C'est un marché gigantesque que celui qui regroupe les prestations de santé à domicile.
Ses sept grands secteurs ont ainsi généré un remboursement de 3,7 milliards d'euros en 2018, selon la Fédération des PSAD*. Parmi eux, l'assistance respiratoire est sans doute le champ le plus imposant avec 1,5 million de personnes prises en charge dont un million pour apnée du sommeil, le reste étant réparti entre l'oxygénothérapie, la ventilation mécanique et l'aérosolthérapie.
Six autres secteurs de prestation viennent les seconder : la perfusion, la nutrition (complémentation orale, nutrition entérale et parentérale), l'insulinothérapie par pompe, la stomie et les troubles de la continence (poches et sondes), le maintien à domicile (lits médicalisés, supports d'aide à la prévention et traitement des escarres, soulève-malades, sièges coquilles…) et le handicap (fauteuils roulants). Dans cet éventail d'activités, la part de l'officine reste modeste. « Les pharmaciens d'officine assurent la moitié des prestations d'aérosolthérapie dont le montant des dépenses estimé est proche de 55 millions d'euros et peuvent intervenir dans le cadre de la perfusion qui correspond à un remboursement total de 350 millions d'euros », indique Julien Slama, délégué général adjoint de la Fédération des PSAD. « Les officinaux sont également investis dans les domaines de la stomie et des troubles de la continence, dans celui du MAD mais très peu dans la dispensation d'oxygène qui repose essentiellement sur le pharmacien responsable BPDO (Bonnes pratiques de dispensation de l'oxygène) du prestataire. » En 2018, l'oxygénothérapie a concerné plus de 270 000 patients pour 513 millions d'euros remboursés (source CNAM).
Sous l'effet conjugué du vieillissement de la population, de l'augmentation du nombre des maladies chroniques et du virage ambulatoire, ces prestations à domicile sont promises à un accroissement certain. Une augmentation qui sera plus sensible en termes de patients. « Leur nombre a progressé de 8 % à 9 % par an là où les dépenses annuelles engendrées par les soins ont limité leur hausse de 5 % à 7 % ces cinq dernières années. » Un écart qu'explique la politique de maîtrise des dépenses de santé qui modifie les conditions de prise en charge des prestations dans certains domaines et encourage l'utilisation par le patient de dispositifs moins onéreux à rembourser. La mise en place de forfaits court terme et long terme pour les patients sous oxygène et l'avantage donné aux concentrateurs d'oxygène électrique à domicile – alternative à l'oxygène liquide - peuvent en témoigner.
Le MAD privilégié
L’instauration de nouvelles règles de prise en charge de l’apnée du sommeil, conditionnant les revenus des PSAD à l’observance de leurs patients, en est un autre exemple. Pour Cathy Alegria, auteure d'une étude sur les PSAD, ces obligations bouleversent le métier des prestataires dont les revenus seront limités à 3 % d'augmentation par an à l'horizon 2022. « Déjà fournisseurs de matériels, formateurs et coordinateurs de soins, les PSAD ont indirectement été encouragés à assurer l’observance thérapeutique des patients souffrants d'apnée du sommeil et à la maintenir dans la durée. Avec le télé-suivi, la profession doit également monter en compétences dans la data pour traiter les milliers de données de santé transmises par les appareils communicants. » Dans ce contexte, les PSAD se livrent à une lutte sans merci pour densifier leurs réseaux de prescripteurs et ainsi capter des flux de patients. « Ils cherchent notamment à s’intégrer dans l’écosystème des patients en nouant des liens avec les professionnels ou les structures qui interviennent dans le parcours de soins. Cela passe par la signature de partenariats avec des EHPAD et des établissements de santé, voire des acteurs de la e-santé. »
L'officine pourra-t-elle compter au nombre de ces partenaires ? Saura-t-elle seulement conserver le rôle plutôt discret qu'elle joue dans la dispensation d'oxygène ? Et qu'en est-il du MAD ? Pour Orkyn, ce dernier champ, qui a pour objet principal l'équipement de la personne vieillissante, est un domaine privilégié pour l'officine, tout comme l'oxygénothérapie qui, elle aussi, peut donner lieu à un suivi du pharmacien après prescription du généraliste.
Âgée, dépendante, handicapée, la personne veut rester chez elle le plus longtemps possible. Elle est suivie par un médecin généraliste installé en ville et premier prescripteur de matériel MAD et de traitements qui donnent lieu à des ordonnances directement traitées par l'officine. Dans cette activité, le réseau est donc naturellement amené à prendre part. Les groupements le savent et encouragent leurs adhérents à y participer. Le groupe PHR a ainsi porté l'attention des pharmacies sur la population des aidants et la façon de les accompagner dans les difficultés que pose le maintien d'une personne à domicile. Point de départ pour établir une relation de confiance avec l'entourage, un audit des besoins du patient – changement de fauteuil, amélioration du lit, aménagement de l'espace… - est proposé par l'officine. Coordinatrice des soins dispensés, elle peut aussi intervenir sur le plan social en établissant le lien avec les organismes d'aide à domicile et de portage des repas. Ainsi se présentera-t-elle en spécialiste du MAD, une filière qui peut conduire à gérer la télésurveillance, la transmission des données de santé… « Tous ces services font l'objet de rémunération, précise Lucien Bennatan, président de PHR, qui rappelle l'urgence de proposer des solutions aux proches des patients à domicile, les personnes âgées notamment car « le pays n'est toujours pas organisé pour le 4e âge ».
Les besoins qu'engendrent le MAD font d'ailleurs l'objet de partenariats entre les PSAD et l'officine comme le souligne Orkyn qui encourage les pharmaciens à s'investir dans ce secteur en mettant à leur disposition des outils de diagnostic et de formation.
Trop de contraintes
Les autres domaines de la santé à domicile, en revanche, relèveraient moins des compétences de l'officine. « Les contraintes qu'engendrent ces activités au quotidien peuvent plus difficilement être gérées directement par le pharmacien », poursuit Anne-Claire de Clerck, directrice des activités respiratoire et MAD chez Orkyn. Et de citer en exemple le traitement de l'apnée du sommeil prescrit par un pneumologue qui va orienter directement son patient vers un prestataire capable de fournir le matériel, l'installer au domicile, de former et conseiller le patient et son entourage, d'assurer le télé-suivi des données qui est désormais obligatoire, de mettre en place un traitement des alertes en cas de problème technique ou de non-observance, de restituer ces données en temps réel au prescripteur… « La nouvelle LPP de 2019 n’a pas défini de rôle pour le pharmacien et la prise en charge est trop contraignante pour pouvoir être réalisée sans l’intermédiaire d’un PSAD. »
Autre difficulté pour l'officine, la logistique et la réactivité que nécessite parfois l'intervention à domicile. « Les marges sont devenues insuffisantes pour nombre d'acteurs qui n'ont pas la capacité d'achat de matériel en grande quantité, nécessaire pour réduire les coûts, précise Julien Slama. Certaines prestations requièrent par ailleurs de grands espaces pour stocker, nettoyer et désinfecter le matériel, sans parler des véhicules qui doivent convenir au transport des équipements ou de l'organisation des tournées au domicile des patients. » Des conditions d'exercice auxquelles l'officine est mal adaptée.
Un pharmacien dans l’entreprise
Le manque de temps, la complexité inhérente à certaines prestations de santé à domicile ne jouent, en outre, pas en faveur d'une plus grande implication du circuit dans ces domaines. « Par facilité, l'hôpital s'adresse directement aux bureaux des prestataires de santé installés à proximité », remarque Philippe Petitpied, pharmacien responsable chez ABM Pharma, à propos de l'oxygénothérapie. « Alors que, logiquement, l'officine pourrait être coordinatrice de santé dans ces systèmes. » Les PSAD facilitent aussi la gestion des dispositifs médicaux utilisés dans le MAD. « Les normes de désinfection du matériel médical en location sont draconiennes. L'officine n'a pas le temps de s'en charger. » Mais rien ne l'empêcherait de déléguer l'entretien des équipements au prestataire tout en conservant la mainmise sur l'activité. « En matière d'éthique mais aussi pour tout ce qui relève des procédures d'hygiène dans le MAD, le fait d'avoir un pharmacien dans l’entreprise serait un plus en termes de professionnalisme. »
Encore faut-il pouvoir exploiter cette valeur ajoutée. « Le titulaire doit s'interroger sur sa volonté et ses capacités d'implication dans ces métiers », conclut Anne-Claire de Clerck. « Ceux qui se déplacent régulièrement au domicile du patient pour apporter des médicaments par exemple, peuvent développer certaines prestations. L'accompagnement des téléconsultations, par exemple, constitue un axe d'avenir où le pharmacien sera parfaitement légitime. »
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