Tournant le dos à une économie exclusivement portée par la dispensation du médicament, l’officine est entrée dans une économie de services. Rien d’étonnant donc à ce que les honoraires et les nouvelles missions soient désormais considérés par 55,3 % des pharmaciens comme un élément ayant déjà modifié « significativement » leur rémunération. Cet indicateur encourageant pour la réforme de la rémunération officinale est l'un des principaux enseignements du sondage réalisé par la société Call Medi Call pour « le Quotidien du pharmacien » (1).
Les chiffres présentés le 25 septembre à l’occasion de la Journée de l’économie de l'officine par les cabinets comptables, CGP, Fiducial et KPMG, confirment cette tendance. Ils témoignent d'une progression continue des frais de personnels. Selon le réseau CGP, les charges en personnels représentaient ainsi en moyenne 10,8 % du chiffre d’affaires HT de l’officine en 2018 (1,83 million d’euros) contre 10,6 %, il y a encore deux ans. « Les titulaires sont dans une phase d’investissement : ils recrutent des pharmaciens adjoints pour assurer les nouvelles missions. Tout cela à un coût », concluent en substance les experts-comptables.
Mais encore faudra-t-il avoir les moyens de relever ce défi de la transition vers une économie de services. Car, comme le rappelle Philippe Becker du cabinet Fiducial, « autant il est facile dans une économie de dispensation de réduire les frais de personnels en investissant dans un robot, autant cette solution est totalement exclue pour réaliser des TROD angine, vacciner contre la grippe ou encore prendre des rendez-vous ». Et de prédire : « C’est mécanique, les frais de personnels vont augmenter ! Les pharmaciens doivent intégrer ce nouvel aspect ; si on veut sauter le pas, il faut y mettre les moyens. »
9 000 euros d'EBE en moins
Quelque peu étranger à cet effort d'investissement sur l'avenir, le cas des petites officines est autrement plus douloureux. De l’avis des experts-comptables, il est à redouter qu’elles ne disposent pas de marge de manœuvre suffisante pour investir en ressources humaines en vue des nouvelles missions. En 2018, le chiffre d’affaires (CA) des officines réalisant moins d'un million d’euros par an a baissé de 2,09 % selon CGP, tandis que celles au chiffre d’affaires inférieur à 750 000 euros subissaient un recul de 2,04 %, selon Fiducial. Ce cabinet comptable souligne, pour cette typologie d’officine, une érosion continue du chiffre d’affaires moyen, s'établissant à 598 000 euros fin 2018. Et tandis que leur marge brute s’infléchit à nouveau de 3,03 %, leur excédent brut d’exploitation (EBE) suit une courbe similaire. Le ratio EBE/CA n’atteint plus que 9,74 % aujourd'hui, contre 10,87 % il y a encore six ans (2). « On peut dire que, en valeur, les petites officines dont le CA est inférieur à un million d'euros ont perdu 9 000 euros d’EBE entre 2017 et 2018 », constate Joël Lecoeur au sein du réseau CGP.
La question est aujourd'hui de savoir comment ces petites officines vont pouvoir continuer à tenir. Ceci d’autant plus que l’économie officinale est en proie à d’autres menaces (voir ci-dessous). « Il va falloir trouver des solutions pour assurer un niveau de rentabilité suffisant pour maintenir un niveau de services essentiels », assène Philippe Becker. Les groupements pensent avoir trouvé la parade. Alain Grollaud, président de Federgy (syndicat des groupements et enseignes de pharmacies), propose ainsi qu’à une officine mère soient associées quatre officines filles. Un modèle « à la danoise » qui permettrait une optimisation des ressources humaines et l’emploi d’un adjoint « volant » formé à la vaccination et aux nouvelles missions. La Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) réfute, quant à elle, cette organisation de succursales. Elle défend en revanche l’idée d’une aide de ces petites entités par des subventions publiques. Une solution adoptée par certains pays, comme l’Italie, mais qui n’en soulève pas moins une autre question : celle du statut libéral du pharmacien. Entre évolution vers les services et sauvegarde d'un tissu officinal fragile, la pharmacie française négocie un virage difficile.
(1) Panel de 1 066 pharmaciens représentatif de la profession interrogés par la société Call Medi Call du 15 juillet au 2 août 2019.
(2) À titre indicatif, sur l’ensemble du réseau officinal, l’EBE en pourcentage du chiffre d’affaires varie en 2018 entre 14,66 et 15,32, selon les cabinets comptables.
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