Antiviraux et immunomodulateurs : les deux stratégies anti-Covid-19

Par
Publié le 26/05/2020
Article réservé aux abonnés
Étienne Decroly est microbiologiste et virologue, directeur de recherche au Laboratoire architecture et fonction des macromolécules biologiques (AFMB) au CNRS à Marseille. Spécialisé dans l’étude des virus émergents, dont les coronavirus, il décrypte l’état de la recherche sur le Covid-19.

Le Quotidien du pharmacien.- Quelles sont les stratégies thérapeutiques envisagées contre le Covid-19 ?

Étienne Decroly.- Les pistes thérapeutiques sont différentes selon que la maladie en est au stade de l’infection virale, ou au second stade avec des désordres immunitaires qui peuvent engendrer une sur-réaction immunitaire comme les tempêtes de cytokines. Au premier stade, la stratégie consiste à contrôler la réplication virale de façon à éviter la sur-réaction du système immunitaire et à faire baisser la charge virale et donc la contagiosité. On va donc plutôt s’intéresser à des médicaments antiviraux. Au second stade, on se dirige davantage vers des immunomodulateurs pour contenir les désordres du système immunitaire.

La stratégie de recherche sur le court terme repose sur le repositionnement : on sélectionne des composés chimiques existants pour les tester sur cette pathologie. C’est ce qui s’est passé pour l’AZT, développée dans le cancer mais écartée car décevante. Elle est devenue le premier antiviral dans le VIH. À noter le changement d’échelle de temps : le séquençage du VIH a pris 3 ans, celui du SARS-CoV-2 a été fait en quelques jours.

Où en est la recherche ?

La question est complexe. Il y a plus de 2 700 études sur le Covid-19 selon le site covid.inato.com qui les répertorie, dont plus de 200 sur la chloroquine et l’hydroxychloroquine, 120 sur des antiviraux, 59 sur des antibiotiques… Les patients hospitalisés ne représentent que la partie émergée de l’iceberg, la grande majorité des patients sont asymptomatiques ou paucisymptomatiques, ou encore ne nécessitent pas de soins particuliers et ne se font pas soigner. Il est donc difficile d’avoir un résultat statistique significatif, d’autant que nous sommes face à des degrés de détection très différents d’un pays à l’autre. Par exemple, si on calcule le taux de létalité en mesurant l’ensemble de la population atteinte par le virus, on obtient un taux de l’ordre de 0,5 %, mais si on se limite aux patients hospitalisés, ce taux grimpe à près de 10 %. La même difficulté se présente pour les études sur des molécules selon les critères d’inclusion des patients. Nous avons besoin de statistiques robustes, d’études sur un nombre suffisant de patients avec un bras de contrôle et menées en double aveugle. Mais dans la littérature déjà publiée, la plupart ont enrôlé un petit nombre de patients, leurs critères d’inclusion sont mal définis ou trop tardifs et peu présentent un bras de contrôle. C’est problématique.

Quels sont les traitements les plus prometteurs ?

Les expérimentations sur les modèles animaux sont concordantes sur un point : le traitement à visée antivirale doit être administré le plus précocement possible pour être efficace. Plus on attend et moins l’effet est significatif. Les études cliniques sur les antiviraux doivent donc inclure des patients en phase précoce de la maladie. Les études in vitro, moléculaires et sur les animaux ont permis d'identifier des composés intéressants pour des essais cliniques, en particulier les analogues nucléosidiques ou nucléotidiques, des antiviraux qui inhibent la polymérase comme le remdésivir. Actuellement, aucune molécule ne montre des résultats très probants, mais l’analyse et la compilation des nombreuses études cliniques va poursuivre cet enjeu, à savoir identifier les composés les plus prometteurs pour pouvoir proposer des associations thérapeutiques à moyen terme, comme on l’a fait dans le VIH, de façon à pouvoir inhiber différentes étapes du cycle viral : bloquer l’entrée du virus, empêcher sa réplication, agir sur la réponse immunitaire. Des immunomodulateurs devraient aussi se démarquer pour traiter le second stade de la maladie. Cette analyse visera également à déterminer à quel moment l’intervention thérapeutique est optimale en fonction des thérapeutiques.

Quel est votre sentiment face à la multiplication des études sur un nombre limité de traitements ?

Cela peut avoir un intérêt dans le sens où elles n’ont pas les mêmes critères d’inclusion, les mêmes dosages, elles peuvent donc obtenir des résultats pertinents pour identifier des effets qui peuvent être différents selon les cohortes. En revanche, cette multiplication d’études sur un même composé engendre un problème de recrutement et donc des études qui n’ont pas inclus assez de patients pour être statistiquement significatives. Au final, cela stimule la créativité mais pose problème pour la rigueur méthodologique, déjà compliquée par la situation d’urgence. Pour des données robustes, il faut des études coordonnées entre plusieurs hôpitaux, ce qui nécessite du temps et de la main-d’œuvre au moment où les principaux acteurs, les médecins, sont au front. Par la suite, on devra réfléchir à la façon de mieux organiser les processus de recherche face à l’urgence.

L’essai DisCoVeRy tant attendu a pris beaucoup de retard et n’a pas atteint ses objectifs d’inclusion. Que faut-il en attendre ?

C’est un essai bien construit avec une bonne rigueur méthodologique, avec plusieurs bras dont un bras de contrôle, qui a souffert de difficultés de recrutement, notamment en raison de l’hypermédiatisation du Covid-19 et de thérapies non confirmées. Je ne peux que le regretter. Cela montre la difficulté de coordination des essais cliniques.

Y a-t-il des maladies à coronavirus ayant des traitements efficaces ou qui ont disparu ? La saisonnalité joue-t-elle un rôle ?

Non, il n’existe aucun traitement ou vaccin actuellement en médecine humaine ou vétérinaire. Jusqu’en 2003, on s’est peu inquiété de cette famille de virus car elle semblait surtout relever d’un problème vétérinaire. Or, les coronavirus ont une capacité extraordinaire de recombinaison et donc de propagation et d’adaptation à l’hôte. Le SARS-CoV-1 a disparu, le MERS-CoV a partiellement disparu mais réémerge de manière sporadique dans la population par transmission à partir du réservoir animal. Les rhumes dus à un coronavirus sont des infections chroniques. Ces trois hypothèses sont donc possibles pour le SARS-CoV-2. Il est déjà arrivé qu’un virus disparaisse sans qu’on sache pourquoi, mais j’y crois peu pour le SARS-CoV-2 au vu de sa circulation dans la population mondiale. On sait que la rémanence des coronavirus dans l’environnement dépend des conditions de température, d’humidité et d’UV. Les virus à ARN sont très sensibles aux UV, la chaleur affecte la stabilité des protéines donc oui, l’été pourrait jouer contre ce coronavirus. Mais ce ne sont pas les seuls facteurs à prendre en compte, il faut y ajouter la contagiosité et l’immunité. Il est donc peu probable que l’effet saisonnier joue en absence d’immunité dans les populations.

Peut-on prévoir l’apparition d’un nouveau virus ?

Oui et non. Depuis 2003, notre équipe travaille sur les coronavirus. À l’époque du SRAS nous avons été dotés de financements d’abord significatifs qui se sont étiolés au fil du temps et qui ont rendu nos projets de recherche difficilement finançables. Or les processus de recherche fondamentale sont longs et ont besoin d’un financement pérenne. Nous avons pourtant alerté, et nous ne sommes pas les seuls, d’un risque d’émergence de coronavirus. Aujourd’hui, je m’inquiète de voir au contraire toute la recherche se réorienter sur la famille des coronavirus au détriment d’autres pathologies virales qui présentent aussi un risque d’émergence. On ne peut pas tout miser sur un virus, comme on l’a fait avec le VIH qui a siphonné tous les financements pendant 20 ans. Pour anticiper, il faut prendre en compte l’écosystème complet.

Propos recueillis par M. M.

Source : Le Quotidien du Pharmacien