si nous réussissons à inscrire dans le quotidien des Français, l'espace numérique de santé, l’e-prescription et l'application carte Vitale.
Cette numérisation des relations patient/pharmacien vise-t-elle également à lutter contre la fraude ?
Parmi nos orientations de négociation, nous avons clairement identifié le sujet de la qualité de la facturation qui peut aller de la simple erreur à la fraude avérée. Nous voyons, par exemple, se développer des trafics de médicaments onéreux. Voilà pourquoi nous souhaitons mettre en œuvre, avec les pharmaciens, des outils numériques aptes à sécuriser les conditions dans lesquelles ils facturent, mais aussi qui permettront à l'assurance-maladie de mieux repérer les erreurs et les fraudes.
La future convention prévoit un volet « écologie ». Quels sont les objectifs poursuivis et avec quels moyens ?
Je voudrais d’abord tordre le cou à l’idée selon laquelle l’assurance-maladie se convertit à l'écologie par effet de mode. Au contraire, nous voulons, avec les pharmaciens et les différentes professions de santé, être des acteurs de ce tournant, c’est pourquoi nous identifions comme lors de chaque convention les sujets sur lesquels nous pouvons agir pour une utilisation pertinente du système de santé. Aujourd'hui, il convient de le faire avec des ressources plus respectueuses de l’environnement. Ce n’est pas quelque chose qui s’arrêtera à un coup de pub avec les pharmaciens. On pense, bien sûr, à la gestion des déchets, mais en réalité on peut pousser le curseur plus loin, jusqu’à réduire le gaspillage des médicaments et aborder le sujet de la dispensation à l’unité. Ces thèmes peuvent aussi bien concerner les actions des pharmaciens en tant que professionnels de santé que leurs relations avec les patients puisqu’ils voient chaque jour plusieurs centaines de milliers de patients. Les pharmaciens peuvent donc être des vecteurs de promotion de la santé environnementale. Les représentants syndicaux des pharmaciens ont très bien reçu cette proposition et on a l’envie partagée d’être là aussi, ambitieux.
Vous venez de recevoir la lettre de cadrage ministérielle pour la future convention pharmaceutique, dans laquelle figure le sujet de la dispensation à l’unité. Sous quelle forme ce dispositif pourrait-il se mettre en place ? N’y a-t-il pas une incompatibilité avec l’obligation de sérialisation faite aux pharmaciens ?
Le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, fixe les lignes directrices de la négociation. Dans son courrier, le ministre évoque la dispensation à l’unité pour la famille des antibiotiques avec, comme échéance, le début de l’année 2022. À nous de voir, en bonne intelligence avec les pharmaciens, comment la convention peut fixer un cadre à cette dispensation à l’unité. C’est en tout cas un sujet qui fera partie de la négociation ; il s’inscrit aussi dans la lutte contre le gaspillage, dans l’aide à l’observance et dans l’adaptation de la distribution du médicament aux besoins des patients. Pour avancer, il est important de regarder ce qui se passe ailleurs. La France est en retard sur l’obligation européenne de sérialisation ; en effet, d’autres pays, dont certains font de la dispensation à l’unité, répondent déjà à l’obligation de sérialisation sans problème. Le règlement prévoit de décommissionner à l’ouverture de la boîte, une seule fois, pas à chaque comprimé délivré.
* https://www.ameli.fr/pharmacien/actualites/un-questionnaire-pour-mieux-…
Marché de l’emploi post-Covid
Métiers de l’officine : anatomie d’une pénurie
Près de 45 fois plus de cas en 2023
Rougeole : l’OMS appelle à intensifier la vaccination en Europe
Pharmacien prescripteur
Après les vaccins, les antibiotiques
Logigramme, formation…
Le dépistage de la cystite en pratique