L'objectif se veut très ambitieux et donne déjà quelques sueurs froides à de nombreux libéraux. Le président de la République fonde en effet de très grands espoirs dans les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qu'il souhaite voir déployées d'ici à 3 ans. Pourtant sur le papier, trois ans après leur création, le dispositif est encore balbutiant.
Le 23 octobre, la Fédération des CPTS organisait, au ministère de la Santé, la première journée nationale consacrée à ce nouveau mode d'organisation qui doit « remettre le système de santé sur ses pieds », comme l'ambitionne Thomas Mesnier, rapporteur du projet de loi « Ma santé 2022 ». Pour le député, les CPTS vont faire « éclater les murs » qui séparent les différentes professions de santé et les Français vont assister à la naissance d'un « nouveau monde pour la santé de proximité ». Tout aussi ambitieux, le Dr Claude Leicher, président de la Fédération des CPTS, voit en celles-ci la meilleure réponse possible aux nombreux enjeux de santé auxquels la France est confrontée. « Les inégalités sociales en matière de santé se creusent, le dépistage du cancer du sein régresse, l'hôpital doit pouvoir se reconcentrer au plus vite sur les urgences vitales… décline-t-il. Plus de 100 plans de santé ont été mis en place ces dernières années et combien ont été véritablement appliqués ? Même pas une dizaine. » Pour le Dr Leicher, les CPTS présentent un immense avantage. « Elles permettront aux professionnels de terrain de prouver par eux-mêmes comment ils peuvent améliorer l'accès aux soins et la prévention, ainsi que renforcer le lien avec le médico-social. C'est une véritable révolution organisationnelle. »
400 CPTS sur l'ensemble du territoire
Arrêtés en septembre, les chiffres de la Fédération des CPTS font état de 400 projets à travers le pays. On en comptait à peine la moitié au mois d'avril dernier, preuve d'un certain frémissement, même si les niveaux de maturation de ces communautés interprofessionnelles sont bien sûr très hétérogènes. Les bassins de population couverts par les CPTS sont eux aussi très variables, de 8 000 habitants pour la plus petite à 350 000 pour la plus importante. 16 millions de Français vivent aujourd'hui sur le territoire d'une CPTS dont la finalité est d’améliorer l'accès aux soins dans sa globalité. Vaccination antigrippale, accompagnement des chimiothérapies orales, télémédecine, coordination du parcours de soins, accès à un médecin traitant, intégration des étudiants issus des différentes filières…
Si la sortie hospitalière reste « LE sujet » sur lequel les CPTS sont les plus attendues, ces dernières devront accomplir l'ensemble des missions réalisables en ville et ne pas se concentrer sur quelques-unes d'elles. Un point sur lequel Nicolas Revel, directeur général de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), a insisté à nouveau lors de cette première journée nationale. En choisissant la voie conventionnelle pour garantir la sécurité du financement, la CNAM a souhaité adopter un « encadrement juridique sobre » pour permettre aux professionnels de santé de se saisir du sujet mais aussi pour individualiser les contrats et faire en sorte qu'ils soient adaptés à chaque territoire. Un risque est d'ores et déjà à anticiper, prévient Nicolas Revel. Il faut éviter que la lourdeur administrative et des objectifs trop élevés ne fassent des CPTS « des coquilles vides d'ici 3 ou 4 ans ». « Ce n'est pas grave si un dossier n'est pas précis sur absolument tous les sujets. Il faut avant tout que les porteurs de projet prouvent leur capacité à fédérer et qu'ils montrent que les enjeux principaux sont bien perçus dès le départ », indique-t-il.
« Reprendre la main sur les urgences non-vitales »
Le déploiement des CPTS est également animé par un autre objectif : « permettre à chaque profession de santé de mieux exercer son propre métier », comme l'a rappelé le Dr Leicher. Un souci que devront garder à l'esprit les pharmaciens engagés par exemple dans la pratique des TROD angine ou la vaccination. Une bonne entente avec les autres professionnels de santé, garantie par une appartenance à une CPTS, permettra de désamorcer les tensions entre professionnels. Médecin généraliste à Valençay, dans l'Indre, Sylvaine Le Liboux perçoit, pour sa part, de nombreux bénéfices depuis qu'elle a intégré une CPTS. « Embaucher des assistants médicaux m'a permis de libérer du temps médical et de mieux prendre en charge des patients. On reprend en main tout ce qui concerne les urgences non-vitales. J'ai pu rencontrer des professionnels que je connaissais depuis 25 ans mais que je ne voyais jamais… Appartenir à une CPTS rend le métier plus attractif, cela incite à changer certaines de ses pratiques et à prendre de la hauteur. » À l’instar d'autres professionnels de santé issus d'autres spécialités médicales, elle a tout de même tenu à rappeler l'existence de certaines problématiques : certains praticiens sont isolés et n'ont pas toujours le temps de s'atteler à un projet qui reste chronophage ; de même, le manque de diversité dans l'origine sociale et géographique d'étudiants peu désireux de s'installer en province, ou encore la difficulté pour obtenir un fichier recensant l'ensemble des professionnels de santé présents sur son secteur. Des difficultés auxquelles les professionnels sont souvent confrontés lorsqu'ils font ou veulent faire partie d'une CPTS.
Des financements suffisants ?
Alors que de nombreux financements seront réservés aux professionnels évoluant en exercice coordonné, les montants prévus par l'accord conventionnel interprofessionnel (ACI) en cas de validation du dossier semblent insuffisants aux yeux de certains, même s'ils peuvent être complétés par le fonds d'intervention régional (FIR) de l'ARS. Entre 50 000 et 90 000 euros, selon la taille de la communauté, sont versés avant même le démarrage des missions choisies. Puis, 185 000 euros sont attribués (à compter du démarrage de chaque mission) pour une communauté de taille 1 (- de 40 000 habitants). Une somme qui peut atteindre 380 000 euros pour une communauté de taille 4 (+ de 175 000 habitants). Cette part fixe peut être complétée par une part forfaitaire soumise à la réalisation de certains objectifs, comme faciliter l'accès à un médecin traitant ou améliorer l'organisation des soins non programmés en ville. D'autres indicateurs pourraient être intégrés, comme l'a évoqué Nicolas Revel, qui n'exclut pas la possibilité d'évaluer aussi le niveau de prise en charge de certaines catégories d'assurés, comme les personnes en affection de longue durée (ALD).
Parallèlement, des discussions sont également en cours avec l'Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC) pour renforcer la formation, autre secteur qui pourrait connaître quelques évolutions. Des retouches qui n'empêchent pas David Guillet, vice-président de la Fédération, de se montrer déjà très optimiste. « Un mouvement naturel va s'opérer vers les CPTS. Dans 10 à 20 ans, nous serons tous conventionnés dans nos territoires et l'exercice non coordonné n'existera plus. »
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