LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN. - L’affaire Mediator met en cause, aux yeux de certains, le système d’évaluation des médicaments, en particulier l’indépendance des experts et les pressions subies par l’AFSSAPS. Comment garantit-on la « juste évaluation » et la « juste réévaluation » des médicaments en France ?
JEAN MARIMBERT. - Pour se donner toutes les chances d’une « juste évaluation », il faut jouer sur la compétence, l’indépendance du processus et la transparence. La compétence doit être collective et mélanger les expertises spécialisées dans les domaines concernés et les expertises scientifiques plus généralistes. Je crois aussi, de plus en plus, aux expertises profanes. L’Agence associe déjà les représentants d’associations de patients à diverses commissions – lisibilité des notices, informations au grand public, déclaration de pharmacovigilance par les patients?–, mais ils ne sont pas encore intégrés à l’évaluation du médicament. Or la vision du bénéfice-risque peut être différente selon que l’on est médecin, patient ou spécialiste de tel domaine. L’indépendance du processus repose sur une complémentarité entre les experts extérieurs (hospitaliers, chercheurs, universitaires) et nos évaluateurs internes. Rappelons que, avant la création de l’Agence du médicament, en 1993, l’évaluation dépendait presque entièrement de l’expertise externe. La transparence, enfin, consiste à déclarer les liens d’intérêt que peuvent avoir les experts et à les gérer. Lors des commissions, des experts sont amenés à quitter la salle le temps d’aborder un point en particulier, auquel ils ne peuvent participer au vu des liens d’intérêt déclarés. L’AFSSAPS travaille énormément sur le sujet depuis 2005, date depuis laquelle les débats concernant le Mediator sont traçables sur notre site. Je ne suis pas inhibé par la crise actuelle pour en parler : l’AFSSAPS est la première agence en Europe à avoir mis en ligne les comptes rendus de commission.
Les comptes rendus de pharmacovigilance sont donc accessibles au public ?
Comment « Prescrire » a pu sortir cette alerte début janvier concernant deux médicaments ? Tout simplement en lisant les comptes rendus de pharmacovigilance disponibles sur le site de l’AFSSAPS. Je considère que c’est un hommage à notre transparence dans le fonctionnement du système de pharmacovigilance. Il est important pour nous de faire savoir au monde extérieur sur quelles bases une décision est prise. Nos commissions de pharmacovigilance et d’évaluation débouchent le plus souvent sur des majorités nettes, mais on porte attention à ce que les avis minoritaires soient clairement exprimés.
Comment décide-t-on de réévaluer un médicament ?
Pour justifier une réévaluation, il faut impérativement des faits nouveaux par rapport aux faits connus lors de l’autorisation de mise sur le marché (AMM). Une agence ne peut pas retirer une AMM sans cela, sous peine de voir ses propres décisions suspendues ou annulées par le juge en cas de recours du titulaire de l’autorisation. Si on avait retiré l’AMM du Mediator en 2007, le Laboratoire Servier aurait contre-attaqué avec raison et aurait obtenu gain de cause.
Quels types de faits nouveaux sont pris en compte ?
Les faits nouveaux peuvent concerner l’efficacité, les risques de tolérance qui peuvent être plus graves, plus fréquents, ou complètement nouveaux. Ils apparaissent soit par le biais de la pharmacovigilance, fondée sur la déclaration spontanée d’effets indésirables par les professionnels de santé, soit via des études pharmacoépidémiologiques. En 2003, par exemple, l’Agence a lancé une alerte sur les traitements hormonaux substitutifs (THS), à la suite d’études publiées en Grande-Bretagne et aux États-Unis, et a conduit à la modération dans l’utilisation des THS. Une fois le fait nouveau décelé, il faut qu’il concrétise un niveau de risque suffisant pour pouvoir agir. L’Agence ne peut retirer des AMM par pure précaution ! Le droit oblige à prendre des mesures proportionnées. En 2009, l’Agence a voulu suspendre les produits contenant du kétoprofène parce qu’elle a relevé un certain nombre de cas ayant entraîné une hospitalisation. J’ai voulu suspendre leur AMM avant l’évaluation européenne, mais ma décision a été annulée par le Conseil d’État car le tableau de pharmacovigilance n’était pas assez grave. Il faut donc savoir mesurer l’ampleur du risque et ne pas en rester à un signal faible.
La pharmacovigilance fondée sur la déclaration spontanée des professionnels de santé fonctionne-t-elle correctement ?
La France et la Grande-Bretagne sont les pays où nous recueillons le plus grand nombre de déclarations spontanées de pharmacovigilance en Europe. Mais, partout dans le monde, on estime la sous-déclaration à 90 ou 95 %. Il faut rappeler la faiblesse des déclarations concernant Mediator et se souvenir qu’il y en a eu très peu jusqu’en 2009. Par la suite, les travaux du Dr Irène Frachon nous ont beaucoup aidés. Indépendamment de la sous-notification, il est difficile de déclencher la notification spontanée car il y a souvent un bruit de fond. Les professionnels de santé ne savent pas si un effet indésirable est directement lié à ce traitement, à un autre, à une interaction, à la pathologie en soi, au type de patient (âge, poids...). C’est le problème des facteurs confondants. Il y a donc une limite intrinsèque de la pharmacovigilance. Quand des cas d’alerte sont identifiés, il faut compléter par des études de pharmacoépidémiologie, qui permettent une prise de décision rapide. En 2009-2010, on a fait appel aux bases de données de l’assurance-maladie pour effectuer des rapprochements sur les hospitalisations, ce qui a permis de révéler un risque d’hospitalisation et d’intervention médicale trois ou quatre fois supérieur à ce qui était attendu, puis d’estimer l’impact sur la mortalité. Nous préparons maintenant une convention de coopération avec la CNAM pour bénéficier de ses bases de données et mener des études rapides.
Le temps de réaction de l’AFSSAPS a clairement été montré du doigt ces dernières semaines. Quelle est la durée moyenne d’une réévaluation??
C’est très variable, selon qu’il s’agit d’une procédure nationale ou européenne, selon que l’on réévalue un produit ou toute une classe. Cela a été le cas pour les immunostimulants ou, plus récemment, pour les antitussifs chez le nourrisson. Les études complémentaires, sur les données de la CNAM, nous permettent désormais de compléter un signal de pharmacovigilance sans être prisonnier des relations avec les laboratoires. Pour le nimésulide, par exemple, nous en sommes à la troisième réévaluation depuis 2003-2004. Pour le Mediator, nous avons eu beaucoup de signalements en 2009, la réévaluation a été lancée en juillet et, en novembre, c’était terminé. On ne peut pas faire l’impasse sur la démonstration d’un niveau de risque suffisant pour justifier le retrait. Pour gagner du temps, il y a deux voies : stimuler les
déclarations de pharmacovigilance et développer des études rapides de pharmacoépidémiologie.
Le numéro de janvier de « Prescrire » a lancé une alerte sur trois médicaments, dont le nimésulide que vous évoquiez à l’instant, déjà en cours de réévaluation. Où en est-on aujourd’hui??
Parmi les trois produits pointés par « Prescrire », Javlor (vinflumine) a été autorisé en procédure centralisée à l’automne 2009, nous ne sommes pas dans un sujet de réelle réévaluation puisqu’il vient d’obtenir son AMM, mais « Prescrire » critique surtout son prix au regard de son service médical rendu. La problématique du Fonzylane (buflomédil) et de Nexen (nimésulide) est, en revanche, ancrée dans une réévaluation du bénéfice-risque. Le buflomédil est un vasodilatateur à marge thérapeutique étroite. Le risque concerne le mésusage, avec surdosage involontaire ou volontaire. Cela a conduit, en 2006, à une série de mesures de restriction. Une réévaluation européenne en 2010 a débouché sur une réévaluation de la balance bénéfice-risque, toujours positive. L’AFSSAPS a poursuivi ses travaux de pharmacovigilance et, en mars, on a déterminé la persistance d’un niveau comparable d’effets indésirables malgré les mesures prises en 2006. Une réévaluation a donc débuté cet été et la commission d’AMM va donner son avis en février ; nous sommes donc très près du but. Pour Nexen, il est aussi en cours de réévaluation avancé, mais cela se fait au niveau européen. Ce qui est en cause, ce sont les effets indésirables hépatiques et gastro-intestinaux, apparus récemment en pharmacovigilance. Nexen a été revu en 2003, 2007 et 2008, le point de vue européen est toujours resté positif. Mais une quatrième réévaluation, en octobre 2009, a montré l’apparition de troubles gastro-intestinaux. Le CHMP (Committee for Medicinal Products for Human Use - Comité des produits médicaux à usage humain) de l’Agence européenne doit donner sa position finale au début du printemps 2011.
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