Le BP vit ses dernières heures. Cette rentrée 2022-2023 connaît l'ultime promotion de préparateurs qui sortiront munis de ce diplôme. Pour deux ans encore, cette formation au brevet professionnel cohabitera avec la filière DEUST (diplôme d'études universitaires scientifiques et techniques). Un nouveau cursus déjà suivi en 2021-2022 par quelque 1 700 apprentis préparateurs dans plus de dix facultés de pharmacie et désormais généralisé à l’ensemble des universités, à l’exception de Metz Nancy.
Car c’est bien d’un diplôme universitaire qu’il s’agit. D’un niveau BAC +2, il sort de l’ornière des professionnels, pour la plupart bacheliers titulaires d’un BP mais voués à plafonner au niveau BAC. Mais, surtout, le DEUST ouvre les portes d’une licence – en cours d’élaboration -, voire à d'autres voies puisque l’universitarisation permet un lien entre formation et recherche. C’est dire si ce nouveau cursus est aujourd’hui prometteur de passerelles, d’évolution professionnelle et, par conséquent, de candidats aux profils différents.
Répondre aux besoins des chefs d'entreprise
La profession ne s’y est pas trompée lorsqu’elle s’est engagée il y a dix ans, aux côtés des pouvoirs publics et des représentants des salariés, dans ce chantier de la réforme des études de préparateurs. Tous les titulaires conviennent aujourd'hui que les évolutions de l’exercice officinal ont engendré de nouveaux besoins en matière de compétences et de ressources humaines. Le contenu du BP, encore très axé sur la préparation magistrale, ne répond plus aujourd’hui aux enjeux d’une pharmacie qui vaccine, dépiste et mène des entretiens pharmaceutiques.
Confrontés à une pénurie croissante de personnels, les officinaux n’avaient donc d’autre choix que de rendre plus attractive une formation devenue obsolète. Pariant que l'inscription du DEUST sur Parcoursup créerait un appel d’air dans le recrutement de ces nouveaux alternants, les titulaires tablent sur un personnel qualifié et redimensionné pour relever les défis de l’entreprise officinale de demain. « La création du DEUST est l’opportunité de faire bouger à la fois les référentiels, les blocs de compétence et l’ingénierie pédagogique. Il s’agit d’une évolution des fondamentaux tout en maintenant un temps égal en officine et le lien avec les territoires », exposait lors du Congrès des pharmaciens à Lille, Bertrand Decaudin, pharmacien, professeur des universités et ancien doyen de la faculté de pharmacie de Lille.
Toute la filière officine va se trouver valorisée par cette réforme opérée parallèlement à celle de la sixième année des études de pharmacie. Ce sont en tout cas les espoirs fondés par les pharmaciens, chefs d’entreprise. Et par les intéressés eux-mêmes. « Cette évolution répond à un besoin général d’une officine et de ses acteurs aujourd’hui plus proches des patients », reconnaît Christelle Degrelle, préparatrice et représentante du syndicat CFE-CGC. Bien avant la création du DEUST, certains groupements ont anticipé ces évolutions de la formation. Faisant cavaliers seuls, ils ont élaboré des cursus conformes à leurs besoins et aux mutations du métier. C'est le cas d’Aprium, de l’association de groupements Agir-Pharma (voir ci-dessous) ou encore de Pharmacorp. Ce dernier a démarré l’année dernière, en coopération avec l’organisme de formation Cepfor à Labège (Haute-Garonne), sa propre filière avec 14 apprentis. « Ils sont 60 à cette rentrée avec trois sessions pleines, soit 45 inscrits, plus quinze autres qui nous rejoindront à la rentrée décalée de novembre », se félicite Laurent Filoche, président du groupement.
Un coup de pied dans la fourmilière
Réservée aux adhérents Pharmacorp, dont certains interviennent dans les cours, cette formation inclut, outre les référentiels officiels, des modules spécifiques tels que l’initiation à l’outil Pharmacorp pour la prise de rendez-vous ou encore au programme de fidélité. Selon les prévisions, cette formation au BP devrait naturellement être convertie en DEUST dans deux ans, en délégation d’une faculté. Le succès de cette formation, officielle et néanmoins « maison », conduit Pharmacorp à espérer que les futurs diplômés, tous apprentis au sein des pharmacies adhérentes, resteront fidèles grâce à une forte identification au groupement. « Afin de répondre aux affiliés Pharmacorp d’autres régions, nous serons en mesure de mettre en œuvre d’autres modules de formation dans chaque territoire où Cepfor est présent », indique Laurent Filoche.
Ces solutions adoptées par les groupements leur épargnent les difficultés de recrutement de formateurs rencontrées dans plusieurs CFA. À l’instar du CFA-iA (centre de formation d’apprentis – l’intelligence apprentie) de la Roche sur Yon (Vendée). Dix-sept étudiants se sont inscrits au DEUST préparateur – technicien en pharmacie proposé en partenariat avec l’université de Nantes. Toutefois un problème se pose en termes de formateurs. Malgré les nombreux appels à candidatures, plusieurs matières fondamentales restent sans enseignants à la veille de la rentrée. « Pour le premier semestre, il manque un pharmacien formateur en pharmacologie, ce qui représente 25 heures de cours. Concernant l’infectiologie et la chimie, ces enseignements seront assurés dans un premier temps par les formateurs du CFA-iA de Nantes. Mais cette solution n’est que provisoire », explique Sophie Dormaël, responsable des programmes au CFA-iA de la Roche sur Yon.
Deux raisons sont régulièrement avancées pour expliquer cette situation : le niveau de rémunération et le flux tendu dans les officines, qui impose de mobiliser les salariés à temps plein : « Face à une activité intense et aux difficultés de recrutement auxquelles sont confrontées les officines, les pharmaciens et préparateurs disposent de moins en moins de temps pour se consacrer à la formation. Paradoxalement, les pharmaciens titulaires sont nombreux à rechercher des apprentis. Ils ont compris que l’apprentissage était un moyen de pérenniser le personnel de l’officine à long terme. » À la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), ces difficultés à recruter des enseignants ne surprennent pas car, comme le confirme Philippe Denry, son vice-président, « Il manque des formateurs pour la simple raison que les pharmaciens sont moins disponibles puisqu’ils doivent pallier la pénurie de personnels à l’officine. C’est par conséquent plus compliqué de trouver des intervenants pour les formations ».
Comme dans toute réforme, des points restent en suspens. Ainsi, souligne, Olivier Clarhaut, secrétaire général adjoint du syndicat Pharmacie LABM FO, le DEUST, qui en est désormais à sa deuxième rentrée, ne figure toujours pas dans le code de la santé publique. « Une modification de la loi est nécessaire mais elle suppose l'intervention de deux ministères, la santé et l'enseignement supérieur », relève-t-il. Sans jouer les Cassandre, cette absence de modification ne doit pas occulter les dissensions qui entourent la naissance de cette formation. « Une alternative a été évoquée par d'autres acteurs de la profession, celle de la création d'une licence dédiée aux préparateurs, hospitaliers et officinaux confondus, avec une spécialisation en troisième année », rappelle Olivier Clarhaut. Dans ce cas, le DEUST serait en sursis jusqu'à la décision des ministères concernés.
Au-delà de ces interrogations et des ajustements nécessaires, l’évolution de la formation et, avec elle, la valorisation du diplôme de préparateur ne sont pas sans poser quelques questions de management aux titulaires. Comment éviter à l’avenir de se trouver face à une équipe officinale à deux vitesses ? Comment faire côtoyer plusieurs générations de préparateurs munis de diplômes valorisés - et sans doute rémunérés - différemment ? « J’ai trente ans d’expérience en pharmacie en tant que préparatrice et je me vois mal en référer à une jeune diplômée d’un DEUST », reconnaît Christelle Degrelle. Une équivalence du BP, moyennant une validation des acquis ou quelques mises à niveau, est pour elle la condition sine qua non pour tirer la profession vers le haut. Et pour que, ainsi reconnus, ces préparateurs puissent se lancer dans une licence et entrevoir d’autres perspectives de carrière. Mais la préparatrice n’en oublie pas sa casquette de déléguée syndicale CFE-CGC : « Un autre prérequis est l’évolution de la rémunération. Les titulaires vont devoir payer pour avoir du personnel compétent. En prônant, une valorisation du diplôme de préparateur, on a donné un coup de pied dans la fourmilière. »
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