Quand, en mars dernier, une épidémie de conjonctivite s’abat sur l’Île de la Réunion, les collyres viennent rapidement à manquer dans les officines. Le fabricant est mis en alerte par la multiplication des déclarations de « manquants » sur ses produits, via le dossier pharmaceutique-rupture d’approvisionnement (DP-ruptures) des pharmacies de l’Île. Et ce bien qu’il n’y ait eu ni alerte de l’ARS, ni même alerte des grossistes sur ces collyres. Alors qu’il achemine habituellement ses produits par bateau au cours d’une traversée de cinq semaines, le laboratoire décide d’affréter un avion. En moins de vingt-quatre heures, les officines de l’Île seront réapprovisionnées et l’épidémie de conjonctivite endiguée.
La résolution de ce risque sanitaire gérée de manière autonome et exclusivement par les acteurs de la chaîne du médicament, illustre l’efficacité du DP-ruptures, un outil mis en place par l’Ordre des pharmaciens en 2013 sur le Web et déployé depuis un an par 3 000 pharmacies grâce à leur logiciel métier. Émise de manière manuelle par les pharmaciens ou actionnée par le logiciel métier Winpharma, dès lors que le titulaire a activé cet outil métier, l’alerte rupture est générée automatiquement par le logiciel de gestion des stocks auprès des laboratoires quand un produit vient à manquer au bout d’un délai de 72 heures et après avoir basculé sur un deuxième grossiste. La réponse ne se fait pas attendre, renseignant le pharmacien sur les causes et les conséquences de cette rupture. « Tous les pharmaciens qui ont activé le DP-ruptures ne veulent plus revenir en arrière », affirme Olivier Porte, directeur du département Healthcare technologies de l’Ordre des pharmaciens. « Entre hier et aujourd’hui, l’amélioration n’est plus à prouver. Nous savons désormais en temps réel ce qu’il faut répondre au patient quand l’un de ses médicaments vient à manquer », renchérit Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP). Elle espère convaincre à terme 300 fabricants (soit 80 % des codes CIP) d’adhérer à ce dispositif, qu’elle décrit schématiquement comme « le chemin inverse des rappels de lot ».
Lanceur d’alerte
Bien avant la loi de santé, l’Ordre s’est donc saisi du dossier. L’actualité de cet été sur de multiples ruptures, vaccins compris, ainsi que les chiffres publiés par l’Agence nationale du médicament (ANSM) faisant état d’un décuplement des accidents d’approvisionnement en sept ans, ont conforté la démarche de l’instance ordinale. Et corroboré les chiffres collectés via le DP-ruptures sur le site du CNOP qui rendent compte chaque début de mois des ruptures du mois précédent. 19 000 déclarations basées sur les codes CIP ont été faites à ce jour par les pharmaciens depuis le mois de février. « Les ruptures, un problème que nous ignorions encore il y a dix ans, ont considérablement augmenté depuis huit ans », constate Isabelle Adenot. Elle ajoute que si le phénomène tend à se stabiliser, le nombre de ruptures d’approvisionnement reste élevé. Suffisamment en tout cas pour susciter un consensus à travers toute la chaîne du médicament et pour interpeller les pouvoirs publics. Car lanceur d’alerte, le DP-ruptures ne suffit pas à lui seul pour prendre le mal à la racine. D’autant que les origines des ruptures d’approvisionnement sont multifactorielles. Elles résultent tantôt de stratégies industrielles mondialisées incluant la concentration des matières premières sur quelques sites uniques de production, tantôt de la délocalisation de la fabrication au plus près des grands marchés. Quand elles ne sont pas soumises aux aléas commerciaux ou climatiques (tsunami, tremblement de terre, inondation d’usine…), aux fortes demandes des pays émergents et aux contraintes biologiques de la fabrication (dix-huit mois étant nécessaires en moyenne pour un vaccin).
Le législateur vient donc en renfort de l’Ordre en incluant à la loi de santé un dispositif spécial sur les ruptures d’approvisionnement. Un grand pas salué par les pharmaciens puisque, pour la première fois, une rupture d’approvisionnement est qualifiée comme telle si « elle met en jeu le pronostic vital du patient ou entraîne une perte de chance importante ». L’article 36 à la loi de santé se concentre sur les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM). La direction générale de la santé (DGS) en fixe le nombre et la liste en est rendue publique sur le site de l’ANSM. Les sénateurs ont par ailleurs adopté l’amendement du gouvernement qui ajoute les vaccins à cette liste.
L’exception française
Cet article 36 est bien plus qu’une avancée majeure dans la gestion des ruptures d’approvisionnement en France. Il institue une organisation unique au monde puisqu’il contraint les industriels à un plan de gestion de leur pénurie. Les laboratoires seront ainsi obligés d’établir un plan B en cas d’incapacité de produire et de trouver d’autres fournisseurs si la matière première vient à manquer.
Les grossistes-répartiteurs, de leur côté, ne pourront vendre des MITM en dehors du territoire national, ni les céder à des exportateurs. Au final, l’ensemble de ces acteurs de la chaîne du médicament, quelle que soit leur origine, auront l’obligation de fournir le marché français de manière continue et appropriée. En cas d’arrêt de fabrication, le laboratoire devra en avertir l’ANSM avec un délai d’un an.
Si ce dispositif de la loi de santé ne concerne uniquement que les MITM, l’article 36 n’en oublie pas pour autant le pharmacien qui pourra, pour pallier une rupture, « dispenser des médicaments d’une autorisation d’importation décidée par l’ANSM », se félicite l’Ordre.
De manière plus générale, le pharmacien est invité à ne pas relâcher ses efforts sur les ruptures d’approvisionnement. La DGS a ainsi déclaré à l’Ordre qu’« il est utile que les pharmaciens continuent à déclarer les ruptures de tous les médicaments, notamment aux exploitants ». Un message reçu cinq sur cinq par la profession qui poursuit la généralisation du DP-ruptures. À la fin du premier semestre 2016, les principaux éditeurs de logiciels métier devraient avoir emboîté le pas à Winpharma pour développer le DP-ruptures, couvrant ainsi 85 à 90 % des officines. Dans un an, ce sont donc plus de 16 000 pharmacies qui seront en mesure d’activer cet outil d’alerte et d’information.
Elles aussi fréquemment concernées par le phénomène, les PUI ne sont pas oubliées par cette innovation. Comme leurs confrères officinaux, les pharmaciens hospitaliers seront également invités à contribuer au DP-ruptures. C’est donc l’ensemble de la chaîne du médicament qui est aujourd’hui lancée dans la chasse aux ruptures d’approvisionnement.
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