Selon leur date de naissance et leurs orientations, les grandes évolutions du métier de pharmacien ont poussé les groupements à prendre des orientations assez diverses. De la sortie de la parapharmacie du monopole officinal à la vente en ligne de médicaments, en passant par le droit de substitution ou la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST), les réseaux ont dû aiguiser leurs armes pour accompagner les pharmaciens face aux mutations.
DE SES ORIGINES à nos jours, la profession de pharmacien a connu d’importantes et nombreuses évolutions. La plus emblématique reste certainement celle qui l’a fait passer d’apothicaire à pharmacien, lui consacrant à la fois l’exclusivité de la préparation des remèdes, le monopole de la vente de médicaments et un enseignement public obligatoire. C’était au XVIIIe siècle. Depuis, la révolution industrielle a largement modifié le métier en faisant émerger les laboratoires pharmaceutiques, la recherche et la production à grande échelle, le médicament de masse… et désormais les traitements ciblés.
Et aujourd’hui ? De mémoire de groupement, le plus grand bouleversement remonte à la sortie de la parapharmacie du monopole officinal pour être vendue en grande et moyenne surface (GMS). Une perte d’exclusivité qui résonne aujourd’hui dans nos mémoires, alors que les menaces sur le monopole des médicaments de prescription médicale facultative (PMF) se font chaque année de plus en pressantes. Depuis 2007, les rapports favorables à une déréglementation se sont succédé. Longuet, Attali, Rochefort, Beigbeider, Jégou… Sans oublier les pressions de la Commission européenne, l’avis de l’Autorité de la concurrence, de la Cour des comptes et, tout récemment, de l’Inspection générale des finances (IGF). La menace est bien réelle en France quand la vente hors officine et/ou l’ouverture du capital sont déjà appliquées dans de nombreux pays. Cela explique certainement pourquoi la menace sur le monopole officinal est l’item le plus souvent cité lorsqu’on demande aux réseaux quels sont les événements marquants de la vie de la profession qui les ont poussés à évoluer. Pour la plupart d’entre eux, la vente de médicaments sans ordonnance en GMS n’est qu’une question de temps. Cette vision quasiment unanime s’accompagne d’une autre : il n’est pas possible d’isoler ce bouleversement d’un faisceau d’événements qui affectent la profession. Même si, selon les réseaux, l’énumération n’est pas la même, il est évident que c’est tout un environnement qui doit être pris en compte.
Menace sur le monopole.
« Aujourd’hui, analyse Forum Santé, tous les piliers de la profession sont en mouvement : marché des génériques, nouvelles missions, rémunération à l’honoraire, médicaments en grande distribution, commerce en ligne, certification qualité, applications mobiles, puissance des médias, forums de discussion, communautés de patients… Grâce à la démocratisation d’Internet, le consommateur est aujourd’hui plus que jamais acteur de sa santé. Les modes d’achat évoluent et avec l’ouverture du monopole, l’accessibilité aux médicaments sera de plus en plus grande. La GMS et Internet vont banaliser certains produits. » La liste n’est pas exhaustive. Évolupharm remarque en effet que « le pharmacien subit beaucoup de grands changements dans sa profession : sur les médicaments génériques, la politique de remboursement, le monopole, l’ouverture du libre accès à d’autres circuits de distribution, etc. Ces principes étaient latents même si les dates n’étaient pas toujours bien arrêtées ». Pour Optipharm, cette chute du monopole à venir repose entièrement sur le rapport de l’IGF et la pression de la GMS. La vision du directeur général du groupe Lafayette Conseil, qui développe notamment l’enseigne Pharmacie Lafayette est encore plus pessimiste : « Tout ou partie de l’OTC sera en grandes surfaces. Il y aura deux approches : d’une part le commerce associé, d’autre part le commerce intégré avec l’ouverture du capital des pharmacies. »
D’autres groupements continuent néanmoins d’espérer. DPGS (Développement Pharma Gestion Service), qui représente 270 pharmacies, s’inquiète des dossiers « en suspens », concernant le monopole, le numerus clausus et l’ouverture du capital. Son président, Jean-Claude Pothier, note « l’évolution des textes, le plafonnement des remises génériques et la disparition des vignettes en peu de temps obligent les groupements à réfléchir dans l’urgence aux nouvelles possibilités de services et de développement professionnel afin de sauver les pharmaciens de la faillite ».
Pharmactiv, le groupement adossé au grossiste-répartiteur OCP, parle encore d’une « éventuelle perte du monopole » et craint, si cela devait se produire « les potentielles répercussions sur les modalités de communication auprès du grand public pour les officines ». Pharmacyal ne montre, quant à lui, pas de réelles inquiétudes, le groupement et ses adhérents s’adapteront au besoin, que ce soit à la perte du monopole ou à l’ouverture du capital, « mais il vaudrait mieux que cela n’arrive pas », concède le gérant, Alexis Bocahut. Il reconnaît néanmoins que l’ouverture de capital pourrait « être une opportunité pour consolider notre groupement », car il sera alors nécessaire de « protéger les pharmaciens ». Selon lui, les premiers acteurs prêts à entrer au capital ne sont autres que les grossistes-répartiteurs, les banques et les laboratoires, certains ne cachant pas leurs intentions. C’est pourquoi Pharmacyal s’y prépare, imaginant même que les officinaux vont « gagner sur la conservation du monopole et du numerus clausus mais devront céder sur l’entrée au capital de non-pharmaciens ». De la même façon, Giphar est totalement prêt en cas d’ouverture du capital, car il est persuadé que c’est inéluctable et qu’il faudra, dans un avenir proche, faire face aux chaînes. C’est pourquoi il a choisi d’exiger un passage à l’enseigne dès 2009, l’enseigne étant « source d’économie et créatrice de richesses pour les affiliés, garante de la qualité et de la constance du service ».
Une harmonisation sur le modèle anglo-saxon.
Chez PHR, l’anticipation est aussi le maître mot. C’est pourquoi cela fait près de dix ans qu’il évoque des évolutions comme « la mise en place d’honoraires de dispensation et pour certains services », « la bataille sur les prix, la concurrence accrue entre pharmaciens et la concurrence sur les produits et services hors monopole », l’importance de « développer le générique sans espérer une rémunération hors limite », « penser e-santé et proposer une pharmacie digitale à côté de la pharmacie physique ». Pour Lucien Bennatan, P-DG du groupe, « toutes ces mutations sont liées aux mutations technologiques, aux évolutions de la société, de la consommation et à l’impact de la mondialisation sur l’économie de notre pays ». Il s’attend lui aussi à un développement de la vente de médicaments hors pharmacie, notamment sur Internet, et plus largement à « une remise en cause du trépied : monopole, capital, numerus clausus ». Des mutations prévisibles parce qu’il faut « adapter notre système de santé aux contraintes économiques, à la désertification médicale et au développement de la démocratie sanitaire », et parce que la mondialisation pousse à une harmonisation qui tend vers « le système anglo-saxon : les notions de chaînes de pharmacie, de filiales, de réseaux d’indépendants (enseignes), de concurrence liée aux services devraient surgir ».
La mondialisation est d’ailleurs un élément que l’Union des grandes pharmacies cite de manière négative : « Les mauvais exemples de la pharmacie en libre-service dans plusieurs pays entraînent des menaces sérieuses sur le monopole pharmaceutique en France, remarque le président, Yves Rivière. Et avec l’hégémonie des systèmes marchands, on assiste à la banalisation du médicament considéré comme une simple marchandise, sans préoccupation du danger, surtout pour les personnes les plus démunies. »
Économie en berne.
L’inquiétude des groupements repose également sur l’économie de l’officine en berne, avec non seulement un recul du chiffre d’affaires et des baisses de marge, donc une rentabilité moindre, mais avec un nombre de pharmacies dont la trésorerie est dans le rouge en constante augmentation. Chaque année, des officines baissent définitivement le rideau, et ce ne sont pas forcément celles qui sont situées dans les zones les plus peuplées en pharmaciens. « Les pharmacies dont l’activité recule sont désormais majoritaires en France alors même que le chiffre d’affaires moyen a été pour la seconde fois en baisse en 2013. Un recul qui s’explique par la baisse de prix des médicaments remboursés et des ventes au comptoir et qui constitue un premier changement marquant dans la vie de la profession », souligne Laurence Bouton, directrice d’Alphega Pharmacie. Giropharm insiste d’ailleurs sur le fait que la menace qui pèse sur le monopole officinal fait partie des dangers qui ont un impact sur la rentabilité de la pharmacie, au même titre que « la baisse de la rémunération générique ou le passage du paracétamol en grand conditionnement ».
Car le générique a effectivement représenté un véritable tournant pour la profession, avec le droit de substitution octroyé aux pharmaciens en 1999. Tournant également pour le médicament générique lui-même puisque malgré les incitations mises en place dès 1996 pour préférer la prescription de copies de princeps, il n’obtient pas le soutien espéré auprès des médecins. Dès lors que la mission de le développer incombe au pharmacien en France, le marché prend son envol. Cela « a bouleversé nos relations groupement-laboratoires et pharmacien-patients, obligeant le pharmacien à intégrer dans sa vision métier une composante commerciale beaucoup plus forte, à apprendre à utiliser des outils de communication ou des techniques de merchandising jusqu’ici peu usités dans la profession », témoigne Olivier Verdure, responsable marketing et communication du Groupe Apsara. Aux yeux d’Objectif Pharma également, l’avènement des génériques fait partie, avec la loi HPST (Hôpital patients santé et territoires) et la création des CAP/SRA (centrale d’achat pharmaceutique/structure de regroupement à l’achat) des chamboulements importants dans la vie officinale ces dernières années.
Nouvelles missions.
La loi HPST, dite aussi loi Bachelot, qui consacre les nouvelles missions en officine et renforce le statut de professionnel de santé du pharmacien, a largement incité les groupements à s’adapter. Unanimement, officinaux et réseaux saluent le changement de paradigme opéré par la loi de 2009, qui entérine ainsi des actes que beaucoup exécutaient déjà discrètement dans leur coin, et qui va plus loin. D’autant que le statut a été confirmé par la nouvelle convention pharmaceutique, signée en 2012 entre les syndicats de pharmaciens et l’Assurance-maladie, en consacrant l’accompagnement des patients sous AVK (antivitamine K) en contrepartie d’une rémunération. Si la convention fixe aussi des objectifs aux confrères, elle valide surtout de manière officielle la création d’un honoraire de dispensation, préfigurant l’arrivée de la rémunération mixte. « Nous avons mis notre ambition, qui a toujours été de proposer un accompagnement personnalisé aux adhérents Alphega Pharmacie, au service de la prise en charge des nouvelles missions de santé publique du pharmacien. Nous les accompagnons dans le décryptage des enjeux liés à l’évolution de leur profession et nous préparons des programmes de formation et une palette d’outils concrets », ajoute Laurence Bouton. Très satisfaite de l’adhésion des pharmaciens Alphega aux mutations de leur métier, la directrice du réseau le constate, en prenant l’exemple du suivi des patients sous AVK. En effet, alors que l’avenant nécessaire à la mise en pratique de cette nouvelle mission est entré en vigueur en juillet 2013, 74 % des adhérents avaient déjà suivi une formation aux entretiens pharmaceutiques. « Un an plus tard, nous avons 88 % des adhérents qui pratiquent ces entretiens, contre 63 % pour la moyenne nationale. » De la même façon, le réseau Les Pharmaciens Associés a anticipé en proposant aux adhérents des formations aux entretiens pharmaceutiques et à la problématique des AVK, une aide logistique pour aménager un espace de confidentialité, un renforcement des campagnes de prévention, etc. « La demande est de plus en plus pressante de la part de nos pharmaciens pour bénéficier de plus d’accompagnement et pour acquérir des compétences nouvelles, en lien avec la préparation du métier de pharmacien de demain avec les nouvelles missions à mettre en place et le développement de la prévention, du dépistage, de l’observance et du suivi thérapeutique », indique Patrick Rémond, le directeur du groupement. À l’IFMO, connu pour son implication dans le développement de la compétence et de la valeur ajoutée du pharmacien, on a travaillé sur ces sujets bien avant la promulgation de la loi HPST. « Cela nous a permis d’être parmi les premiers dans le développement de la formation et du management de l’organisation sous la forme d’une démarche qualité. »
Du libre accès à Internet.
Les bouleversements dans la profession ont encore d’autres causes. En sus de la menace sur le monopole officinal et le numerus clausus, des baisses de marge et plus largement de la rentabilité des officines, de l’importance prise par le générique, du risque d’ouverture du capital des pharmacies, etc. les derniers grands changements marquants sont le libre accès, l’autorisation de la vente en ligne de médicaments et la nouvelle rémunération mixte.
En juillet 2008, lorsque la ministre de la Santé Roselyne Bachelot met en place le libre accès, la plupart des pharmaciens et des réseaux y sont résolument opposés, y voyant une porte d’entrée à la grande distribution pour qu’elle réclame à nouveau le droit de vendre des médicaments. Mais, les groupements s’organisent immédiatement pour accompagner les adhérents qui veulent se lancer. Aujourd’hui, 70 % des pharmacies proposent une zone de libre accès… D’une façon encore plus épidermique, la profession s’est élevée haut et fort contre la vente de médicaments en ligne. Pourtant en décembre 2012, la France est contrainte, par l’Europe, de transposer une directive autorisant le commerce de médicaments sur Internet. Le décret est publié quelques semaines après que quelques pharmaciens pionniers ont lancé leur site de vente… et récolté la foudre d’un certain nombre de leurs confrères. Au terme de procédures diverses, la vente est bel et bien autorisée aujourd’hui et concerne l’intégralité des produits de prescription médicale facultative. Là encore, les groupements ont tour à tour décliné une offre Web, le plus souvent de type « click & collect ». « L’arrivée d’Internet dans la relation patient-pharmacien fait avancer les choses en proposant une nouvelle façon de communiquer et de tisser du lien. C’est parfois considéré comme un danger alors qu’il s’agit d’une formidable opportunité d’évolution pour ceux qui sauront la saisir. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place (…) des sites de réservation de médicaments (et non de vente), des sites Internet vitrine, des applications mobiles ou même la gestion de pages Facebook pour entretenir la relation avec la patientèle tout en restant au goût du jour et déontologiquement irréprochables », détaille Olivier Verdure, représentant le Groupe Apsara. De son côté, Pharmactiv s’est lancé dans l’aventure l’an dernier, en intégrant un nouveau module présent dans les sites Internet de chacun de ses adhérents (créés en 2009), « permettant la vente en ligne de façon très cadrée et orientant les pharmaciens vers un schéma de réservation de médicaments ». Les initiatives sont nombreuses, que ce soit au sein du groupe PHR, de Giphar, de Cofisanté et son enseigne Pharmarket (du même nom que la plateforme de vente en ligne de médicaments), d’Univers Pharmacie, etc. Quant à la rémunération, qui passe du « tout commercial » à un modèle mixte, elle va entraîner « de profondes modifications du modèle économique de la pharmacie française », note Giropharm.
Solution clé en main.
Bien d’autres événements concernant la profession sont cités par les réseaux, dans leur analyse des bouleversements intervenus ces dernières années. De la bataille pour avoir le droit de communiquer à la mise en place du DPC (développement professionnel continu), en passant par le décret sur les holdings, les baisses de prix du médicament et la maîtrise des dépenses, la certification qualité, la crise économique de 2008, la montée en puissance des discounters, la coordination interprofessionnelle, la législation changeante et les dérégulations à venir…
Le propre des groupements est d’apporter une solution clé en main aux problèmes rencontrés par leurs adhérents. La fonction première repose toujours sur les achats car bien acheter est une condition de base pour avoir une officine rentable. Chacun a donc amélioré son offre au gré de ce que la législation permet. Chez Aelia par exemple, le choix s’est porté sur la création d’une centrale d’achat propre : « Santralia est née en octobre 2010, après l’interdiction des rétrocessions. » Le nombre de partenaires de Santralia a aujourd’hui doublé et Aelia possède désormais une équipe de conseillers en développement officinal dédiée à l’accompagnement des ventes. Une dizaine de services a vu le jour en quatre ans, comme « l’aide au développement de la performance officinale par la qualité ». Chez Alphega aussi, des « consultants point de vente » remplacent désormais les animateurs de point de vente et offrent un accompagnement plus global. Adossé à un grossiste-répartiteur comme Alphega (à Alliance Healthcare), Les Pharmaciens Associés (à Astera) ou Pharmavie (à Phoenix), Pharmactiv peut compter sur l’expertise en logistique de la maison mère pour proposer une offre quasiment sur-mesure à ses adhérents. Ils peuvent en effet bénéficier d’offres préférentielles de l’OCP, comme la plateforme d’achat Virtuose (semi-direct) dès 1999, ou de la plateforme de short-lining Etradi à partir de 2004. Le groupement a aussi lancé sa centrale d’achat en 2010, ce qui lui permet d’affirmer aujourd’hui que « Pharmactiv propose l’offre d’achats la plus complète du marché : nous couvrons 100 % des achats d’une officine avec la logistique. » De plus, depuis deux ans, les adhérents Pharmactiv peuvent effectuer des précommandes sur la centrale d’achat : « Il s’agit d’un engagement en début d’année sur des offres proposées tout au long de l’année, permettant une meilleure organisation, l’optimisation de la trésorerie et des remises garanties tout en achetant en petite quantité. » Altapharm s’appuie quant à lui sur le grossiste-répartiteur D2P, il s’est doté d’une CAP et d’une SRA et renforce encore ses offres achats avec des équipes étoffées « pour permettre aux adhérents de bénéficier des meilleures conditions commerciales du marché », précise Fabrice Guigonnat, responsable du réseau.
Des tâches chronophages.
Giphar, lui, a choisi de se doter du statut de grossiste-répartiteur en 2001, confirmé en 2013 par l’ouverture d’un deuxième entrepôt pour améliorer la cadence de ses livraisons. « La Sogiphar bénéficie de tous les statuts pharmaceutiques : dépositaire, fabricant, grossiste, CAP, courtier en médicaments. Nous allons augmenter la prévalence des achats des coopérateurs sur les plateformes. » C’est aussi la stratégie employée par Évolupharm, qui, dès sa création en 2006, entre dans une logique d’approvisionnement au bénéfice du pharmacien, lui permettant de commander de petites quantités à très bon prix. De là seront créés centrales d’achat de médicaments, MAD et produits à la marque. Toujours dans cette logique, le groupement intègre des partenaires génériqueurs à son offre dès 1998.
À chaque réseau ses stratégies. Ainsi, Europharmacie finalise actuellement la création « d’un laboratoire de distribution où tous les adhérents seront directement actionnaires et distributeurs, afin de gagner directement ou indirectement quelques dixièmes de points de marge », annonce son président, Jean-Luc Tomasini. Chez PHR, la décision a été prise de « confier la création de la centrale d’achat à un spécialiste de la distribution en gros », puis de créer son propre « laboratoire pharmaceutique afin de proposer des produits à la marque et des génériques ». Pharmacorp, basé dans le Sud Ouest, développe des « partenariats forts » avec les acteurs de la distribution du médicament afin d’absorber les baisses de prix imposés par l’État. « Nous avons choisi de rester souple et adaptable, en externalisant tout ce qui peut l’être », ce qui est chose faite avec la CAP, explique Laurent Filoche, le président.
De son côté Giropharm pose la question des achats à l’aune des nouvelles missions du pharmacien. « Il faut qu’une véritable délégation des achats s’opère. Le groupement allège le pharmacien des négociations avec les laboratoires et du suivi quotidien des achats, qui sont des tâches chronophages et sans valeur ajoutée, pour lui permettre de se consacrer pleinement à la formation, la certification, la proximité avec les patients, etc., autant d’éléments qui lui permettront de prendre de l’avance dans la mise en place de la pharmacie de services qui est actuellement en train de se dessiner. » Pour HPI, l’essentiel sur les achats a consisté à « systématiser les appels d’offres auprès des partenaires pour répondre aux contraintes économiques, en s’appuyant sur une discipline collective des membres du réseau. La cohérence et l’efficacité du modèle HPI conduisent nombre de ses membres à développer leur zone de chalandise. C’est un effet attendu mais imprévisible dans son ampleur actuelle », confie Jean-Philippe Carré, pharmacien en charge de la communication.
Pionnier du genre.
En pointe sur les achats et autres référencements, les groupements ont surtout beaucoup évolué avec l’arrivée de l’enseigne de pharmacie. Certains se sont positionnés sur ce créneau dès leur création, d’autres ont muté du statut de groupement à celui d’enseigne, d’autres encore proposent désormais une (ou deux) enseigne à leurs pharmaciens groupés. Pharmodel Group, par exemple, va proposer d’ici quelques mois un concept point de vente, aboutissement d’une réflexion lancée en 2012 avec une vingtaine de personnes (collaborateurs, adhérents, experts) pour compléter l’enseigne créée en 2006. « Pharmodel s’assigne cinq objectifs dans le cadre de son nouveau concept : incarner des aspérités, anticiper les attentes latentes, monétiser de nouvelles expertises métier, dépasser le stade de l’approche visible et coller aux réalités du marché », résume le P-DG, Rafaël Grosjean.
Forum Santé reste le pionnier du genre, il « s’affirme en tant qu’enseigne à part entière depuis 25 ans, avec une stratégie globale au service des pharmaciens et des clients », rappelle Dominique Deloison, le directeur général. Plus exactement, c’est la dernière grande manifestation des pharmaciens, en 1988, qui a provoqué la naissance de Forum Santé l’année suivante. L’enseigne en est aujourd’hui au développement de la 5e version de son concept point de vente. « Quels que soient les évolutions et les bouleversements qu’a rencontrés le métier, l’enseigne a toujours su garder une longueur d’avance pour permettre à ses affiliés de s’adapter et de réussir. »
Pour sa part, Giphar s’est engagé dans l’enseigne en 1997, laissant ses adhérents prendre leur décision quant à leur implication, jusqu’en 2009, année de déclaration du passage obligatoire à l’enseigne. Une réussite pour le plus ancien des groupements puisqu’il s’est stabilisé à 1 300 affiliés. « La 2e version du concept est en cours de déploiement avec un contenu contractuel fort. L’enseigne est et sera de plus en plus au cœur de l’activité car, à terme, l’ouverture du capital comme l’arrivée de chaînes est prévisible. » Le nombre d’enseignes ne cesse de croître. Aux « anciens » déjà bien ancrés, comme Alphega Pharmacie, le réseau Optimum chez Pharmactiv, Pharmavie, Viadys et Pharmaréférence du Groupe PHR, etc., de tous nouveaux concepts apparaissent aujourd’hui. Ainsi, Pharmadom a lancé, il y a un an, l’enseigne Well & Well Les Pharmaciens, particulièrement tournée vers le consommateur. « Le selfcare prend une place de plus en plus importante sur le point de vente. Notre concept est en rupture avec ce qui se fait en pharmacie habituellement, en nous situant à mi-chemin entre expertise et bienveillance », décrit Dimitri Chartier, responsable du développement de l’enseigne. L’idée porte sur le développement de quatre points : l’attractivité du point de vente, l’optimisation des achats et du merchandising, une école de formation intégrée pour les adhérents et le choix de la forme coopérative de l’enseigne (SA coopérative) par et pour les pharmaciens. Tout récemment HPI s’est aussi lancé dans l’aventure avec le concept Totum Pharmacies, « car la santé est un tout ».
Faire évoluer la législation.
Concernant les « anciens », à noter que tous renouvellent leur concept pour coller à la réalité du quotidien officinal. Le Groupe PHR s’apprête ainsi à faire disparaître en douceur ses enseignes Pharmaréférence et Viadys au profit de Ma Pharmacie Référence. Les derniers contrats pour les enseignes actuelles ayant été signés en 2014, pour une durée de trois ans, la métamorphose vers Ma Pharmacie Référence sera effective pour tous en 2017. Les premières officines au nouveau concept devraient ainsi apparaître d’ici à un an. Autre changement de taille : le groupe Plus Pharmacie devient Pharmavie. Il se tourne résolument vers l’enseigne. Le concept FamilyPrix disparaît et deux enseignes vont continuer à se côtoyer : Pharmavie et Pharmavie Essencia, cette déclinaison étant réservée aux pharmacies de proximité. Le groupement fait le choix d’une seule marque référence sur laquelle communiquer, après l’avoir doté d’un univers particulier et d’un « contenu fort et différenciant ». Une marque-enseigne, marque-produits, déclinée dans le concept magasin et les produits à la marque : Pharmavie. Les premières pharmacies au nouveau concept sont prêtes, le but étant que l’ensemble des adhérents arbore les couleurs de la nouvelle enseigne début 2016.
Au final, groupements et enseignes tentent de se différencier tout en offrant les réponses aux besoins de leurs adhérents. Crise économique, croissance en berne, baisse de rentabilité incitent les pharmaciens à se grouper. « La question aujourd’hui n’est plus de savoir si on va adhérer à un groupement mais de savoir lequel choisir », commente Alexis Berrebi, fondateur de Leader Santé. Lui a résolument choisi une approche consommateur avec une dynamique commerciale (animation du point de vente, négociations avec les laboratoires et conditions d’achats intéressantes), le renforcement des compétences managériales (coaching), la mise à disposition d’outils pour le patient et d’outils marketing. « Nous voulons construire une identité forte et nous misons beaucoup sur l’accueil. Le but est de rendre nos clients heureux et qu’ils s’en souviennent. »
Reste que le point noir, pour les enseignes, est l’interdiction de communiquer directement vers le grand public. Exception faite d’Évolupharm qui use de son statut de laboratoire pharmaceutique pour le faire. Il peut ainsi communiquer vers les consommateurs au travers de spots télévisés, sur des produits à la marque, ce qui lui permet d’asseoir une certaine notoriété grand public. Giphar s’illustre aussi par des opérations de communication, et ce dès 1987, par le biais de bandes dessinées, puis il revient à la charge en 1998, à la télévision, ensuite en 2008-2009 à la radio… Des initiatives mal perçues par l’instance ordinale et par les médecins qui n’ont pas hésité à attaquer en justice. Le feuilleton judiciaire a duré cinq ans, d’injonction en appel en dépôt de question préjudicielle de constitutionnalité (QPC) jusqu’au pourvoi en cassation. Victoires et défaites dans les deux camps, mais c’est au final l’Ordre des pharmaciens qui a obtenu gain de cause. Tout comme cela a été le cas à l’encontre de groupements comme Plus Pharmacie et PHR par le passé. Cela n’empêche pas les réseaux de réclamer des réunions sur la communication, pour faire évoluer la législation avec l’air du temps, et notamment donner aux officinaux la possibilité de se battre avec les mêmes armes que leurs nouveaux concurrents.
Vision d’avenir.
Quoi qu’il en soit, les groupements et enseignes occupent désormais une place essentielle dans le monde officinal. Ils ont su se rendre indispensables, en épaulant leurs adhérents dans les moments les plus difficiles, en proposant des outils pour améliorer leur quotidien, en les poussant à s’adapter plus rapidement qu’ils n’auraient pu le faire seuls. « Les adhérents sont inquiets, signale Giropharm, ils sont crispés sur l’immédiateté des résultats, que ce soit au niveau des achats, de la rentabilité ou de la compétitivité. Ils ont des attentes très importantes à tout niveau. Ils ont besoin que leur groupement soit proche de leurs besoins quotidiens et qu’il leur fixe un cap pour traverser cette période mouvementée. Ils attendent qu’il les aide à décrypter l’actualité et qu’il leur donne une vision d’avenir. Le groupement doit ainsi contribuer à maintenir leur rentabilité en période de crise et être capable de les aider à prendre le virage de la pharmacie de services. (…) Mais pour la pérennité économique des pharmacies et des groupements, une plus grande implication des pharmaciens dans la vie de leur groupement est essentielle. » Les groupements sont en effet de plus en plus demandeurs d’un véritable investissement du pharmacien à ses côtés. Ainsi, le groupe Népenthès a fait fondre ses effectifs en exigeant désormais l’exclusivité de l’adhésion. Il reste néanmoins leader en nombre de pharmacies engagées à ses côtés : 2 950. Les groupements font donc preuve de nouvelles exigences mais épargnent du mieux qu’ils peuvent leurs pharmaciens.
« Nous avons toujours pris en considération que le pharmacien devait certes évoluer, mais que son temps était précieux et les habitudes bien ancrées, assure Olivier Verdure, du Groupe Apsara. Toutes les solutions étudiées et mises en place ont été prévues pour prendre un temps minimum au pharmacien et à son équipe. La technologie au service du pharmacien, oui, mais pas au détriment de la qualité de la délivrance et du conseil. » Le Groupe PHR travaille, lui, en amont pour que ses adhérents et affiliés soient toujours bien informés et préparés. « Ils ont tendance à devancer les mutations. Ils sont parfois découragés par le manque de lisibilité de la politique menée par les ministres de la Santé et de l’Économie et le manque de stabilité au niveau des ressources de l’entreprise officinale. Un certain découragement s’empare alors des confrères, d’autant que nous ne pouvons disposer d’outils ou de moyens permettant de lutter efficacement (droit de communiquer, résistance de l’industrie au développement des réseaux et des centrales d’achat, etc.) », regrette Lucien Bennatan.
Groupements et enseignes deviennent d’autant plus incontournables que le métier de pharmacien ne cesse de s’enrichir de nouvelles missions. Il doit donc se libérer du temps pour se consacrer davantage au patient. « Le pharmacien ne pourra pas tout gérer efficacement, indique Patrick Rémond, du réseau Les Pharmacien Associés, il devra externaliser les domaines où il n’a pas suffisamment de compétences ou de ressources disponibles, il devra se concentrer sur les domaines où sa valeur ajoutée est la plus forte (conseil, proximité, caution pharmaceutique), et il devra s’adjoindre des compétences en intégrant des groupements pourvoyeurs de solutions fortes en termes d’organisation, d’animation commerciale, de management et de massification des achats. Les pharmacies les moins structurées, les moins dynamiques, les moins accompagnées auront des difficultés à occuper une place sur le marché. De plus, faire partie d’un réseau de pharmaciens permet de mutualiser les idées et les savoir-faire, et de rompre l’isolement. » Et François Leclerc, coprésident de Mutualpharm, de conclure : « Nos adhérents sont contents d’être groupés pour faire face à l’adversité grandissante ».