Pour le patron de l’Agence américaine du médicament (FDA), le Dr Scott Goetlieb, l’arrivée de Kymriah (tisagenlecleucel) sur le marché signe l’entrée « dans une nouvelle ère de l’innovation médicale avec la capacité de reprogrammer les cellules immunitaires d’un malade pour qu’elles puissent détruire les cellules cancéreuses mortelles ». Car c’est exactement la promesse de Kymriah, cette thérapie développée par Novartis qui a décroché son AMM américaine en août dernier dans la leucémie aiguë lymphoblastique. Le laboratoire suisse a demandé une extension d’indication en octobre à la FDA dans le traitement en troisième ligne du lymphome diffus à grandes cellules B récidivant ou réfractaire chez des patients ne pouvant subir de transplantation de cellules-souches autologues. C’est aussi la promesse de Yescarta (axicabtagene ciloleucel) de Kite Pharma (racheté par Gilead fin 2017 pour près de 12 milliards de dollars) dans les lymphomes non hodgkiniens, dont l’AMM – toujours américaine – date du mois d’octobre. Pour ces deux thérapies, le protocole repose sur le prélèvement de lymphocytes T chez le malade, qui sont ensuite génétiquement modifiés in vitro avant de lui être réinjectés. Les lymphocytes modifiés sont dits CAR-T, pour Chimeric Antigen Reactor T, ils sont armés pour combattre les cellules cancéreuses.
Dernier traitement de thérapie génique approuvé par la FDA, le Luxturna (voretigene neparvovec) a obtenu le feu vert américain en décembre dans la dégénérescence héréditaire de la rétine pouvant évoluer vers la cécité. Cette fois, la biotech américaine Spark Therapeutics explique qu’une seule injection intraoculaire permet de corriger le gène défectueux et ainsi de restaurer les fonctions rétinienne et visuelle. L'entreprise a cédé le 25 janvier dernier les droits de commercialisation mondiaux, à l’exception des États-Unis, de sa thérapie à Novartis.
Tempête immunitaire
Deux ombres viennent cependant noircir le tableau. D’abord, pour Kymriah et Yescarta, le risque élevé d’effets secondaires potentiellement graves provoqués par l’affrontement dans l’organisme des CAR-T cells avec les cellules cancéreuses, entraînant une inflammation décrite par les chercheurs comme une « tempête immunitaire ». C’est le syndrome de relargage de cytokines : la multiplication des CAR-T cells dans l’organisme et la destruction des cellules cancéreuses favorisent la production de cytokines et leur libération massive qui peut entraîner un choc cytokinique sévère, voire mortel. Les recherches se poursuivent pour réduire la toxicité de ces traitements, améliorer la prise en charge des effets secondaires, et évaluer leur efficacité sur d’autres cancers (leucémie lymphoïde chronique, myélome multiple, tumeurs solides).
Problématique des coûts
Seconde ombre au tableau : le coût de ces traitements. Aux États-Unis, Kymriah coûte 475 000 dollars la cure, Yescarta 373 000 dollars et Luxturna 850 000 dollars (425 000 dollars par œil). Alors que Kymriah fait l’objet d’une procédure d’AMM accélérée au sein de l’Agence européenne du médicament (EMA), la ministre de la Santé française Agnès Buzyn a annoncé que son prix sera négocié dès l’AMM accordée. Car ces nouvelles thérapies aux tarifs élevés peuvent mettre en péril les systèmes de santé solidaires. Il y a à peine un an, le rapport du Conseil économique social et environnemental (CESE) soulignait que les anticancéreux innovants pourraient peser au moins 1 milliard d’euros dans les remboursements de l’assurance-maladie. Et la Cour des comptes a aussi pointé les coûts des traitements contre le cancer, en particulier les thérapies géniques à venir. Les systèmes de santé cherchent aujourd’hui les moyens de financer ces innovations. Parmi les solutions étudiées, les contrats de performance sont souvent cités. Novartis a d’ailleurs proposé de lui-même un tel contrat pour son Kymriah. Si le traitement n’apporte pas d’amélioration chez le malade un mois après son administration, il lui sera remboursé. Spark Therapeutics lui a emboîté le pas lors de l’obtention de l’AMM de Luxturna en décembre : il propose aux autorités un paiement par étapes et un remboursement aux malades pour lesquels le traitement resterait sans effet.
Le traitement le plus cher du monde reste Glybera (alipogene tiparvovec), la première thérapie génique approuvée en Europe, dont l’AMM date d’octobre 2012 : 1 million de dollars. Une seule série d’injections en intramusculaire dans les jambes permettrait de soigner le déficit familial en lipoprotéine lipase, une inflammation très rare du pancréas d’origine génétique. Mais, à ce jour, Glybera n’a bénéficié qu’à une seule personne, en Allemagne, en septembre 2015, avec succès. En France, la Haute Autorité de santé a exprimé des doutes quant à son efficacité après un an et son profil de tolérance à court et moyen terme. Son fabricant, le néerlandais Uniqure, a jeté l’éponge fin 2015 et a retiré sa demande d’AMM américaine.
Accélération
Heureusement, d’autres thérapies géniques ont pu bénéficier à davantage de patients, en particulier la toute première thérapie génique approuvée dans le monde : la Gendicine, qui a obtenu son AMM en Chine en octobre 2003 et a commencé à être utilisée en 2004. EIle consiste à administrer un gène tueur de tumeur véhiculé par un adénovirus. Selon une étude récente, ce traitement, fabriqué par SiBiono et indiqué dans les carcinomes de la tête et du cou, a bénéficié à plus de 50 000 patients en Chine, dont 5 000 ressortissants étrangers issus de 50 pays différents. Car cette thérapie n’a jamais été autorisée ailleurs.
Entre Gendicine et Glybera, il aura donc fallu 9 ans pour qu’une deuxième thérapie génique voie le jour, puis trois ans de plus pour une troisième avec Imlygic (talimogene laherparepvec) d’Amgen dans le mélanome. Ces dernières années, on note clairement une accélération dans la mise sur le marché de ces nouveaux traitements, avec une 4e thérapie autorisée, en Europe, en juin 2016 : Strimvelis, de GSK, dans le traitement du déficit immunitaire combiné sévère par déficit en adénosine désaminase (bébés ou enfants bulle). En Italie, où il est intégralement remboursé, son prix s’élève à 594 000 euros. Là encore, le laboratoire a promis le remboursement du traitement chez les patients non-répondants.
2017 représente donc une année exceptionnelle pour la thérapie génique avec le lancement de trois traitements innovants entre août et décembre dernier. D’autres traitements pourraient atteindre le marché d’ici à 2019, tel le JCAR 017 qui utilise la technologie CAR-T cells pour soigner la leucémie, développé par Juno Therapeutics, société de biotechnologie qui vient d’être rachetée par l’Américain Celgene pour 9 milliards de dollars. Ou encore le GS 010 de la biotech française Gensight, qui vise la neuropathie héréditaire de Leber, candidat médicament en thérapie génique actuellement le plus avancé (phase III) en France.
Ces traitements innovants représentent un espoir énorme pour les patients, mais aussi un défi immense pour les systèmes de protection sociale du monde entier.
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