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Covid-19 : mille combats contre un virus

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Publié le 26/05/2020
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Jamais recherches n’avaient été menées à une telle vitesse. Les études consacrées au SARS-CoV-2 sont chaque jour plus nombreuses, tout comme les prépublications non validées, délaissant au passage la recherche sur d’autres pathologies. Où en est-on ?

Crédit photo : Caroline Victor-Ullern

Les chiffres donnent le tournis. Selon la plateforme Covid Trials qui recense les essais cliniques de par le monde, le 22 mai au moins 1 125 études sont en cours, avec une forte prévalence en Chine (340), aux États-Unis (213), en Iran (138), en Espagne (74) et en France (72). Quant aux substances actives étudiées, la palme revient sans conteste à la chloroquine (Nivaquine) et son dérivé l’hydroxychloroquine (Plaquenil) qui cumulent 236 essais à elles seules, loin devant la plasmathérapie (75), l’association fixe lopinavir-ritonavir (Kaletra) et ses 74 essais, l’azithromycine (Zithromax - 62) ou le tocilizumab (RoActemra - 43). Cette recherche tous azimuts se révèle aussi par les publications scientifiques. Début mai, la revue « Nature » recensait près de 3 000 « preprints », ces fameux résultats publiés en ligne sans avoir été validés par les pairs, sur les deux plateformes dédiées bioRxiv et medRxiv. Pourtant, les revues scientifiques ont largement accéléré, elles aussi, leur processus de publication.

Face à l’urgence, les essais se sont multipliés en même temps que les annonces médiatiques sur des résultats habituellement communiqués en cercle restreint, telles les résultats des études in vitro ou chez l’animal. Cinq mois après le lancement des hostilités, où en sommes-nous ? Beaucoup d’études ne répondent pas aux standards méthodologiques internationaux, peu de résultats définitifs, davantage de données préliminaires et pas de traitement miracle. En France, les espoirs fondés sur l’essai européen DisCoVeRy lancé le 22 mars par l’INSERM sur quatre traitements* s'amenuisent. Toujours en cours, il a dû faire face à la concurrence d’autres études locales moins lourdes et moins chères, à l’emballement médiatique pour l’hydroxychloroquine, à une rupture d’approvisionnement en remdésivir, à la préférence des pays pour l’essai Solidarity (auquel il est intégré) lancé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les mêmes traitements… et maintenant aux difficultés de recrutement, le réservoir de patients n’étant pas extensible au moment où le nombre de malades décroît.

Le virus se dévoile

Pourtant, la France reste dans le top 5 des pays menant le plus d’études sur le Covid-19 dans le monde. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a mis en place des procédures exceptionnelles pour accélérer l’instruction des demandes d’essais cliniques. Au 20 mai, sur les 87 demandes reçues, l’ANSM en a autorisé 58. De son côté, la plateforme Covid Trials comptabilise, rien qu’en France, 17 essais cliniques sur l’hydroxychloroquine et/ou la chloroquine, qui devance ainsi l’azithromycine (11 essais). Viennent ensuite les corticoïdes (4), anakinra (Kevzara - 3), lopinavir-ritonavir (3), remdésivir (3), tocilizumab (3), avdoralimab (2), éculizumab (Soliris - 2), plasma sanguin (2), sarilumab (2)…

C’est parce que le SARS-CoV-2 se dévoile chaque jour un peu plus que les cibles thérapeutiques évoluent. Le virus est activé par une protéase, qui lui permet ensuite d’identifier le récepteur ACE2, la porte d’entrée. Une autre protéase (TMPRSS2) intervient alors pour lui permettre de pénétrer les cellules, c'est l'endocytose (qui entraîne une variation de leur potentiel hydrogène, le pH). Une fois dans la cellule, il libère son ARN, synthétise l’ARN messager pour former de nouvelles cellules virales. Et pour couronner le tout, le virus est équipé d’une exonucléase, qui permet de corriger les erreurs d’ARN. Il n’a plus qu’à se reproduire en utilisant le mécanisme des cellules humaines et grâce à une nouvelle protéase virale, former des protéines virales fonctionnelles. La recherche tente donc de trouver des solutions pour bloquer le virus aux différentes étapes de son développement. Ainsi, un essai est mené avec le camostat, médicament vendu uniquement au Japon et en Corée du Sud, qui a pour effet d’inhiber la protéase TMPRSS2. On ne compte plus les études menées sur l’hydroxychloroquine, dont l’une des vertus serait d’empêcher la variation de pH dans la cellule, et donc de bloquer l’entrée du coronavirus. Pour perturber la synthèse de l’ARN, les analogues nucléosidiques ou nucléotidiques sont le traitement de choix. Mais l’exonucléase reconnaît la plupart d’entre eux et les élimine. Certains comme le remdésivir – qui fait l’objet de plusieurs essais en phase III – semblent réussir à tromper l’ennemi, tout comme l’antiviral favipiravir. L’ivermectine a aussi été envisagée pour sa capacité à bloquer le transport de protéines entre le noyau et le cytoplasme de la cellule, donc à bloquer le mécanisme de réplication des cellules. Enfin, plusieurs inhibiteurs de protéase pourraient intervenir à différentes phases du cycle viral, comme le lopinavir-ritonavir ou le captopril.

La stratégie des immunomodulateurs

En l’absence de traitement, le virus peut s’installer. Si chez une très grande majorité de patients, la maladie est bénigne, voire asymptomatique, chez d’autres, le système immunitaire s’emballe. C’est l’orage de cytokines. Les solutions évaluées pour l’endiguer : les immunomodulateurs tels que les inhibiteurs de la cytokine dite interleukine 6 (IL6) comme le tocilizumab, le sarilumab, le sirukumab, ou de l’interleukine 1 (IL1) comme l’anakinra ou le canakinumab. Il n’est donc pas étonnant que la plateforme Anticovid d’Inato répertorie près de 50 essais sur les inhibiteurs d’interleukine. Parmi la trentaine de projets portés par l’AP-HP, la grande étude Corimuno-19 s’intéresse justement aux traitements à visée immunomodulatrice et développe des essais cliniques randomisés dans ce sens. Parmi les traitements testés, on retrouve le plasma de convalescents, le sarilumab, le sécukinumab (Cosentyx) ou encore le tocilizumab, pour lequel des résultats préliminaires positifs ont été communiqués fin avril.

Malgré ce foisonnement d’études accélérées, la Haute Autorité de santé (HAS) a relevé le 20 mai que « les données disponibles ne permettent pas d’affirmer quels sont les traitements efficaces, à quel stade de la maladie ils devraient être prescrits et quelle est la stratégie préférentielle. Aucun médicament ne dispose d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) ni même d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) ou d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) dans la prise en charge à visée curative ou préventive du Covid-19 ».

*remdésivir, lopinavir-ritonavir, lopinavir-ritonavir + interféron bêta, chloroquine ou hydroxychloroquine.

Mélanie Mazière

Source : Le Quotidien du Pharmacien