LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN. - L’information du public sur le médicament passe essentiellement par les médias au décours des grandes crises sanitaires, avec les dérives que l’on connaît. Comment l’ANSM peut-elle corriger certains messages erronés ou outranciers ?
PR DOMINIQUE MARANINCHI. - Le rôle de l’Agence est d’informer en flux continu. Notre premier objectif étant d’accentuer notre stratégie d’information en essayant de la cibler selon les publics qu’elle concerne. Parce qu’une bonne information est une information qui est ciblée sur son objet. Deuxièmement, nous installons des commissions qui vont examiner chaque mois tous les médicaments qui vont être mis sur le marché et tous ceux qui font l’objet d’un programme de surveillance ou d’une réévaluation de leur balance bénéfice-risque. Ces commissions font l’objet de diffusion en vidéo, et tous les documents sont accessibles. Cette démarche est en soi une pédagogie de la prévention du risque. C’est par la transparence d’une information récurrente et régulière que l’Agence amènera des informations de plus en plus dépassionnées. Il faut faire comprendre au public qu’il est normal, voir banal, que l’on suive les bénéfices et les risques de tous médicaments au cours du temps. Il s’agit d’une démarche proactive qui est inscrite dans la loi et dans notre plan d’action, plutôt qu’une démarche réactive de commentateur... L’objectif final, c’est de rétablir la confiance. Or l’un des moyens de lutter contre la désinformation, c’est de donner de l’information régulière et validée.
Vous évoquez une crise de confiance…
Oui, il y a une crise de confiance sur le médicament. Cette crise découle de l’affaire Médiator, mais ce n’est pas seulement une crise qui touche un produit ou une firme, cette crise est plus profonde. Pour rétablir la confiance il convient de favoriser la transparence, de dépassionner le débat. Il faut aussi redonner la confiance aux usagers, pas seulement dans le médicament mais aussi dans les professionnels de santé qui, au final, sont les vrais référents de l’arbitrage entre les bénéfices et les risques. C’est là une responsabilité majeure pour les professionnels de santé. C’est pour cela que je vous sais gré de diffuser régulièrement nos informations auprès de vos lecteurs pharmaciens. Lorsque nous informons, notre but est de préparer des changements de comportements ou des décisions. Voilà pourquoi nous voulons privilégier l’information des professionnels au travers des canaux de leur presse et de leurs instances représentatives.
Après la récente autorisation de vendre certains médicaments sur Internet, l’ANSM va-t-elle modifier sa façon de contrôler cette activité ?
Sur ce point, le dernier développement est une décision du Conseil d’État. Notre rôle est d’appliquer les lois et la réglementation en vigueur. Ceci étant dit, il faut bien sûr différencier le commerce illicite du commerce licite. Nous allons rester très impliqués dans le contrôle du commerce illicite avec les autres services de l’État que sont la police ou les douanes… Et, comme vous le savez, ce contrôle s’effectue à l’échelle nationale, européenne, mais aussi mondiale. Il s’agit d’un grand risque pour la population. Dans ce contexte, notre position est d’assurer la sécurité du médicament quelle que soit sa distribution, évidemment dans des circuits licites, en participant notamment à la lutte contre la contrefaçon.
Dès lors que la vente en ligne de médicaments en France sera parfaitement cadrée sur le plan juridique et réglementaire, notre travail, en collaboration d’ailleurs avec les pharmaciens, sera de veiller au bon usage des médicaments et à leur qualité, et à en garantir la traçabilité. Il est vrai que l’arrivée de la vente autorisée de certains médicaments sur Internet pose un certain nombre de questions. Mais il ne nous appartient pas de commenter cette décision. Nous continuerons d’assurer nos missions de lutte contre la criminalité et de surveillance de la sécurité du médicament.
Un nouveau métier, celui de courtier en médicaments, vient d’être officialisé en France. Comment ce nouvel intervenant permettra-t-il, selon vous, d’améliorer la sécurité de la chaîne du médicament ?
Il ne m’appartient pas de commenter la loi. Mais il convient de souligner que cette activité, exclue du monopole pharmaceutique, est soumise à une obligation de déclaration auprès de l’ANSM et non pas à une autorisation préalable. De plus, les courtiers sont tenus de vérifier que les médicaments sont couverts par une AMM.
L’encadrement de l’activité de courtage des médicaments fait partie des objectifs de la directive européenne 2011/62/UE. Cette activité nouvelle se voit ainsi dotée d’un statut juridique propre différent de celui des autres opérateurs pharmaceutiques habituels et notamment de ceux en charge de la distribution réalisant, de fait, une manipulation physique des médicaments.
La réglementation de cette activité est apparue nécessaire au niveau européen dans la mesure où le réseau de distribution se complexifie et fait intervenir de nouveaux opérateurs. Le choix de la France, comme le permet la directive précitée, a en effet été de ne pas l’assujettir aux mêmes contraintes qu’un établissement pharmaceutique, tout en astreignant cette activité à une obligation de déclaration à l’ANSM et à certaines obligations de surveillance et de vigilance dont la violation est sanctionnée pénalement.
La pharmacovigilance souffre toujours d’un nombre insuffisant de déclarations de la part des professionnels de santé. Comment pourrait-on, selon vous, remédier à cela ? La déclaration spontanée par le public, récemment instituée, fonctionne-t-elle ?
Il faut d’abord savoir de quoi l’on parle. La pharmacovigilance est un ensemble de dispositions qui ne sont pas que la déclaration spontanée d’effets indésirables. C’est aussi la pharmaco-épidémiologie, qu’on est en train d’appeler la pharmaco-surveillance, ou évaluation de la qualité d’utilisation des produits à partir d’études de cohortes qui servent à prendre des décisions. Il y a d’ailleurs à ce sujet un fonctionnement qui n’est pas bien compris par les Français. Prenons l’exemple des pilules. Lorsque l’Agence prend des positions sur la base d’une étude de cohorte danoise qui a suivi 8 millions de femmes pendant 10 ans, les données analysées, en terme de risque, sont transposables à la population française. Cela peut paraître paradoxal, mais il faut comprendre que nous avons besoin du maximum de données mondiales pour que notre agence prenne ses décisions.
Quant à s’interroger sur l’efficience de notre système de déclaration, il faut savoir que celui-ci est très performant au niveau de l’Europe. La France contribue en effet pour 20 % des signalements ; or elle ne représente pas 10 % de la population européenne. C’est le french paradox, notre système de déclaration spontanée n’est pas si insuffisant que cela par comparaison avec les autres systèmes. Pour autant, il faut continuer de stimuler le système de déclaration spontanée. Les déclarations par les pharmaciens sont très importantes, grâce notamment à la bonne répartition de réseau des officines. De plus, les pharmaciens ont un rôle décisif dans le conseil et la dispensation des médicaments de PMF, et c’est un point important en termes de pharmacovigilance et donc dans le suivi des effets secondaires de ces produits. Il est essentiel que la profession soit à l’avant-garde de la déclaration. Enfin, il y a les usagers eux-mêmes. Pour stimuler ce type de déclaration, la DGS va faire prochainement des propositions qui seront remises dans les prochains mois à la ministre de la Santé. Ces propositions consistent à faciliter le système de déclaration, par exemple par la mise au point d’un portail des vigilances actuellement en chantier. La déclaration des usagers est une bonne chose même si, quantitativement elle est moins importante que celle des professionnels – 2 000 déclarations en un an. Elle est également appréciable qualitativement, puisqu’une expérimentation menée avant même l’ouverture du système au public avait montré que les déclarations des usagers étaient comparables, en termes de pertinence, à celles réalisées par les professionnels de santé.
Comment l’ANSM contrôle-t-elle la qualité des matières premières de médicaments importées de Chine ou d’Inde ?
Ce qu’il faut d’abord rappeler, c’est que l’Agence contrôle avec la même rigueur les substances actives utilisées dans les médicaments génériques et les princeps. Elle s’assure que chacun des opérateurs assume ses responsabilités avant la mise sur le marché des médicaments, lors de leur fabrication et en aval, pour prendre en compte des éventuels effets indésirables. De nombreux opérateurs ont des sites de fabrication en pays tiers à l’Union Européenne. Les États membres coordonnent leurs efforts pour contrôler ces installations. Tous les sites de fabrication de produits finis sont donc inspectés par une autorité compétente européenne. Si les résultats de l’inspection sont normaux, les autorités européennes délivrent un certificat de bonnes pratiques de fabrication (BPF). Sans certificat de bonne pratique européen il n’y a pas d’enregistrement possible de médicament, et donc pas d’importation.
Il n’existe pas de statistiques précises sur l’origine des substances actives (SA) utilisées dans des médicaments distribués sur le territoire européen. La commission européenne reprend dans ses publications les chiffres de l’association des génériqueurs qui les évaluent à 80 % de SA provenant de pays tiers. Les fabricants de produits finis qui utilisent des substances actives, y compris de pays tiers, doivent s’assurer par des audits de la qualité de ces substances actives. Les autorités nationales compétentes s’assurent que cette responsabilité est pleinement exercée notamment lors des inspections qu’elles réalisent (321 inspections dans le domaine du médicament en 2011).
Dans le domaine des matières premières, 88 inspections ont été réalisées en moyenne par an par l’Agence sur la période 2007-2011 selon une répartition 75/25 entre la France et les pays tiers. Le nombre moyen d’écarts aux BPF ainsi que leur gravité sont plus importants en pays tiers qu’en France (6 fois plus pour les écarts majeurs).
L’inspection des fournisseurs de substances actives étrangers est un exercice largement coordonné au niveau international. Le programme d’inspection coordonné des fabricants de substances actives lancé en 2008 a permis l’inspection de près de mille sites.
L’entrée en vigueur en juillet 2013 de la directive n° 2011-62 va renforcer les exigences vis-à-vis de l’importation de substances actives. Après cette date, elles devront être accompagnées d’une « confirmation écrite » de la part des autorités compétentes du pays d’exportation confirmant notamment le respect des bonnes pratiques de fabrication, sauf si elles proviennent d’un pays dont le système est reconnu en lui-même. Soulignons le fait que la France est l’un des seuls pays européens à avoir mis en place une équipe dédiée sur l’inspection des matières premières. Cette équipe a constamment crû depuis 1996 (8 inspecteurs aujourd’hui).
Qu’attendez-vous des pharmaciens pour qu’ils contribuent encore plus qu’ils ne le font, au bon usage et à la bonne information sur le médicament ?
Nous en attendons encore plus. Toujours plus. Rappeler par exemple à leurs patients que le bon usage du médicament, c’est aussi veiller à en limiter l’usage. Par ailleurs, sur l’utilisation de spécialités à PMF, il est important qu’ils participent au bon usage et au signalement de pharmacovigilance au plus près des usagers pour faire remonter des informations. Il faut absolument veiller à ce que la PMF ne subisse pas de perte de confiance sur ce secteur qui est toujours très commenté et discuté. L’Agence est tout à fait proactive dans ce domaine, mais la contrepartie c’est de pouvoir en assurer la surveillance. Or qui mieux que le pharmacien pourra assurer cette surveillance ?
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