Communiquer c’est répéter. L’AFIPA* répète donc encore et encore que l’automédication responsable n’a que des avantages pour les patients, les pharmaciens, les médecins et le système de santé. Et selon un sondage IPSOS mené fin 2015, il ne reste plus qu’un acteur à convaincre : le gouvernement. En effet, pour la première fois, les médecins généralistes interrogés se sont montrés favorables à cette pratique. Un changement radical, si l’on se réfère a une précédente étude de l’AFIPA, en 2012, concluant à une réelle opposition du corps médical au développement de l’automédication ; il en soulignait uniquement les risques (interactions, surdosage, contre-indication, etc.) et le manque de compétence à la fois du pharmacien et du patient en la matière ! Il ne remettait cependant pas en cause les connaissances pharmaceutiques des officinaux, mais plutôt l’impossibilité de connaître tous les antécédents du patient, d’effectuer un examen clinique ou d’assurer un réel suivi dans la durée. En outre, les médecins se disaient gênés par la double casquette du pharmacien, à la fois commerçant et professionnel de santé, lors des conseils prodigués en faveur de tel ou tel produit pharmaceutique.
Cette nouvelle enquête, menée par IPSOS auprès de 1 003 patients-consommateurs et 301 médecins généralistes, révèle donc un véritable retournement de situation. Convaincus de la progression du phénomène d’automédication dans les cinq prochaines années, les médecins généralistes se disent prêts à accompagner leurs patients, en leur expliquant quel médicament sans ordonnance ils peuvent prendre, soit au cours d’une consultation (pour que le patient sache pour la prochaine fois) à 73 %, soit par téléphone à 47 %. Ils préfèrent accompagner leur patient dans sa pratique d’automédication plutôt que de confier intégralement cet accompagnement au pharmacien. Ils pensent néanmoins que 45 % de leurs patients sont capables de se soigner avec des produits d’automédication, dans les conditions d’utilisation indiquées, avec le conseil du pharmacien et sans l’intervention d’un médecin. Mieux, ils estiment que 16 % de leurs consultations peuvent se régler par le biais d’une automédication responsable, en particulier dans les cas de rhumes, de douleurs liées à un état grippal et de diarrhées passagères. Or ces consultations en moins seraient pour eux une aubaine pour se recentrer sur des problèmes de santé plus lourds (63 %), pour désengorger leur cabinet (59 %) et pour réduire les dépenses de santé (53 %).
De nouvelles pratiques
Une révolution ! Ou en tout cas une évolution qui s’accorde mieux avec les pratiques de leurs patients : 80 % d’entre eux ont eu recours à l’automédication au cours des douze derniers mois, 91 % s’estiment capables de gérer ainsi des problèmes de santé bénins pour eux-mêmes et 73 % pour leurs proches. Leur pratique de l’automédication semble responsabilisée puisque, en cas de problème de santé bénin, leur réflexe est de vérifier leur armoire à pharmacie, puis de demander conseil à leur pharmacien (43 %), avant d’avoir recours à l’avis d’un médecin (39 %).
Finalement, ils ne sont que 9 % à faire confiance aux informations trouvées sur Internet, préférant de loin l’échange direct avec un professionnel de santé. De même, ils déclarent lire attentivement la notice des médicaments trouvés dans leur armoire à pharmacie (74 %) avant de demander conseil au pharmacien (34 %). De plus, 79 % des Français considèrent que notre système de soins, qu’ils jugent de qualité et auquel ils sont attachés, est en danger et doit être réformé. Pour le préserver, 71 % se disent prêts à accepter la prise en charge individuelle des pathologies bénignes par le biais de l’automédication et du conseil du pharmacien.
Parcours de soins
L’ensemble de ces résultats réjouit Pascal Brossard, président de l’AFIPA, qui note un réel changement d’appréciation de la part des médecins et une forte responsabilisation des Français, toujours plus acteurs de leur santé. En revanche, les politiques incitatives que l’association réclame aux pouvoirs publics depuis 15 ans n’ont toujours pas vu le jour. C’est pourquoi la part de l’automédication sur l’ensemble du marché pharmaceutique en France n’atteint que 15 % en volume, quand la moyenne de sept pays européens comparables** est de 32 %. Pourtant le prix moyen d’un médicament sans ordonnance en France est de 4,69 euros, soit l’un des tarifs les plus bas en Europe. Un Français dépense en moyenne 32,10 euros par an en produits d’automédication. L’un des freins au développement de ce marché repose sur le peu de délistages*** opérés en France. Selon l’AFIPA, « 90 molécules pourraient devenir accessibles sans prescription si la France s’alignait sur ce qui est pratiqué chez ses proches voisins européens ». Les industriels du médicament réclament un changement dans le système de santé pour que les maladies bénignes soient prises en charge de manière individuelle, afin de garantir la prise en charge par la collectivité des pathologies graves.
Au final, ce nouveau modèle où l’automédication responsable deviendrait la première étape du parcours de soins permettrait à l’assurance-maladie des économies d’au moins 1,5 milliard d’euros par an, à la fois par la baisse du nombre de consultations et par la prise en charge du coût des médicaments pour les pathologies bénignes par leur bénéficiaire. D’après l’économiste de la santé Frédéric Bizard, les Français y sont prêts pour peu qu’on les accompagne : « La limite à la participation financière doit être le renoncement aux soins. » Là aussi, l’AFIPA a la solution : appliquer le même taux de TVA de 2,1 % à tous les médicaments, ce qui abaissera mécaniquement le prix des médicaments d’automédication, et prévoir un mécanisme d’inclusion de l’automédication au système de protection sociale des personnes à faibles ressources. « Notre système de soins, pour remarquable qu’il soit, est malmené par un déficit qui ne cesse de s’accroître, et sa pérennité est menacée par des défis sociologiques qu’il n’est pas préparé à affronter, insiste Pascal Brossard. Au regard des enjeux actuels, l’AFIPA interpelle les pouvoirs publics sur l’absolue nécessité de se saisir de l’atout que représente le développement du selfcare en France. »
** Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède.
*** Délistage ou switch : fait de passer un médicament du statut de prescription obligatoire à facultative, donc de le rendre accessible sans ordonnance.
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