Lutter contre les déserts pharmaceutiques
La loi ASAP permet à la pharmacie d’une commune limitrophe ou proche d’une officine menacée d’ouvrir une annexe. « C’est une idée que l’USPO porte depuis 4-5 ans. Le but est d’empêcher qu’une pharmacie, dans un contexte particulier, ne ferme », explique Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO). C’est le cas notamment lorsqu’un titulaire prend sa retraite et qu’il ne trouve pas de repreneur. Des circonstances particulières, donc, mais en premier lieu, comme le précise Luc Priouzeau, président de Giropharm, « il faut attendre que la dernière licence ait été rendue à l’ARS pour que le pharmacien le plus proche ou limitrophe puisse avoir l’autorisation, par le directeur de l’ARS, d’ouvrir cette antenne ».
Le dispositif est, à l’heure actuelle, au stade expérimental (en Corse, dans le Massif Central, en région PACA) : « Nous verrons dans six mois quels sont les avantages, ce qui marche bien et les soucis que nous rencontrons », relate Pierre-Olivier Variot. Une solution qui préservera un bassin de population pour lequel le pharmacien est le seul professionnel de santé.
Évolution ou révolution ?
Les pouvoirs publics sont bien conscients du rôle des pharmaciens dans les territoires, et les difficultés d’accès aux soins renforcent la place essentielle des officinaux dans certaines zones dites isolées. « Nous sommes en train d’écrire une nouvelle page de l’histoire de la pharmacie de façon locale. Cela ne concerne pas les 21 000 officines, mais cela touche quand même à quelque chose de fondamental, les deux lieux d’exploitation, explique Luc Priouzeau. Nous passons d’une licence, un diplôme, un lieu d’exploitation à une licence, deux diplômes, deux lieux d’exploitations. Ces deux lieux changent tout, c’est fondamentalement différent de ce qui se passe aujourd’hui. » En milieu rural, outre les soins de proximité et les médicaments, pour les personnes ayant des difficultés à se déplacer, le maintien de l’officine peut apporter des services comme la téléconsultation. Pour le président de Giropharm, « l’antenne est une solution adaptée au milieu rural. C’est une solution au regroupement, il faut le voir comme une opportunité ».
Une nouvelle organisation à l’officine
La gestion des deux lieux pose questions à différents niveaux. « Nous allons définir avec l’agence régionale de santé un nombre d’heures d’ouverture par semaine, cela pourra être 3 ou 4 jours. Il y aura le personnel adéquat, au moins un pharmacien et pour les employés, cela se définira au cas par cas, explique le président de l’USPO ; cela risque d’être un peu compliqué en termes d’organisation, mais c’est une bonne chose pour les patients. » Autre point qui devra être précisé, celui des gardes. La pharmacie annexe devra-t-elle assurer des gardes ou en sera-t-elle dispensée ? Autre question : faudra-t-il un ou deux numéros finess ?
Sur le plan du droit du travail, pour Philippe Becker, directeur du département pharmacie de Fiducial, « il conviendra de faire des avenants aux contrats de travail des salariés présents dans l’officine principale si le ou les titulaires souhaitent qu’ils travaillent alternativement dans les deux officines ».
Quel rôle pour les groupements dans ces cas particuliers ?
Pour Luc Priouzeau, « il faut tout écrire. Tout est à inventer dans l’organisation de l’officine et je pense que l’aide d’un groupement va permettre de prendre de la hauteur, de prendre le temps de réfléchir à ce que l’on veut faire par rapport à plein de problématiques, la gestion du personnel, l’opportunité de télésoins dans les locaux de l’antenne, les livraisons par le grossiste, les commandes pour les deux sites. Est-ce que la notion de rétrocession est applicable entre les deux entités ? Par ailleurs, pour une personne seule, la situation peut vite devenir compliquée et par conséquent la réflexion d’un groupement peut être intéressante. Mieux vaut que nous en parlions, que nous nous structurions, que cela puisse se mettre en place de façon intelligente en gardant cette proximité de soins comme finalité ».
Une fiscalité qui pose question
Les contours juridiques et comptables de ces situations particulières sont à définir et de nombreuses questions apparaissent. « Sur le plan fiscal, et sous réserve des contours de l’habillage juridique de l’opération, la pharmacie maintenue sera un établissement secondaire. Dans ce contexte, les résultats fiscaux s’agrégeront à ceux de la pharmacie principale. Les experts-comptables conseilleront de faire deux comptes de résultat séparés pour ne pas mélanger les chiffres d’exploitations », précise Philippe Becker. Et de conclure : « Si maintenir ouverte une officine qui deviendrait un établissement annexe de l’officine la plus proche est conforme aux intérêts de la patientèle dans un service organisé de santé publique, cela crée une situation inédite avec beaucoup de points à régler. »
Des réunions entre l’agence régionale de santé, les caisses d’assurance-maladie, les organisations syndicales, le Conseil de l’Ordre des pharmaciens, ainsi que les groupements semblent plus que jamais nécessaires afin d’établir un cadre pour le bon fonctionnement de ces pharmacies annexes.