« CHAQUE ANNÉE, quelque 700 000 nouveaux articles médicaux sont recensés », indique d’emblée Jean de Kervasdoué, économiste de la santé. Et cet auteur d’une thèse sur le système hospitalier américain de préciser aussitôt qu’en France, le code de déontologie médicale présume que les praticiens les ont tous lus, puisqu’ils « doivent soigner au mieux des connaissances ». D’où, sans doute, l’intérêt d’organiser le travail par spécialité médicale. L’ancien directeur des hôpitaux ne manque pas de rappeler, par ailleurs, que près de deux cents métiers différents coexistent dans les hôpitaux. Autant de paramètres qui contribuent à perdre le patient dans un système complexe.
De même Jean de Kervasdoué précise-t-il que, « en général, les praticiens prescrivent environ deux cents médicaments sur les 4 000 spécialités que recense aujourd’hui la pharmacopée ». Il est donc permis de se demander comment les médecins peuvent tout prescrire sans tout connaître. En clair, comment cette vision parcellaire peut-elle contribuer au meilleur soin ?
Constatant qu’en France « les dépenses de cardiologie varient de un à neuf selon les départements et les revenus des cardiologues de un à trois et demie », Jean de Kervasdoué s’interroge également sur les raisons de telles variations dans les pratiques cliniques. Une interrogation qui le conduit à regretter que « les agences sanitaires ne s’intéressent qu’à l’analyse de l’efficacité d’un médicament et pas du tout à son usage ». Car l’essentiel, estime-t-il, est de « jouer juste ! ». À défaut, le système de santé français continuera à pâtir d’une inégalité de la prise en charge selon les zones géographiques et les spécialités médicales.
Un système cloisonné.
Or l’évolution de la science et des techniques médicales permet légitimement d’envisager l’émergence d’une véritable médecine spécialisée. D’autant que le coût du génome a été réduit, de 3 milliards de dollars en 2001, à une centaine de dollars d’ici à 2020. Conséquence : « les maladies pourront raisonnablement être prévues dès la cinquième semaine d’un fœtus. »
Corrélativement, Jean de Kervasdoué précise que le vieillissement de la population et le départ à la retraite de la génération du baby-boom constituent deux causes de soucis pour les systèmes de santé, et en particulier en France. La raison ? « Les dépenses de santé étant proportionnelles à l’âge, une modification de la pyramide des âges est problématique. » D’autant que, à l’exception du système de santé canadien, aucun autre système n’a changé au cours des cinquante dernières années.
En France, par exemple, l’organisation du système aujourd’hui en vigueur a été mise en place dans les années mille neuf cent trente, avec l’invention de la médecine libérale, en 1926, et la création de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), en 1927, puis l’instauration des tarifs opposables, en 1930. Une organisation libérale qui a été complétée par l’ouverture de l’hôpital public à tout un chacun, à partir de 1941, et la création de la Sécurité sociale, en 1945. Et rien n’est véritablement venu bousculer cet ordre établi. Pas même la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) qui est souvent, et semble-t-il à tort, présentée comme une législation refondatrice.
« La loi HPST est une mauvaise loi, car elle n’a pas permis de constituer des établissements publics indépendants vis-à-vis de l’État », déclare ainsi Jean de Kervasdoué. Et d’expliquer : « Sur les 180 services de chirurgie que Roselyne Bachelot avait annoncé vouloir fermer, aucun ne l’a été. » Le système de santé français est donc toujours cloisonné, avec, d’un côté, l’État qui gère les cliniques, et, de l’autre, l’Assurance-maladie qui gère la ville. Sans oublier un cloisonnement entre chaque profession, qui engendrerait une pseudo-hiérarchisation.
Des outils inadaptés.
Selon Jean de Kervasdoué, cette « mauvaise organisation est renforcée par l’utilisation d’outils totalement inadaptés ». La démographie médicale serait ainsi « régie à tort et à travers par le numerus clausus, et le système des taux de remboursement du médicament contribuerait à brouiller les cartes en laissant entendre que l’efficacité de ces produits varierait en fonction de leur niveau de remboursement ». Autant de solutions inadaptées qui contribuent à un mauvais fonctionnement et que vient encore renforcer l’absence de contrôle de l’usage de ces produits par les agences sanitaires.
Conséquence : le système de français serait « l’un des plus chers au monde après les États-Unis ». La raison ? La France compte quelque 2 800 hôpitaux, alors qu’en Allemagne, où la population est plus importante, à peine 2 800 établissements seraient recensés. De même, le nombre d’infirmières rapporté au nombre d’habitants serait quasiment deux fois moins important en France que dans les pays anglo-saxons. Autre problème, selon Jean de Kervasdoué, « la fiscalité française est sans ligne directrice ». D’où l’incapacité de l’Hexagone à distinguer sa politique industrielle de sa politique de santé.
Fort de ce constat critique, Jean de Kervasdoué considère que les Français ne pourront bénéficier des meilleures techniques au même moment qu’à partir du moment où la prise en charge des patients sera coordonnée, les déficits réduits et l’Objectif national des dépenses d’assurance-maladie (ONDAM) stabilisé. Trois objectifs qui nécessiteront également de revaloriser le revenu horaire des généralistes.
Et l’économiste de la santé de conclure : « les conditions de la réforme existent. » À charge pour nos gouvernants de fusionner les hôpitaux et de revoir les frontières entre les différentes professions de santé. À défaut, les déficits perdureront en France, alors qu’ils ont été résorbés Outre-Rhin…
Article précédent
Les contrats de coopération commerciale sur la sellette
Près de la moitié des revenus sous forme d’honoraires ?
Une lente évolution historique
Il y a urgence à changer de modèle
À qui appartiennent les officines en Europe ?
Développement des génériques : l’influence de la convention
Marché du médicament : une baisse d’activité historique
Holdings et succursales : avantages et inconvénients
Entreprise officinale : des ratios inquiétants
Un bel avenir sous conditions
Les contrats de coopération commerciale sur la sellette
Les pistes d’une réforme pour un système de santé optimal
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion