C’EST LE CHIMISTE britannique Henry Drysdale Dakin qui laissera son nom au célèbre antiseptique. Il est en effet le co-inventeur de la liqueur de Dakin, avec le chirurgien français Alexis Carrel, alors en pleins travaux sur les plaies de guerre. L’homme n’est pas un inconnu* : prix Nobel de médecine en 1912, il se passionne notamment pour la compatibilité des tissus et des sutures et s’expatrie sur le continent américain où il travaille au sein de l’Institut Rockefeller. Mobilisé lorsque la Première Guerre mondiale éclate, il est affecté à l’Hôtel-Dieu de Lyon, grand centre des blessés du front de l’est. Les combattants arrivent gravement infectés. Alexis Carrel propose d’installer un hôpital tout près du front, pour agir plus rapidement sur les plaies et autres blessures des soldats. Il obtient gain de cause auprès des autorités qui l’installent à Compiègne et il met en place un système d’ambulance pour réduire les délais d’intervention. Secondé par des médecins, des chimistes, des biologistes, des bactériologistes, des radiologues et des infirmières, Alexis Carrel n’a alors qu’une obsession : la désinfection des plaies le plus rapidement et le plus complètement possible, pour tenter d’enrayer le tétanos et la gangrène, premières causes des amputations et des décès. La méthode Carrel-Dakin fait des miracles. Comme Alexis Carrel, Henry Drysdale Dakin exerce aux États-Unis et revient en Grande-Bretagne lorsque la Première Guerre mondiale éclate. Il veut participer à l’effort de guerre. C’est finalement par une requête de Carrel auprès de l’Institut Rockefeller que Dakin finit par rejoindre Carrel à l’hôpital temporaire de Compiègne, en 1916. La méthode Carrel-Dakin ? L’irrigation régulière des plaies avec la fameuse solution Dakin, un antiseptique hautement dilué à base d’hypochlorite de sodium et d’acide borique.
Grands blessés de guerre.
À cette époque, les antiseptiques ont déjà une longue histoire. Le mot est utilisé pour la première fois au XVIIIe siècle par le médecin écossais, Dr Pringle. Viennent alors la découverte du chlore par le chimiste suédois Scheele et des hypochlorites par le chimiste français Berthollet au XVIIIe siècle, la découverte de l’iode par le chimiste français Courtois, et des organismes vivants responsables de la putréfaction par Louis Pasteur au XIXe siècle… « La Première Guerre mondiale entraîne toute une problématique de grands blessés de guerre, avec des plaies importantes. Les médecins font amputation sur amputation, les pertes sont fortes. Henry Drysdale Dakin et Alexis Carrel poussent finalement les connaissances déjà existantes sur la désinfection, cela donne Dakin », explique Simon Launay, pharmacien et chef produit Dakin à la Cooper, qui commercialise aujourd’hui le produit.
L’époque du médicament industriel et des brevets n’est pas encore la norme. L’eau de Dakin entre dans la pharmacopée française et peut être préparée par tout pharmacien à qui on le demande. Son défaut : son instabilité qui entraîne une décomposition rapide, en quelques jours, et donc une durée de conservation très courte. Le produit doit être entreposé à l’abri de la lumière. Très utilisé en milieu hospitalier, il contribue à ce qu’on appelle l’odeur d’hôpital. « Les pharmaciens ont une relation forte avec Dakin. Les plus jeunes le voient comme une spécialité, mais il a d’abord fait partie des préparations courantes grâce à sa grande efficacité », rappelle le chef produit.
Une formule stabilisée.
C’est en 1988 que Dakin devient en effet une spécialité. La Cooper s’intéresse de près au produit, mène de nouvelles recherches et parvient à proposer une formule stabilisée. D’où son nom de Dakin Cooper stabilisé. « La Cooper obtient l’autorisation de mise sur le marché en 1988 et le commercialise à partir de 1990. C’est un changement de taille pour tous les circuits qui utilisent Dakin et connaissent déjà son excellence. Le gros du marché reste la prescription en ville, même si nous bénéficions aussi de la demande spontanée des patients et du conseil du pharmacien. »
Concrètement, Dakin Cooper peut être conservé de 24 à 30 mois avant ouverture, à température ambiante (inférieure à 30 °C), et un mois après ouverture, notamment grâce à son flacon tricouches qui le protège de la lumière. Auparavant, la Pharmacopée française fixait la durée de conservation des solutions neutres diluées d’hypochlorite de sodium à deux semaines, dans des flacons fermés à l’abri de la lumière et maintenus à une température inférieure à 15 °C.
Un large spectre.
Aujourd’hui, Dakin Cooper est autant vendu en ville (2,2 millions d’unités) qu’à l’hôpital (2,2 millions d’unités également), un volume en croissance constante qui permet à La Cooper de continuer à gagner des parts de marché sur ses concurrents. « Nous continuons à investir sur ce produit, même si cela fait 21 ans que nous le commercialisons. Il y a une véritable capitalisation sur le fait que Dakin est connu de tous, son efficacité n’est plus à démontrer, son utilisation est simple, il convient dans toutes les situations, pour soigner n’importe quelle plaie au quotidien, y compris sur les muqueuses, et sur toute la population. Il n’a pas de contre-indication liée au type de patient, que ce soit chez l’enfant, le nouveau-né, la femme enceinte ou allaitante. Il est d’ailleurs utilisé pour le soin du cordon. Sa seule restriction concerne l’antisepsie de l’œil », souligne Simon Launay.
C’est pourquoi Dakin est prescrit par les généralistes, les pédiatres, les dermatologues, les pédicures-podologues… et bénéficie du conseil du pharmacien. Les risques de mésusage sont quasiment nuls. « Notre principal concurrent ne peut être utilisé sur les muqueuses et il est beaucoup plus cher. Dakin a un spectre particulièrement large : bactéricide, virucide, fongicide et sporicide », précise le chef produit. Disponible en 60 ml, 125 ml, 250 ml et 500 ml, seule la présentation en 250 ml – la plus vendue – reste remboursée à hauteur de 30 % par la Sécurité sociale (le 500 ml a été déremboursé le 1er décembre). « Dakin a un service médical rendu modéré, nos concurrents ont un SMR plus faible. Notre produit est en effet conseillé pour son action rapide sur les virus (y compris sur le VIH) et c’est la seule spécialité recommandée par la Direction générale de la santé en cas d’exposition accidentelle au sang. » À noter : le petit nouveau de la gamme, le flacon de 125 ml, développé parce qu’il s’agit du format le plus courant dans les rayons de médication officinale. Pour autant, Dakin ne fait pas partie des médicaments pouvant être présentés dans la zone libre accès.
Nouvelle ligne de production.
La croissance se fait aussi à l’international avec des marchés qui se développent fortement en Afrique. « Dakin est présent en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Togo, au Sénégal, au Gabon, au Cameroun, au Burkina Faso, au Mali… Il y est implanté depuis longtemps mais se développe car il permet la prise en charge de pathologies spécifiques. » Il est effectivement utilisé chez les patients atteints du VIH, mais aussi dans le Noma ou Cancrum oris, une gingivostomatite gangréneuse à point de départ dentaire. Cette pathologie grave peut mettre en jeu le pronostic vital du patient et nécessite une prise en charge chirurgicale faciale accompagnée d’un traitement antiseptique local massif. D’autres pays européens bénéficient également de Dakin Cooper.
Preuve d’un investissement qui ne faiblit pas, la Cooper a lancé une toute nouvelle ligne de production entièrement dédiée à Dakin Cooper stabilisé, en janvier 2011, située sur le site industriel de Ponthierry (Seine-et-Marne). La capacité de fabrication est de 200 flacons par minute. « L’investissement de la Cooper dans ses chaînes logistiques est important, cela lui permet de livrer toutes les pharmacies d’officine et tous les établissements hospitaliers très rapidement. » De plus, les visiteurs médicaux du laboratoire continuent de promouvoir Dakin, notamment auprès des médecins généralistes. « Quand on explique aux médecins tout ce qu’on peut faire avec Dakin, ils sont souvent surpris », indique Simon Launay. Les délégués pharmaceutiques n’oublient pas la promotion auprès des pharmaciens, en particulier maintenant qu’une présentation de 125 ml, totalement adaptée au conseil au comptoir, est disponible.
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