LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN. - Pouvez-vous nous expliquer la chronologie des faits qui ont justifié l’alerte depuis son origine ?
Tout débute le mercredi 5 juin. Ce soir-là, une cliente appelle la pharmacie. C’est ma préparatrice qui répond. Cette dame lui explique qu’elle a trouvé deux comprimés différents sortis du même blister de Furosémide 40 mg Teva. La patiente nous affirme même que le comprimé intrus est un comprimé de zopiclone.
Comment avait-elle pu l’identifier ?
Malgré ses 76 ans, ma patiente nous précise qu’elle est allée sur Internet chercher à quoi pouvait correspondre l’inscription « zoc7.5 » gravé sur le comprimé, et qu’elle a trouvé qu’il s’agissait de zopiclone. Nous avons d’ailleurs par la suite nous-même vérifié le résultat de cette recherche.
Que se passe-t-il ensuite ?
Mon employée, en ligne avec la cliente, m’explique la situation en direct, et j’avoue que nous sommes, dans un premier temps, tous deux un peu perplexe. Pour en avoir le cœur net, nous lui conseillons de rapporter à la pharmacie, dès le lendemain matin, toutes les boîtes de Furosémide Teva qu’elle a en sa possession.
Précisons que, contrairement à ce qu’ont pu écrire par erreur certains de vos confrères journalistes, la patiente n’est pas traitée par de la zopiclone et qu’elle ne s’est pas plainte, à ce moment-là, de somnolence, comme on a pu le lire cent fois.
Le jeudi 6 juin la patiente nous rapporte quatre boîtes de furosémide, dont trois neuves et une ouverte contenant quatre blisters (au lieu de deux normalement, NDLR) que la patiente avait réunis dans un même conditionnement. Elle nous donne également le comprimé de zopiclone découvert par ses soins. Elle nous dit aussi se rappeler que, en fin de matinée, le jour de la fête des mères (le 26 mai, NDLR), elle avait ressenti une grosse fatigue sans raison apparente. Je téléphone alors au Laboratoire Teva pour expliquer la situation. Les personnes contactées prennent très au sérieux l’information et me posent de nombreuses questions sur les circonstances de la découverte, les numéros de lots, et le profil de ma patiente. On me conseille également de déconditionner l’ensemble des blisters rapportés.
Comment avez-vous procédé précisément ?
Avant de lancer la vérification, avec l’aide de ma préparatrice, nous avons d’abord fait en sorte que mon comptoir soit parfaitement net. Puis nous avons procédé lot par lot, tablette par tablette. Chaque fois que nous vidions une boîte, nous mettions l’ensemble des comprimés sortis dans un petit pot à préparation pour isoler le résultat de chaque vérification.
Durant cette opération, je suis dérangé par la sonnerie du téléphone qui se trouve à trois mètres du comptoir, et c’est alors que je suis en ligne que j’entends ma préparatrice crier : « j’en ai un ! ». Je me précipite alors. Nous sommes seulement trois dans l’officine, mon employée, la cliente et moi-même. Nous avons donc alors deux comprimés de zopiclone en mains : celui que la cliente a rapporté à l’officine à notre demande, et l’autre, découvert à l’instant par ma préparatrice sorti d’un blister dont le numéro de lot, Y176, est identique à celui porté sur la boîte d’origine.
Je rappelle donc Teva pour les informer de notre découverte et leur préciser le lot concerné. En effet, dans un premier temps, j’avais signalé les trois numéros de lots auxquels appartenaient les quatre boîtes rapportées par ma cliente.
Si je vous entends bien, vous dîtes que vous n’étiez pas présent auprès de votre préparatrice lorsqu’elle a découvert ce second comprimé ?
Je n’étais pas à côté d’elle, mais à trois mètres. Je suis venu aussitôt qu’elle a crié. Seule ma cliente a pu véritablement partager la découverte en direct puisqu’elle faisait face à ma collègue.
Comment le laboratoire a-t-il réagi à votre appel après cette seconde découverte ?
On m’a mis un peu en attente, le temps de vérifier au niveau de la fabrication si une confusion avait été possible. Le laboratoire a validé mon intervention sans jamais mettre en doute mon témoignage, mais on m’a tout de même expliqué que l’accident de fabrication semblait incompréhensible, vu que les deux chaînes
de conditionnement étaient distinctes pour les deux molécules. À la demande du laboratoire, ma préparatrice a pris une photo du premier comprimé de zopiclone découvert et l’a envoyée par mail à Teva (notre photo).
Ce même jour, le 6 juin, Teva lançait véritablement l’alerte auprès des autorités sanitaires, relayée par les médias dès le lendemain. Le lundi 10 au matin, un délégué du laboratoire est venu chercher les boîtes à la pharmacie.
Pour vous, où peut se situer le doute qui persiste aujourd’hui ?
Personnellement je n’ai aucun doute ! Et ce, pour plusieurs raisons. D’abord parce que je connais et j’ai totale confiance en ma préparatrice qui travaille chez moi depuis de nombreuses années. C’est une grande professionnelle, très consciencieuse et investie dans l’officine. Par ailleurs, je ne vois ni l’intérêt ni comment une quelconque manipulation aurait pu avoir lieu. Je ne vois pas pourquoi ma préparatrice aurait fait semblant de le trouver. Je n’ai pas mis dix secondes à la rejoindre quand elle a signalé sa découverte.
Pour revenir sur votre patiente. Avez-vous vérifié dans votre informatique que ses médecins habituels ne lui avaient jamais prescrit de zopiclone ?
Elle a eu, il y a un an, de la Zopiclone Zentiva au décours d’une hospitalisation. C’est moi qui lui ai délivré. Je dois préciser que je n’ai pas de Zopiclone Teva dans mon officine, mais de marque Zentiva. Depuis un an, elle n’en a pas repris. C’est une personne qui n’aime pas les somnifères, et qui n’en prend habituellement pas.
Pourquoi êtes-vous resté discret les quinze jours qui ont suivi l’alerte ?
D’abord parce que c’est mon caractère. Je n’aime ni que l’on parle de moi ni me mettre en avant. Je suis de nature timide et discrète.
Pourquoi aujourd’hui avez-vous décidé de parler ?
Parce que j’ai une famille. J’aurais été tout seul, je pense que j’aurais continué de faire le dos rond, malgré tous les propos que j’ai pu lire et entendre dans les médias grand public, et qui étaient parfois carrément diffamants. Si je parle aujourd’hui c’est parce que je veux rappeler la chronologie exacte des faits et affirmer que ce qui a été trouvé dans mon officine l’a bien été, et qu’il n’y avait aucune raison de mettre en doute ma parole.
Malgré tout, comprenez-vous que l’hypothèse de la fausse alerte soit avancée ?
Parfaitement. Je comprends tous les confrères, et toutes les personnes qui mettent en doute
la réalité de notre découverte puisque rien d’autre ne s’est passé. J’avoue que j’aurais été très soulagé qu’on trouve d’autres comprimés de zopiclone ailleurs, mais le fait qu’on n’en trouve pas, je ne me l’explique pas. Pour autant, je me mets à la place des gens qui se disent : « cela ne s’est passé que dans une pharmacie, il n’y en a pas eu ailleurs, malgré les quantités de boîtes qui sortent des chaînes ». Il y a de quoi se poser des questions. C’est d’ailleurs ce qui rend les choses un peu difficiles pour moi en ce moment.
Ne pensez-vous pas que votre discrétion a contribué à épaissir le mystère et à faire naître le doute ?
Peut-être. Mais si je parle aujourd’hui c’est justement pour lever ces doutes, confirmer mes déclarations et assumer. Si j’avais continué à me taire, l’idée selon laquelle je me tais parce que je pense avoir lancé une fausse alerte prospérerait.
Maintenant, pour qui, pourquoi, comment c’est arrivé, personnellement je n’en sais rien. J’estime simplement que j’ai fait mon travail de professionnel en toute sincérité.
Vous n’avez pas regretté un seul instant d’avoir lancé cette alerte ?
Absolument pas. J’ai fait mon boulot. Et si la situation se représentait, j’agirais de la même façon.
Comment réagissez-vous aux déclarations du directeur de l’ANSM qui levait, jeudi matin, l’alerte au furosémide ?
Cela vise sans doute à calmer le jeu, car beaucoup de patients font n’importe quoi, depuis le début de l’alerte, avec leur traitement au furosémide. Mais peut-être est-ce un peu prématuré…
Vous allez continuer à dire votre vérité dans les médias ?
Non. Au niveau de la presse grand public, j’avais décidé de témoigner à France 3 et dans le quotidien « Le Parisien ». Pour l’information de mes confrères, j’ai choisi « Le Quotidien ». C’est fait. J’ai dit ce que j’avais à dire, désormais je me tairai.
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